Le communisme chinois : plus qu’une religion ?

par Jacques-Robert SIMON
mercredi 5 octobre 2016

 Peut-on viser l’instauration d'une société sans classes sociales et promouvoir dans le même temps le capitalisme ? La Chine peut permettre de donner des éléments de réponse.

LE COMMUNISME CHINOIS : PLUS QU’UNE RELIGION ?

Jacques-Robert SIMON

 Le 1er octobre 1949, Mao Zedong proclame la fondation de la République populaire de Chine. Le Parti communiste chinois (PCC) fondé 28 ans plus tôt va devenir la courroie de transmission du pouvoir central pour diriger le pays. L'économie est dans un premier temps basée sur l'industrie lourde sur le modèle de l'Union soviétique dans le cadre du premier plan quinquennal de 1954. Il suit une campagne de lutte pour éliminer les éléments contre-révolutionnaires. En 1957, la campagne des Cent fleurs est initiée par Mao : elle consiste à autoriser une certaine critique du parti communiste. Le résultat fut une immense contestation durement réprimée : plusieurs centaines de milliers de victimes seront emprisonnées ou déportées. Mais à l'intérieur même du Parti communiste se manifestent des tensions violentes entre partisans d'une application stricte des principes communistes et modernistes. Pour éliminer ces derniers, Mao déclenche en 1966 une « révolution culturelle » en s’appuyant sur la jeunesse du pays : les intellectuels et les cadres du Parti sont publiquement humiliés, les élites bafouées, les valeurs chinoises traditionnelles sont dénoncées au nom de la lutte contre les « quatre vieilleries » (vieilles idées, cultures, coutumes, habitudes). La Révolution culturelle se traduit par la mort de centaines de milliers de personnes. Mao et la Bande des Quatre (la femme de Mao et trois de ses proches) perdent cependant peu à peu du pouvoir au sein du Parti. C'est pourquoi en 1973 ils décident d'engager une « Campagne pour l’étude de la dictature du prolétariat » afin d’essayer de relancer la Révolution culturelle : nivellement des salaires, interdiction de l’agriculture privée, élimination des éléments bourgeois… Les modernistes prennent leur revanche peu après la mort de Mao, en 1976, avec à leur tête Den Xiaoping qui avait été précédemment écarté du pouvoir, il revient sur le devant de la scène politique en 1977. 

 Voilà le socle politique sur lequel va se construire le miracle économique Chinois. Pour tenter d’évaluer l’incidence du parti communiste sur la société chinoise, il est possible de considérer deux domaines dans lesquels celui-ci s’est profondément investi : la maîtrise de la natalité et l’économie. 

 L’Inde (1,25 milliards d’habitants) est un bon pendant « démocratique » à la Chine (1,36 milliard d’habitants) qui possède un parti unique pour cerner l’efficacité comparée des structures de décision. Le Premier ministre de l’Inde, principal dirigeant de l’exécutif, est responsable devant une Chambre du peuple élue tous les cinq ans au suffrage universel direct. L’Inde possède divers partis politiques nationaux (Congrès national indien, Bharatiya Janata Party) ou régionaux.

 L’Assemblée nationale populaire (ANP) chinoise quant à elle se réunit une fois par an. Les députés, au nombre de 3 000 environ, sont élus au suffrage plusieurs fois indirect : chaque village, ville, métropole, province possède une assemblée populaire qui élit l'assemblée populaire au-dessus d'elle. L’ANP élit formellement un président de la République, le candidat unique proposé par le parti communiste, celui-ci devenant en même temps secrétaire général du PCC et président. En 2015, le parti communiste chinois comptait 87,8 millions de membres ; chacun de ceux-ci représente ou encadre donc environ 16 habitants.

 L’Inde comme la Chine se sont préoccupés de l’accroissement de leur population qui laissait présager de graves problèmes socio-économiques. L'Inde, suivant sa conception politique, a axé ses efforts sur la responsabilisation individuelle en créant des centres d'information sur la contraception. En 1960, une indienne avait en moyenne 5,87 enfants, en 2012 se chiffre est tombé à 2,5. L’évolution de la courbe marque une grande continuité avec une décroissance continue de la fécondité entre les deux dates.

 La maîtrise de la natalité en Chine fut beaucoup plus volontariste de la part des autorités politiques. Ainsi la politique du mariage tardif (Wan-Xi-Shao : tard, espacé, peu) fut instituée dès 1970, date à laquelle la fécondité des chinoises était de l’ordre de 5,47 enfants par femme. Dix ans plus tard, celle-ci était tombée à 2,71 enfants par femme. Cette politique fit alors place à la politique de l’enfant unique (1979-2015) qui conduisit à un taux de fécondité de 1,66 en 2012 n’assurant pas un renouvellement numérique de la population. Le taux actuel est bien en-deçà du taux indien et même inférieur au taux des Etats-Unis (1,88).

 Une politique très contraignante des naissances se répercute indubitablement sur l’accroissement on non de la population. Les actions prises dans ce cadre doivent être cependant très autoritaires et leur application vérifiée à chaque instant sur le terrain. Des incitations moins contraignantes conduisent à une diminution presque comparable des naissances sur le long terme. Il y a tout lieu de penser que les facteurs exogènes sont plus importants que les directives locales pour infléchir les fluctuations de population.

 Passons à l’économie.

 Deng Xiaoping est généralement considéré comme étant à l’origine du développement économique de la Chine actuelle. À partir de 1979, les réformes économiques d’inspiration libérale s’accélèrent, bien que la rhétorique de style communiste soit conservée. Les paysans commencent à avoir plus de liberté pour gérer les terres qu’ils cultivent et vendre leurs produits sur les marchés. Dans le même temps, l’économie chinoise s’ouvre vers l’extérieur. Depuis 1947, année de la création de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), le régime de commerce mondial a bénéficié de multiples cycles de libéralisation des échanges. L'Organisation mondiale du Commerce (OMC) a été créé en 1995 pour administrer le corpus des accords de commerce multilatéraux. Cette libéralisation a conduit a une augmentation considérable de la production de richesses dans le monde : le PIB par habitant de 1960 à 2010 fut multiplié par plus de 20. La croissance du PIB mondial est presque constante (monotone) durant ces 50 dernières années.

 De 1960 à 1985, l’Inde possède un PIB de l’ordre de grandeur de celui de la Chine et bien inférieur à la moyenne mondiale. Toutefois à partir de cette date, une envolée du PIB de la Chine peut être constatée et en 2015 celui-ci est plus de deux fois supérieur à celui de l’Inde. De 1978 à 1989, le gouvernement chinois a réformé en profondeur l'économie du pays, la faisant passer d'une économie planifiée à un « socialisme de marché », tout en conservant un contrôle par le Parti communiste chinois : l’alliance du socialisme et du marché a fait merveille. La masse du peuple en a aussi tiré profit puisque L'espérance de vie qui était de 41 ans en 1952 est estimée être de 76 ans en 2010. Le nombre de millionnaires en dollars (US) est passé de moins de 100 000 en 1999 à plus de 7 millions aujourd'hui. Mais dans le même temps, on estime que 130 millions de Chinois vivent avec moins d'un euro par jour.

 La Chine est devenue en 2015 le premier exportateur mondial. L'essentiel de ce commerce se fait avec l'Union européenne (20 %), les États-Unis (18 %), Hong Kong (13 %) et le Japon (8 %). La présence des entreprises étrangères sur le sol chinois est en grande partie à l'origine de la forte accélération de la croissance des exportations. Les exportations chinoises proviennent pour 39% d’entreprises entièrement étrangères et 41 % d'entreprises intégralement chinoises. La raison de cette production délocalisée est facile à trouver : les coûts de main d’œuvre sont bien moins élevés en Chine … et la structure communiste aide à la discipline du prolétariat. Les industries à forte intensité de main d’œuvre sont vouées à disparaître aux Etats-Unis comme dans la plupart des pays dits développés. Au début des années 1990, la Chine a instauré un salaire minimum dans l’intention louable de protéger les travailleurs des industries destinées à l’export. Mais rapidement, l’essence même de la loi a été détournée, les employeurs l’utilisant comme salaire de référence insurpassable.

 Le mécanisme de la mondialisation est donc, du point de vue économique, d’une ancestrale simplicité : il s’agit de faire produire par des pauvres (Chinois) des produits achetés par de riches consommateurs (Européens ou Américains). Pour que le système fonctionne il est nécessaire d’engendrer localement en Chine des « riches » que l’on nommera investisseurs. Ils assumeront l’ordre hiérarchique nécessaire à la production industrielle en harmonie avec le parti communiste qui joue lui le rôle tenu de tout temps par les religions : il donne son aval idéologique aux dominants. De fait, intellectuels aisés et entrepreneurs privés constituaient déjà 70% des membres du parti en 2010 et les ouvriers et paysans 30%, les proportions étaient exactement inversées en 1980.

 


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