Le doge de Washington

par Bruno Hubacher
mercredi 5 mars 2025

Lancé par décret présidentiel no 14158 du 20 janvier 2025, le « Département de l’Efficacité Gouvernementale » ou « Department of Government Efficiency », plus connu sous l’acronyme DOGE, est un organisme public, sous la houlette de l’agence fédérale « United States Digital Service », crée en 2014 par Barack Obama, et doté de son propre budget, par décision du Congrès en 2021, sous la responsabilité directe du président Donald Trump, dont la charge est confiée au conseiller spécial du président, le milliardaire Elon Musk, et dont la dissolution est prévue pour le 4 juillet 2026, jour de l’indépendance. Wikipedia

La mission de cet organisme éphémère sera « la simplification de l'administration fédérale, notamment en supprimant des dépenses inutiles », ce qui concernera également des programmes fédéraux, jugés obsolètes, et des postes de fonctionnaires afférents.

La première victime de ce massacre à la tronçonneuse est l’agence américaine pour le développement international USDAID, un organisme, chargé de l’aide humanitaire et du développement économique dans le monde, fondé en 1961 par John F. Kennedy, sous la supervision directe et du Président, et du Département d’Etat, et du Conseil de Sécurité Nationale. On devine l’amalgame et les nombreux conflits d’’intérêt.

 Ce qu’il y a de machiavélique dans cette stratégie de tromperie « trumpienne », c’est le fait qu’en apparence, elle s’attèle aux vrais disfonctionnements du système, alors qu’en réalité elle propose des solutions volontairement inappropriées, pour d’évidentes raisons, la politique politicienne, le but étant, et ayant toujours été, le démantèlement de l’Etat-providence. 

L’avènement de ce que le journaliste et auteur américain Chris Hedges appelle l’état mafieux, « The Mafia State », représente, en quelque sorte, l’apothéose du projet néolibéral du président Ronald Reagan, dont la première partie, la dérégulation de l’économie et l’infiltration simultanée de l’état par le Cheval de Troie du « Partenariat Public Privé » ou « Public Private Partnership » PPP, peut désormais être considérée comme achevée. Elon Musk n’est que l’exécuteur testamentaire de la phase terminale, et, à en juger par ses premières interventions tonitruantes, il prend son rôle très à cœur. 

En effet, le samedi 22 février le sémillant « twitteur » a fait parvenir, aux 2 millions de fonctionnaires fédéraux, un e-mail dans lequel il donne la consigne que « chaque collaborateur dresse une liste de ses accomplissements pendant la semaine écoulée », fixant un délai de réponse de 48 heures. Le fait de ne pas répondre serait pris comme un motif de licenciement. (1)

Afin d’être en mesure de sonder, à toutes fins utiles, le fin fond de sa pensée, il est indispensable de disséquer ses innombrables interventions sur son réseau social bien à lui, et autres podcasts, notamment sa dernière intervention sur le podcast de son acolyte, le libertaire Joe Rogan, acteur, humoriste stand-up et « podcasteur », qui, visiblement, savoure sa MAGA victoire, en se faisant photographier à volonté avec les nouveaux maîtres de la Maison Blanche.

Ainsi, on y apprend de la bouche du milliardaire, que la sécurité sociale serait « une pyramide de Ponzi » (2) et, il faut bien dire que ses explications confuses laissent franchement pantois. (3) 

A la demande de Joe Rogan de préciser le fond de sa pensée, il répond « Les gens cotisent à un système de sécurité sociale et cet argent sort du système immédiatement, alors que l’obligation (du système ndlr) est d’assurer le paiement des rentes pendant toute la durée de la retraite. Si vous considérez les engagements de la sécurité sociale, ils dépassent largement les revenus fiscaux. Regardez la dette de l’état ! (37'000 milliards USD ndlr) » Fin de citation

Et, comme pour enfoncer le clou, il récidive sur son réseau social X, en appelant à l’aide, l’intelligence artificielle maison, « Grok », qui, dit entre parenthèse, paraît étonnamment impartial, pour l’avoir testé, mais qui, dès que l’on touche au statu quo, devient têtue comme une mule et redevient « consensuel », il doit bien y avoir du « Chomsky » dans la programmation des algorithmes. Et l’oracle « Grok » dit donc ceci : 

« Basé sur les dernières prévisions, publiées au mois de mai 2024, les réserves de la sécurité sociale seront épuisées d’ici 2035. Cela concerne le fond d’assurance de vieillesse et des survivants OASI, ainsi que l’assurance invalidité DI, qui, après cette date, sans intervention du Congrès, sera en mesure de ne rembourser que 83 % des prestations, en se servant des revenus fiscaux courants. OASI, couvrant l’assurance vieillesse, sera à court d’argent en 2033 déjà, et sera en mesure de ne rembourser que 79 % des prestations. L’assurance invalidité DI, en revanche, restera solvable jusqu’en 2098. Ces prévisions se basent sur l’évolution démographique et économique. L’économie plus forte que prévue ces dernières années a permis de décaler la date d’épuisement de 2034 (prévu en 2023) à l’an 2035, mais ces prévisions peuvent varier, en fonction de divers variables, telles que des réformes législatives. Le Congrès pourrait compenser le manque à gagner en relevant les taux de cotisation ou en modifiant les priorités d’allocation » Fin de citation

Tout ceci est évidemment très intéressant et passionnant, mais complètement hors de propos, car, dans ce contexte, en l’occurrence, en ce qui concerne le volet fiscal en particulier, en laissant de côté pour l’instant la question des salaires, on relève tout de même quelques incongruités.

En l’espace de 15 ans, les sociétés Tesla, capitalisation boursière 1,1 billion USD, et SpaceX, 350 milliards USD, ont obtenu du gouvernement américain, plus précisément du Département de la Défense, des subventions à hauteur de 30 milliards USD, ce qui a permis à Elon Musk de majorer sa fortune personnelle, en partant de 2 milliards USD en 2012, à 400 milliards USD en 2024. Et ce n’est pas le « World Socialist Web Site » qui le dit, mais le magazine américain « Forbes ».

Ainsi, depuis 2012, les sociétés de l’homme à la tronçonneuse, qui a contribué à hauteur de 200 millions USD à la campagne présidentielle de Donald Trump, ont « développé une relation symbiotique avec des programmes fédéraux qu’on peut considérer de vampirique ». Et là ce n’est par « Grok » qui le dit, mais encore le magazine « Forbes ».

Programmes fédéraux

Toutefois, on ne peut pas dire que la mission du libertaire sud-africain ait débuté sans fausse note, puisqu’il a commencé son mandat par se faire taper sur les doigts, sous la pression de l’opinion publique, il faut bien le dire, car le Département d’Etat a fini par annuler un projet d’acquisition de véhicules blindés de la marque Tesla d’une valeur de 400 millions USD, une livraison prévue pour le mois de septembre de cette année.

L’accès direct aux données hautement confidentielles du Trésor américain, chargé du paiement des prestations sociales, lui a été refusé. Pour l’instant.  

Bien que le bras de fer ne soit qu’à ses balbutiements, Elon Musk ne se laisse pas décourager. En tout cas, il prétend avoir déjà procédé à des réductions de dépenses au niveau fédéral de 55 milliards USD et d’avoir supprimé 200'000 emplois, dont ceux de spécialistes de l’Office Fédéral de l’Aviation FAA chargés de la sécurité nucléaire et autres experts hautement spécialisés de la NIH « National Institutes of Health », ainsi que la suppression de subventions pour la recherche médicale, taillant également dans le budget de l’administration fiscale IRS, comme dans celui permettant l’entretien des parcs nationaux, celui du Département de l’Education etc. etc. (Source Forbes)

(Dans ce contexte je propose un intermède satirique de la Grande Bretagne des années 1990 sur la privatisation du contrôle aérien, Bird and Fortune 1996. Désormais, la réalité dépasse la fiction ndlr) (4) 

On a donc une vague idée de la raison pour laquelle le déficit du budget de l’état américain s’approche de la marque de 2'000 milliards USD et que la sécurité sociale soit à court d’argent. C’est parce que « ses engagements dépassent largement les revenus fiscaux » Il ne croit pas si bien dire.

Sans vouloir l’offenser, un élément crucial dans son équation a dû lui avoir échappé, à monsieur-je-sais-tout. L’état, et à plus forte raison l’institution de la sécurité sociale, n’est rien d’autre qu’un mécanisme de redistribution des richesses produites.

 

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/l-oiseau-est-libere-244770

  1.  Pyramide de Ponzi, nomme après l’escroc italien Charles Ponzi, mort en 1949, est montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer et rembourser les investissements des clients par des fonds, procurés par les nouveaux entrants. 
  2. US personnel office walks back email ultimatum from Musk to workers | Trump administration | The Guardian
  1. https://www.youtube.com/shorts/LsO2lf8qc8k?feature=share Joe Rogan / Elon Musk
  1.  https://youtu.be/5OKo3hOp1SA Privatisation of Air Traffic Control

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