Le dilemme du chômage

par Boogie_Five
mercredi 19 novembre 2014

Vous connaissez cette sensation d’être un peu inutile, vain et complétement décalé, hors de la route, délaissé injustement comme un déchet de la société, vu comme une chose encore moins digne qu’une serpillère ayant nettoyé des vieilles toilettes ?

Chômeurs ! Il faut vous en rendre compte, la société moderne vous regarde mal. De grandes chances pour nous de tomber dans la précarité. Ne comprenez-vous pas le sens profond du discours qui agite les petites mains ? Vous êtes nés mais vous n’auriez pas dû naître. N’est-ce pas étrange ce discours de la vie qui est contre la vie ? Je suis né il y a une trentaine d’années et voilà que d’autres me disent que je n’aurais pas dû naître, que je suis une erreur, un truc qui gêne, un poisson pourri. Je me souviens de certains entretiens d’embauche, piégé comme une souris en cage, je faisais des discussions étranges, et j’entendais des propos dignes de la science-fiction.

Après la guerre, des écrivains et des penseurs s’étaient persuadés que les choses sont absurdes, et d’autres que la distraction et la futilité commandent les êtres humains. Pourquoi n’y a-t-il pas plus de suicides alors ? Si l’existence était si futile, ceux qui sont courageux mettraient fin à leur vie, ce serait le summum du futile, un point de vue artistique intéressant à explorer. De l’art performatif. Mais non, la plupart des courageux vivent longtemps et parfois plus que les autres. Et comme les êtres humains aiment bien être dirigés par des chefs, pourquoi la futilité ou l’absurdité se donnerait-elle un visage aussi sérieux et une organisation aussi encadrée ? Il y a là un décalage qui est surprenant. La futilité ne serait-elle pas le travestissement de la souffrance, une tromperie de soi-même qui transforme un sentiment de faiblesse en impression de victoire sur son prochain ?

Vous connaissez ces gens, qui se sentent obligés de juger votre niveau – non, je ne parle pas des professeurs –, qui veulent absolument se dire supérieurs mais sans se rendre compte de la chose, spontanément, en n’expliquant pas pourquoi, en sortant un marteau, puis la seconde d’après vous vous demandez pourquoi. Mais, désolé messieurs les écrivains et les philosophes existentialistes, la futilité peut avoir un autre visage : celui du pouvoir arbitraire qui se venge, très sérieux et moraliste. Ici, il y a bien deux distinctions à faire : ceux qui ne contrôlent pas leur faiblesse et ceux qui la contrôlent d’une part. Et très important, ceux qui arrivent à parler de leurs troubles et ceux qui n’y arrivent pas. Et il est assez intéressant de noter que bien souvent les employeurs mettent aux postes à responsabilité des individus qui ne maîtrisent pas leurs troubles, parce que justement il peut leur arriver d’être violent à tout moment, ce qui est pratique pour justifier des choix qui ne relèvent pas de la raison ou de la prévision ordonnée, mais plutôt ceux de la conservation de soi ou de la défense animale d’un territoire (oui, franchement ce dispositif est un peu primaire quoi qu’on en pense). La barbarie qui règne dans le marché du travail n’est pas régulée, beaucoup le savent. Vous savez qu’avec un bac+4, on a hésité à me prendre pour faire un boulot de manutention ? De quelle vengeance parle-t-on dans ce pays ? Contre les étrangers ? Les autorités encouragent les malades mentaux à prendre le pouvoir. La folie maladive des pauvres protège la raison égoïste des riches.

Le discours est : chômeurs, suicidez-vous, s’il vous plaît, ou mourez en silence, sans famille, sans espoir, dans la solitude et mangeant des cailloux. La politique actuelle est très lisible et simple. Les seuls qui ne comprennent pas encore sont les enfants. Malheur à eux. La politique actuelle est une tentation de séparer la population en deux : les insiders et les outsiders, les winners et les loosers, les ménages qui ont au moins 2000 euros par mois et ceux qui sont en-dessous. Finalement en ne gagnant rien c’est peut-être plus simple.

Les derniers remords de la puissance publique avant d’arrêter les aides sociales pour les chômeurs ne vont pas tarder dans les années à venir. Les esclaves aux ordres des possédants sont trop nombreux pour qu’il y ait une inversion de tendance. C’est un calcul à deux niveaux qui est fait :

 

 

La France se glose de faire des enfants. Mais pour les mettre où ? Aux services sociaux puis à la rue ? Je ne comprends pas ce délire chez les intellectuels médiatiques de se vanter de la natalité lorsqu’il y a une telle haine envers les pauvres qui sont de plus en plus nombreux. C’est une bizarrerie encore plus inepte dans un pays développé. A moins que les cadres supérieurs soient polygames et fassent de très grandes familles. Cela montre qu’une grande partie de la population, y compris des intellectuels de renom, ne regarde pas la réalité en face.

Encore mieux et plus drôle : pourquoi les étrangers sont-ils plus mal vus que les nouveaux-nés ? Les deux peuvent être mis en équivalence puisqu’il s’agit dans les deux cas de nouveaux arrivants sur le territoire. Pourtant, l’un est plutôt vu négativement et l’autre positivement. C’est pour ça que la peur de l’invasion étrangère permet de tout amalgamer dans un malthusianisme indistinct qui ne fait pas honneur à la finesse de la théorie d’origine – en mêlant à la fois le nombre d’immigrants et le nombre de naissances sur tout le territoire. Mais, ceux qui dénoncent les immigrés faites attention ! Ne jetez pas tous nos enfants à la mer quand même… Une diminution générale de la natalité pour l’adapter à la taille du marché du travail, ça suffirait largement. Après, les goûts et les couleurs… En tout cas, par rapport au chômage, dire que la croissance démographique et la politique de la natalité sont une bonne chose pour la France, c’est irresponsable quand on voit comment la jeunesse est mise dos au mur.

Une question reste posée à tous les citoyens, au pouvoir, au monde, aux riches, et même aux chômeurs : si la séparation sociale entre les chômeurs pauvres et les autres est une réalité indiscutable et intériorisée avec ressentiment et haine chez les membres des classes moyennes qui ont peur de la précarité et veulent se distinguer auprès des riches, est-il possible de se séparer des pauvres et de ne rien leur devoir sans aucune violence ni remords ?

C’est vrai que l’issue n’est pas certaine. D’autant plus que chacun n’a pas forcément envie, quel que soit le milieu d’où l’on vient, d’appartenir à ce monde totalement replié sur lui-même, de cette haine rentrée en soi typique des régimes autoritaires modernes. Ainsi la pauvreté gagne tous les esprits, dans cet exil intérieur qui rêve de vengeance et demande du sang.


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