Le coût de la guerre au Moyen-Orient remet en cause le fonctionnement de la démocratie américaine
par Renaud Delaporte
lundi 29 octobre 2007
Deux mille quatre cents milliards de dollars. C’est le coût pour les citoyens étasuniens, à l’échéance de 2017, de la guerre menée en Irak et en Afghanistan compte tenu des intérêts des emprunts. Ce montant ne tient pas compte des dépenses supportées par les pays de la coalition. Il représente le cinquième du PIB des USA, 8 000 dollars par Etasunien ou 24 000 dollars par Irakien et par Afghan. Face aux objectifs proclamés et aux résultats atteints, il convient de s’interroger sur les véritables bénéficiaires de cette somme. Ce ne sont pas les citoyens américains.
Les résultats attendus par les citoyens américains de l’intervention au Moyen-Orient, la restauration de la démocratie et la lutte contre le terrorisme, semblent désormais inaccessibles.
L’Irak a basculé dans une guerre civile et les actions terroristes ne cessent de se répandre comme un incendie, en Irak, en Afghanistan, ou en Turquie avec le PKK.
Que l’on ne me fasse pas ici le procès du cynisme qui consisterait à regretter que l’on dépense tant d’argent face à la nécessité d’instaurer la démocratie, d’éradiquer les actions terroristes et d’instaurer la paix sur la planète. Face à des enjeux aussi cruciaux, la question est au contraire de savoir si ces moyens sont employés de façon efficiente. En remettant le pouvoir à l’équipe Bush, l’électeur américain lui a donné les clés du coffre avec le mandat d’en faire bon usage, de lui assurer un meilleur confort de vie, une plus grande sécurité, dans le respect des valeurs démocratiques auxquelles il est attaché. Toutes ces choses constituent la quadrature du cercle électoral, défi auquel chaque candidat prétend savoir répondre. Les sommes engagées dans le conflit au Moyen-Orient, plus que tout autre indicateur, attestent que les objectifs réels divergent radicalement de ceux qui ont été proclamés.
Afin de faire face à ces dépenses, l’équipe au pouvoir aux Etats-Unis a refusé d’accorder le minimum de protection sociale demandée par les plus démunis de ses électeurs. Elle creuse les déficits publics, ce qui met en péril sa monnaie. Elle endette lourdement sa population. Asphyxiés par une économie de guerre et par l’augmentation des coûts de l’énergie qui en résulte, les Etats-Unis s’apprêtent à faire face à un accroissement important du nombre de faillites et donc du chômage.
Les libertés individuelles sont en recul. L’habeas corpus a été supprimé. Les citoyens peuvent être séquestrés sans jugement. Quarante-cinq mille personnes sont interdites de vol aux USA - pour nous, Français, comprendre TGV - et un nombre plus grand encore figure sur une liste des personnes à surveiller pour avoir mis en cause la politique actuelle. Une recherche sur Google avec les mots "watch list" est proprement édifiante. Il faut que la notion de démocratie américaine soit profondément gravée dans les esprits pour que l’idée de la mise en place d’une dictature ne puisse encore paraître acceptable. Comment appeler autrement cette dérive ? Qu’en serait-il de l’image d’un Chavez ou d’un Poutine si leur police interdisait le déplacement de ses citoyens et fouillait régulièrement les élus de l’opposition ?
Le mandat des électeurs américains à ses dirigeants comportait-il ces clauses ?
Le conflit au Moyen-Orient a déplacé et ruiné des millions d’Irakiens, provoqué une guerre civile qui a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes. Il a relancé la production d’opium en Afghanistan jusqu’à constituer 60 % du PNB de ce pays. Cet opium revient en Occident détruire la santé mentale et physique de milliers de personnes. Les revenus qu’ils procurent sont considérables. À qui profitent-ils ?
Les électeurs américains étaient persuadés que l’intervention au Moyen-Orient ramènerait la démocratie et témoignerait de ses valeurs auprès des populations concernées. Le résultat obtenu est exactement inverse. Jamais l’image des Etats-Unis n’a été aussi basse dans la région occupée, et dans le monde en général.
Deux réunions internationales entre les pays limitrophes de la Caspienne puis les pays limitrophes de l’Irak les ont amenés à se prononcer contre l’utilisation de leur territoire pour la poursuite de cette offensive. Elles ont constitué un front anti-américain auquel Nasser lui-même n’aurait jamais rêvé. Cette coalition d’intérêts régionaux procure à la Russie et à la Chine, qui la favorisent, un poids diplomatique que ni la puissance soviétique, ni Mao Zedung n’ont pu obtenir dans cette partie du monde.
Chacun des 200 millions d’électeurs américains va payer 12 000 dollars pour entraîner sa nation dans un recul diplomatique sans précédent. Qui peut accepter que le produit de son travail soit dévolu à dévaloriser les valeurs qu’il tient pour essentielles ? Est-ce pour parvenir à ce résultat qu’ils ont porté l’équipe Bush au pouvoir ?
Sur le plan militaire, la déroute est totale. Des officiers généraux avouent en privé que l’Afghanistan est perdu. L’armée américaine subit l’humiliation de voir ses GI refuser de façon fréquente d’obéir aux instructions qu’ils reçoivent, réduisant leurs patrouilles à un stationnement dans un endroit tranquille.
La vulnérabilité des États-Unis en tant qu’hyperpuissance apparaît de jour en jour. En Irak, tuer du GI est devenu un sport national. Aux USA même, la révolte des états-majors ne cesse de s’amplifier. On leur attribue la destruction d’un satellite d’observation nécessaire aux opérations en Iran et l’échec du transfert de missiles armés de bombes nucléaires vers le théâtre des opérations. Le gouvernement des États-Unis a perdu la confiance de ses propres forces armées. Doit-on se réjouir que, par ces actes de désobéissance, l’armée américaine s’honore de répondre à l’aspiration du plus grand nombre de ses habitants de mettre fin à cette guerre absurde ? Elle témoigne de l’intervention nécessaire de l’armée dans le fonctionnement même de la démocratie !
Rares sont les précédents dans l’histoire où un aussi petit nombre d’hommes aura utilisé une aussi grande quantité d’argent pour des conséquences aussi déplorables !
Pour quel objectif ?
Si l’enjeu de ce conflit était de détruire des armes de destruction massive, ce à quoi plus personne ne croit, un renforcement des inspections ou le contrôle de forces de l’ONU n’aurait pas coûté plus du millième des sommes investies dans le conflit. Pourtant, l’argument a été repris envers l’Iran et justifie encore des menaces de guerre. (Notons en passant que l’opinion publique va devoir modifier ses croyances : cette rhétorique est de nouveau abandonnée.)
La lutte contre le terrorisme ne serait-elle pas infiniment plus efficace et moins coûteuse si elle s’employait à mettre hors d’état de nuire toutes les personnes et les organismes qui en assurent le financement ? À l’heure où toutes les transactions bancaires peuvent être suivies à la trace, remontant les filières du financement des attentats du 11 Septembre, la première des choses ne consisterait-elle pas à vérifier sérieusement pourquoi les services secrets d’un État effectuent des virements importants à d’obscurs étudiants ? L’efficacité de l’action des services spéciaux, infiniment moins gratifiante pour un gouvernement que des déclarations tonitruantes d’un président sur le pont d’un porte-avion, l’emporte sur le terrain à tout déploiement massif de forces armées. Les crédits affectés dans ce domaine sont autrement efficaces que l’emploi de troupes blindées ou de chasseurs supersoniques.
N’est-il pas également urgent de contraindre les paradis fiscaux, chambres officielles de blanchiment, à rendre des comptes ? Alors qu’aucune démocratie ne peut faire l’économie d’une surveillance efficiente des sommes circulant illégalement, jamais ces sommes n’ont été aussi importantes. En suivre le fil conduirait à dévoiler les collusions entre les services de renseignements engagés dans la déstabilisation des gouvernements, les trafics de drogue, les trafics d’armes et la corruption des hauts personnages des États dont l’Irangate représente l’archétype. L’absence de volonté à entreprendre un grand nettoyage dans ces écuries d’Augias mesure de façon certaine et inquiétante l’écart qui sépare l’idée que nous nous faisons d’une démocratie et la glauque réalité sur laquelle nous surnageons, faussement innocents. Le terrorisme armé est l’enfant caché du terrorisme financier qui règne en maître sur les transactions économiques.
Si l’enjeu de ce conflit est la maîtrise des sources et de l’approvisionnement de pétrole, nous sommes en droit de nous poser la question de la fonction même des traités internationaux. Qui peut prétendre honnêtement qu’un traité international coûte 2 500 milliards de dollars ? Pour négocier, il faut venir en position de force. À tout vouloir, les Américains se sont affaiblis au point de risquer maintenant de perdre leur prééminence au profit de la Russie et de la Chine qui se seraient contentées, il y a quelques années encore, d’une part du gâteau. Les dernières sanctions financières contre l’Iran amplifient encore ce risque.
Les Seigneurs de la guerre
Le dollar ne tient que par sa position de monnaie des transactions des matières premières. Le pouvoir US est tombé dans les mains des propriétaires des banques émettrices de dollars qui s’enrichissent de toutes les transactions, légales et illégales, effectuées dans cette monnaie. Les sommes englouties dans la guerre au Moyen-Orient ne sont pas perdues pour elles. Elles contrôlent le système militaro-industriel, et ne s’en cachent pas. Leur aventurisme militaire augmente notablement leur fortune, leur puissance, élargit leur influence dans la sphère politique. Qu’importe le chaos : il produit bien plus de richesses qu’un moulin à farine ! Le coût exorbitant de la guerre au Moyen-Orient n’est justifié qu’à travers l’appropriation de ces sommes par un très petit nombre de Seigneurs de la guerre.
Malgré les avertissements d’Eisenhower, le système électoral américain ne parviendrait-il plus qu’à porter au pouvoir tel ou tel chargé de représentation de leur commerce ? Dans ce cas, ces 2 400 milliards de dollars sont une taxe prélevée sur notre indigence, sur notre faiblesse, sur notre incapacité à admettre que ceux qui prétendent nous représenter nous utilisent pour assouvir leur volonté de puissance et sanctionnent notre aveuglement à ne pas le reconnaître.
Ne jetons pas la pierre aux électeurs d’outre-Atlantique : nous allons entériner un traité européen liant de façon irrémédiable notre diplomatie à celle de Washington par le biais de l’OTAN.
Avons-nous encore le courage de la démocratie ?
Renaud Delaporte
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Parmi les sources :