Le déficit de la Sécurité sociale est bon pour l’économie

par éric
vendredi 9 juin 2006

Le Monde de jeudi 7 juin titre un article : « Sécurité sociale : le déficit dépasserait encore les 10 milliards d’euros en 2006 ». Doit-on s’en alarmer ? Comment se fait-il que nos dirigeants laissent courir un déficit de façon permanente ? Et si certains y trouvaient leur compte ?

Notre système de Sécurité sociale repose sur la solidarité entre les individus, entre les malades, les accidentés et les bien portants. Le système nous offre l’un des accès aux soins les plus développés et les plus performants. Mais son succès en fait aussi la fragilité. La demande de soins n’a cessé d’augmenter au long des dernières décennies. Le malade est montré du doigt, l’État dénonce les abus, et certains journaux se font le relais de cette parole. Les professions médicales sont accusées de tous les maux. « Déficit » est le terme qui revient dans la bouche de nos décideurs.

Tout le monde se pose la question de la manière de réduire le déficit, comme si ce dernier était un élément toujours présent, un nuisible contre lequel il faut lutter. Rares sont ceux qui posent la question  : pourquoi y a-t-il un déficit ? N’est-il pas utile et créateur de richesses ?

Un budget, c’est des recettes et des dépenses. Qu’est-ce qu’un bon budget ? Personne ne dira "celui qui est en déficit", tout le monde répondra : "celui qui est en excédent". Sauf qu’il reste une troisième réponse : "celui qui est en équilibre". En effet, est-il opportun que le budget qui existe pour nous soigner dégage des bénéfices ? Humainement parlant, non. Car s’il y a excédent, c’est que des actions auraient pu (dû) être conduites pour soigner mieux, pour prévenir un risque... Donc, en cas d’excédent, le système est sous-optimal, on aurait pu mieux faire. La bonne réponse semble donc être : équilibre. Sauf que, pour être à l’équilibre à un instant T, il faut qu’il y ait autant de recettes que de dépenses. Impossible au jour le jour, il faut alors prendre une période de référence à notre budget, c’est l’année civile (du 1er janvier au 31 décembre). Comme tout choix, il est subjectif, et peut conduire à des résultats sans grand sens. (pour un exemple, cf. p. 34 de mon livre).

Bien sûr, notre déficit n’est pas purement un phénomène dû à la présentation de résultats. Mais cette dernière ne peut être ignorée si l’on veut prendre part au débat sur les chiffres et sur l’impact de leur présentation à l’opinion publique, lors des élections par exemple.

Voici un petit fragment de réponse à la question pourquoi ?. Il y a bien d’autres éléments.

La lutte contre le déficit a porté soit contre les dépenses, baisse des remboursements, ticket modérateur, etc., soit sur les recettes, taux de cotisation, assiette des prélèvements. Mais finalement peu d’évolution sur le déficit. En réalité, le problème est peut-être ailleurs. Les Français sont de très gros consommateurs d’anti-dépresseurs notamment. Ne devrions-nous pas y voir le signe de quelque malaise ? Du reste les préfets l’ont dit : les Français sont moroses. Le problème du financement de la Sécurité sociale n’est pas purement comptable. Comme la douleur n’est pas la maladie, mais sa manifestation, le déficit n’est pas le problème, mais sa conséquence.

Il est donc temps de répondre à la question pourquoi ?.

Notre société, son organisation ont modifié nos modes de vie. Le progrès, s’il permet à certains d’accéder à plus de confort et à une vie plus facile, entraîne pour tous stress, instabilité professionnelle qui génère le plus souvent une instabilité familiale, puis sociale. Nos modes de production ont fait éclater les cellules dans lesquelles vivaient les individus et qui constituaient une partie de leur identité et de leurs repères : l’entreprise, le couple, la famille, le village... Tous ces lieux sont devenus mobiles et/ou temporaires. L’individu ne peut plus se construire ou se reconstruire après un accident de la vie. Le temps, immuable autrefois, coulant lentement, s’est accéléré au point de se concentrer dans l’instant. Nous n’avons plus ni passé, ni avenir, nous vivons dans un présent qui nous échappe. Ce mode de vie a disloqué les repères temporels comme celui des repas pris en famille, lieu d’échange et de convivialité. Regardons autour de nous, tous ces individus qui engloutissent un sandwich dans les transports en commun, sur un quai de gare, dans les galeries marchandes... C’est le royaume de la « malbouffe » avec ses conséquences sur la santé. Sans oublier les modes de production de cette « nourriture » : l’escalade des rendements nécessaires à la survie des exploitations agricoles et son lot de pesticides et d’insecticides, d’engrais et d’OGM qui nous fournissent des biens alimentaires plutôt mauvais. Tout le monde exige de nous, les clients, les enfants, l’employeur... Plus personne n’écoute l’autre. Dans ce contexte, le médecin et sa science sont apparus comme les sorciers d’antan, capables de soulager nos maux en écoutant nos mots . Devenir malade, c’est, enfin, trouver des gens qui s’occupent de nous, qui nous écoutent et qui, à coup de pilules « miracle » produites par l’industrie pharmaceutique, nous promettent des lendemains joyeux qui feront de nous des gens beaux, riches et célèbres. Car la médecine et la pharmacie sont devenues des lieux marchands très lucratifs. Le marketing est passé par-là. C’est le miracle coté en Bourse ! Comment dès lors ne pas « exploser » les dépenses ? Constatons qu’il s’agit d’une forme de commerce et d’industrie dont les ventes sont financées par la collectivité, par des prélèvements obligatoires sur les revenus. Imaginons un instant de décliner ce concept à l’industrie automobile, par exemple. Les pannes de nos véhicules seraient remboursées par une sorte de Sécurité de la mécanique financée par nos revenus. Les fabricants d’automobiles nous encourageraient à rouler à coups de campagne marketing, puisque plus nous roulons, plus ils gagnent (pièces détachées, nouveaux véhicules) et plus nous risquons de tomber en panne, donc alimentons le commerce des garagistes. Et puisque les réparations seraient quasi gratuites car financées par la collectivité des rouleurs, alors pourquoi changer ce système qui crée tant de richesses privées, même au prix d’un déficit supporté par tous ou presque ? Finalement, et pour ne s’adresser qu’aux actionnaires, le déficit de la Sécurité sociale n’est-il pas bien plus faible que les profits générés grâce à lui, puisque les patients financent tout de même une part importante de leurs achats de médicaments et de leurs journées d’hospitalisation ? Des dépenses qui, sans cette part de subvention collective, n’auraient (peut-être) pas été engagées, au moins par certains.

Donc le déficit est bon pour l’économie.


Lire l'article complet, et les commentaires