Le Coran brûlé n’arrêtera pas l’expansion de l’Otan

par Patrice Bravo
vendredi 27 janvier 2023

Le ministère des Affaires étrangères de la Turquie a accusé le 21 janvier la Suède d'avoir enfreint ses engagements pour adhérer à l'Otan. Le Coran a été brûlé lors d'une manifestation devant l'ambassade turque à Stockholm. Cet évènement a fait beaucoup de bruit dans les médias et dans l'espace public (notamment dans les pays à population majoritairement musulmane). Cependant, il est peu probable qu'il affecte le processus d'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Alliance. 

La Turquie a qualifié cet incident de violation du mémorandum trilatéral signé en juin 2022 à Madrid par la Suède, la Finlande et la Turquie. Les pays candidats se sont engagés à "empêcher la propagande d'organisations terroristes", à savoir du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), reconnu comme organisation terroriste en Turquie. Un certain nombre de Kurdes vivent en Suède et en Finlande et mènent une activité politique antiturque, ce qui ne convient évidemment pas à Ankara. 

La Turquie a exigé d'extrader plusieurs activistes du PKK et de réduire les liens des Kurdes dans les pays du Nord avec cette structure. La position d'Ankara est cruciale car il est le seul à s'opposer à l'adhésion de deux nouveaux États à l'Otan. Toutefois, il existait d'autres raisons qui ne sont pas liées au dossier kurde. En particulier, avant le sommet de Madrid, la Turquie pouvait ne pas être admise au projet de mobilité militaire Pesco ainsi qu'être privée de certaines livraisons d'armes à cause de sa coopération avec la Russie (l'achat de systèmes antiaériens S-400). 

Ankara avait alors accepté de faire des concessions en signant un mémorandum avec Stockholm et Helsinki. Sachant qu'il est clair : l'assouplissement de la position turque est certainement lié à une certaine promesse en échange des États-Unis. En d'autres termes, Ankara a joué sa carte et a profité de l'occasion à son avantage. 

Sachant que la Turquie, tout comme d'autres pays de l'Otan, sait : la Suède et la Finlande sont d'excellents candidats pour l'Alliance. Contrairement aux expansions précédentes, ces deux pays deviendront des donateurs de sécurité et non des receveurs. 

L'armée suédoise n'est pas nombreuse mais professionnelle. Stockholm possède une puissante industrie militaire (par exemple Saab). La Finlande ne dispose pas de telles capacités de production ni de matériel militaire national, en revanche il y a Nokia (et d'autres entreprises technologiques) travaillant dans le domaine de la cybersécurité ainsi qu'en Europe sur les réseaux 5G. Ainsi, tout le monde comprend que la Suède et la Finlande seront des membres très précieux de l'Otan capables d'augmenter sa capacité de défense réelle. 

L'adhésion de ces deux États est également importante pour l'Alliance parce que cela montrerait le fonctionnement du principe de la porte ouverte. Car le processus a été immédiatement initié après l'expression de leur volonté d'y adhérer. Cela pourrait sembler dans une certaine mesure injuste par rapport à d'autres pays qui souhaitent se joindre à l'Otan. Mais il convient de noter que Stockholm et Helsinki remplissent les exigences de l'Alliance depuis le dépôt de la demande, contrairement au Monténégro, par exemple, qui a dû parcourir un long chemin (de 2009 à 2017) avant d'en devenir membre. 

D'ailleurs, l'adhésion du Monténégro s'est avérée être un élément important du projet de l'Otan pour la stabilité en Europe, où c'est précisément le territoire de l'ex-Yougoslavie qui est qualifié de poudrière, comme le confirment d'ailleurs les récents évènements au Kosovo. Les pays de l'Alliance souhaitent l'implication de tous les États des Balkans, car cela réduirait le risque d'hostilités dans la région. 

Quant à d'autres pays désirant d'adhérer à l'Otan, le processus d'expansion se poursuivra. À la lumière des évènements en Ukraine, l'Alliance se sent de nouveau être une alliance politico-militaire capable de remplir ses fonctions initialement prévues. 

Sachant que l'adhésion de nouveaux membres sera tout de même étroitement liée aux exigences de l'Alliance. C'est pourquoi tôt ou tard la Suède et la Finlande rejoindront l'Otan. 28 des 30 pays ont déjà ratifié leur adhésion, et il est peu probable que la Turquie l'empêche. Même si Ankara tentera de profiter de l'occasion pour obtenir des "bonus" supplémentaires avant de ratifier l'adhésion de ces deux pays.

Alexandre Lemoine

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Source : https://www.observateurcontinental.fr/?module=articles&action=view&id=4585


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