Le droit de dire merde

par Jacques-Robert SIMON
jeudi 11 mai 2023

Je vous disais donc, messieurs, que les finances vont passablement. Un nombre considérable de chiens à bas de laine se répand chaque matin dans les rues et les salopins font merveille. De tout côtés on ne voit que des maisons brûlées et des gens pliant sous le poids de nos phynances. — (Alfred JarryUbu roi)

Vous êtes fiché à peine né, on décidera de tout à votre place, vous consommerez ce qui doit être consommé, vous écouterez ce qu'on vous prie d'écouter, vous penserez ce qui est bon de penser, vous choisirez entre un bonnet blanc et un blanc bonnet, vous serez heureux selon la norme en usage. Il vous reste un droit, un seul, dire merdre à tout. Par prudence, prenez un pseudonyme.

Merdre au Libéralisme en premier lieu ! Le libéralisme, on ne sait pas bien ce que c'est sauf que c'est bien pour tout le monde d’après l’élite. En tout cas, c'est flexible : on mondialise, on mondialise plus, on produit, on produit plus, on se bat pour les droits de l'Homme ou on impose les droits de l'homme, tantôt faut bâfrer tantôt faut se priver, tantôt on est pour la paix souvent on fait la guerre, on est pour les libertés on renforce les forces armées... Avec le recul de cinquante années, on devine ce que le Libéralisme peut faire : conduire une planète toute entière au bord d'un gouffre sans fond, près d'une guerre mondiale, sans un endroit sans des amoncellements de plastiques, de polluants, de gaz délétères, des populations entières sous tranquillisants, narcotiques, opiacées de synthèse, psychotropes, ensevelis sous des gadgets numériques qui abêtissent. Bref, tout le monde est heureux, surtout les plus fortunés devenus si puissants que la plèbe est censée se réjouir de les voir s'enrichir chaque jour davantage. Même nous on a compris le truc de l'argent magique. Tu imprimes des biffetons, ça coûte pas cher, tu achètes le talent de glandus pour faire prospérer ton capital, tu investis au loin. En cas de gros problèmes tu distribues un peu de pognon aux gens du commun, ça augmente les dettes nationales mais ça n'a pas d'importance tant que tu es le plus puissant et le mieux armé : les investisseurs vont aux moins pires. Bon, ce n'est pas avec de la fausse monnaie que l'on va nourrir les presque 10 milliards de personnes qui se pointent à l'horizon, mais ça occupe les foules. Tout va bien, on vit à crédit et ceux qui bossent vraiment ne sont pas assez puissants pour nous foutre sur la gueule. C'est pas les zoulous qui vont nous niquer question technologies militaires. Et ce ne sont pas les foules numériquement et pharmaceutiquement lobotomisées qui vont rechigner à suivre les directives. Quant aux Hommes politiques, eux-mêmes ne savent plus pourquoi ils sont là.

Merdre à la Droite ! C'est risqué puisqu'il n'y a plus que le choix entre la droite, l'ultra-droite et l'extrême droite lors des spectacles électoraux. La Droite, c'est l'Ordre ! Pas n'importe quel ordre : le leur. C'est vrai que celui-ci a produit un effet saisissant durant les quelques décennies précédentes : chacun se réarme même les plus honteux de leur passé, même les descendants de ceux qui ont subi les pires atrocités en des temps pas si anciens. Il fallait à tout prix faciliter l'essor des pays africains en leur permettant l'accès à une industrie qui leur serait utile et par contrecoup qui serait utile à tous. Les "marchés" ne le permirent pas, la Droite non plus, mais ils permirent d'avoir une telle différence de richesse entre les uns et les autres que des populations entières se ruèrent vers ce qu'elles supposent être un eldorado. Déstabilisant les uns, ruinant les autres. Il devint urgent dans tous les pays nantis de lutter contre l'immigration, ce fut l'antienne des Droites. Pourtant les immigrés travaillent bien dans leurs usines, y revendiquent pas chouille, y sont plutôt mal payés, ils permettent de contourner le droit du travail. Si on est bosseur, on ne fait aucune différence entre un musulman et un pakistanais. La Droite défendrait une identité nationale qu'elle n'a jamais contribué à construire ? Regardez les auteurs, les compositeurs, les sculpteurs, les poètes, les architectes, les scientifiques... personne ou presque de se réclamait de la Droite. La Droite défendrait la République ? Mais dès qu'elle le pourra elle rejoindra Pinochet plutôt qu'Allende, l'ordre primera toujours les principes. L'Ordre c'est celui des privilégiés, la Droite lutte contre l'immigration car ça lui permet de construire un état policier à coups de décrets, de lois, d'exceptions : leur vindicte des immigrés exprime leur peur de la colère qui monte au sein des classes qui la subit depuis presque toujours. On fait payer aux classes populaires leur incurie et les décisions désastreuses prises lors du dernier demi-siècle.

Reste le plus désespérant : Merdre à la Gauche ! La Gauche a réussi à faire le pire de ce qu'on peut affliger à une population : elle l'a dessaisi de son âme, elle lui a enlevé le respect qu'elle se portait à elle même : il fallut devenir ce qu'on n'avait jamais été, un histrion lubrique qui ne se réjouit que dans le lucre. La Gauche donc se cantonna aux thèmes de l'IVG, de la PMA, de la GPA, du mariage pour tous, à la déification de l'homosexualité, aux libérations réduites aux désirs assouvis. L'âme n'a pas grand-chose à voir avec les aspects chrétiens si ce n'est que c'est normalement la partie immortelle de tout être, celle qui se transmet par la pensée, le bon sens, l'amour (si l'usage de ce mot est encore autorisé sans déclencher des éclats de rire). Pour ou contre les propositions sociétales faites relèvent de la morale pas de la politique, c'est à dire relevant d'un choix éminemment personnel et ne s'imposant d'aucune façon aux autres.

Malheureusement, les gens qui doutent, les gens qui écoutent, ceux qui observent sans juger sont parfaitement inaptes à diriger d'une poigne de fer une multitude sans sens civique. Mais c'est une foule de ce type que les privilégiés ont construite. On peut rêver de dirigeants honnêtes, sincères, compétents, mais on se réveillera rapidement.

Les pays occidentaux se transforment peu à peu en autocraties qu’ils disent combattre : ils ont les mêmes caméras, les mêmes algorithmes, les mêmes forces policières, les mêmes crédits militaires…


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