Le débat autour de Linky doit être à la hauteur des enjeux
par Adrien
mardi 19 avril 2016
Un certain « Nigari », dans une vidéo postée sur le site Agoravox TV, affirme avoir pris Bernard Lassus, responsable de Linky chez ERDF, en flagrant délit de mensonge lors d’une intervention diffusée simultanément sur BFM TV et RMC vendredi 1er avril. L’emploi d’une rhétorique censée éveiller la peur et convaincre en jouant sur le pathos de l’internaute avant même d’avoir avancé le moindre argument est toutefois consternant. Ce choix esthétique ne contribue en aucun cas à élever le niveau du débat, alors que les questions au sujet du nouveau compteur d’ERDF sont tout à fait légitimes.
La question – schématiquement : Linky a-t-il pour but de fliquer les clients ERDF ? – que Jean-Jacques Bourdin adresse à son invité Bernard Lassus, ce 1er avril 2016, s’est perdue derrière la rhétorique patibulaire de la vidéo et la grandiloquence de sa musique omniprésente. Dommage, elle était pertinente. Et appelle une réponse claire et précise.
Consentement exprès du client
Oui, le compteur Linky permettra de collecter des informations concernant les informations de consommation des abonnés. Mais au lieu de semer la peur et annoncer la fin de la vie privée, peut-être vaudrait-il mieux préciser que ce n’est pas Linky qui fournira directement ces informations. Des mesures ont d’ores et déjà été prises par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui n’a pas attendu la vidéo pathétique de « Nigari » pour se pencher sur la question. En effet, elle affirmait dès 2013 que « Linky n’est pas sans risque au regard de la vie privée, tant au regard du nombre et du niveau de détail des données qu’il permet de collecter, que des problématiques qu’il soulève en termes de sécurité et de confidentialité de ces données ».
Or, c’est parce que le sujet avait déjà été largement débattu que la CNIL a pu exiger que la courbe de charge reste strictement locale, c’est-à-dire dans le compteur lui-même. Ces données sont cryptées à la source et appartiennent au client. Afin d’obtenir la transmission des données, le gestionnaire du réseau devra demander aux clients leur consentement exprès et écrit. La Commission a également décidé que tout abonné doit rester libre de s’opposer au stockage local de la courbe de charge et qu’il pourra revenir sur sa décision même après la signature de son contrat.
« Signature électrique »
Une autre question soulevée par la vidéo est celle de l’identification de la consommation électrique par appareil. Linky « est un compteur qui mesure le courant électrique et qui ne sait pas reconnaître l’électron qui vient de la machine à laver, de la télévision, de votre fer à repasser ou autres », affirmait Bernard Lassus sur le plateau de BFM TV. La courbe de charge dit l’évolution de la consommation dans le temps, et rien d’autre. Tout est vrai.
En revanche un boîtier complémentaire (qui apparaît dans la deuxième vidéo sur iTélé) permet d’accéder à des informations plus précises. Les algorithmes capables de reconnaître chaque appareil sur une courbe de charge qui prennent en compte le vieillissement de l’appareil et donc la modification de ses signes caractéristiques (périodicité, amplitude, etc.), ce qu’on appelle la « signature électrique » d’un appareil.
Un tel « découpage » électrique est aujourd’hui possible sans Linky ; l’article 23 de la Réglementation thermique 2012 impose à chaque habitation l’obligation de mesurer les consommations de chauffage, climatisation, eau chaude sanitaire, prises de courant, etc. Certaines entreprises proposent ainsi, grâce à un « écocompteur », d’avoir à sa disposition sur un site Internet sécurisé dédié, des tableaux synthétiques et ergonomiques permettant une analyse détaillée de la consommation.
Le compteur Linky ne peut à lui seul développer de tels outils, mais rien n’empêche les clients de rajouter un boîtier supplémentaire pour connaître la consommation appareil par appareil. Au client de choisir s’il désire avoir des informations précises sur la consommation électrique par appareil qui peuvent l’aider à changer son comportement afin de réaliser d’importantes économies d’énergie. Ou pas.
Aujourd’hui, ERDF est en mesure de garantir que les données mises à la disposition des fournisseurs ou bailleurs sociaux n’auront qu’un niveau de détail restreint et qu’elles ne permettront pas de connaître la consommation par pièce ou le type d’appareils installés dans les foyers. ERDF, entreprise de service public il faut le rappeler, n’a pas de vocation commerciale et sa mission en l’espèce est de moderniser le réseau. En revanche l’objectif des complotistes est plus flou...
En somme, comme toutes les innovations technologiques de taille, le compteur Linky promet de bousculer certaines habitudes que nous croyions éternelles. Face à ces changements, au moins deux attitudes sont possibles : d’un côté la peur qui paralyse et, de l’autre, le dialogue, la recherche d’un consensus qui puisse protéger les intérêts des uns et des autres tout en permettant au plus grand nombre de bénéficier des innovations scientifiques et techniques. En l’occurrence, Linky permettra de faire d’importantes économies, ce qui n’est pas un atout négligeable et pour les consommateurs, en particulier les plus modestes, et pour la planète.