Le droit de propriété, un droit naturel ? Certainement pas

par L.F.
lundi 4 février 2013

L'article 2 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 définit dans son article 2 les « droit naturels et imprescriptibles de l'homme » : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. Son article premier ayant établi que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », on peut ajouter à la liste de ces droits naturels l'égalité.

Or il apparaît qu'un de ces droits est un intrus : le droit de propriété. C'est l'objet de cet article que de démontrer l'illégitimité du droit de propriété à être qualifié de « droit naturel et imprescriptible de l'homme » aux côtés de la liberté, de l'égalité, de la sûreté et de la résistance à l'oppression.

N.B. : Je ne prendrais pas le temps ici de démontrer en quoi les autres droits présentés comme « naturels et imprescriptibles » le sont, et ce pour plusieurs raisons :

 

Tout d'abord, que signifie donc cette expression : « droits naturels et imprescriptibles de l'homme » ?

Quelques définitions s'imposent : (1)

De ces définitions, nous pouvons déduire qu'un droit « naturel et imprescriptible » est :

Or il m'apparaît clair que le droit de propriété n'est ni inné, ni inaliénable, ni imprescriptible. Autrement dit, il n'est assurément pas un droit « naturel et imprescriptible »

 

Avant de démontrer cela, une question se pose : qu'est-ce que la propriété 

Un illustre prédécesseur dans la dénonciation du droit de propriété comme droit naturel ( et d'ailleurs du droit de propriété tout court ) répondit que « c'est le vol », mais cela ne nous avancerait pas beaucoup dans la démonstration.

Le Code Civil définit la propriété dans son article 554 dans les termes suivants : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. ».

 

Passons maintenant à la démonstration du fait que la propriété n'est ni innée, ni inaliénable, ni imprescriptible.

 

1)Le droit de propriété n'est pas inné

Le droit de propriété est une construction sociale, elle n'est pas inhérente au genre humain : voir à ce sujet le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes de Rousseau, où ce cher Jean-Jacques montre bien que l'établissement de la propriété va de pair avec celui de la société civile, notamment au travers de cette célèbre phrase « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. ». En effet, le droit de propriété suppose la reconnaissance de ce droit, car pour « jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » il faut évidemment que nos semblables nous laissent jouir de nos propriétés ; cela suppose aussi une force publique pour assurer ce droit.

Droit de propriété apparaît ainsi indissociable de société, ce qui lui enlève tout caractère inné.

De plus, jouir du droit de propriété suppose d'être propriétaire, ce qui n'est pas le cas de tous : un autre fait qui ne permet pas de qualifier le droit de propriété d'inné.

 

Le droit de propriété apparaît donc clairement comme n'étant pas un droit inné.

 

2) Le droit de propriété n'est pas inaliénable

On l'a vu, aliéner c'est ( entre autres ), « transmettre un droit » : or qu'est-ce que la vente, sinon la transmission du droit de propriété contre de la monnaie ? Qu'est-ce que le don, sinon la transmission gratuite du droit de propriété ?

Le point clé ici est que le droit de propriété n'existe pas si on n'est pas propriétaire  : on ne peut évidemment « jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » qu'à condition d'être propriétaire de « choses ». Et donc, vendre ses propriétés, cela revient à vendre son droit de propriété, et donc à l'aliéner.

 

Ainsi, le droit de propriété n'est pas un droit inaliénable.

 

3) Le droit de propriété n'est pas imprescriptible

On l'a vu, le droit de propriété s'exerce nécessairement sur une chose, un objet.

Or cet objet peut très bien disparaître du fait de l'action du temps, le cas le plus évident étant celui des animaux. Ainsi, un agriculteur qui voit sa vache laitière mourir de vieillesse perd du même coup son droit de propriété sur elle, pour la simple et bonne raison qu'elle n'existe plus, et ce du fait de l'action du temps.

Examinons à présent le cas du vol : la punition de ce méfait s'appuie sur le fait qu'il est une violation du droit de propriété ( article 311-1 du Code Pénal : « Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui. » ). Or le vol dispose d'un délai de prescription : le délit de violation du droit de propriété n'est donc pas imprescriptible.

Comment donc le droit de propriété peut-il être considéré comme imprescriptible si on perd au bout d'un certain temps le droit d'obtenir la réparation de ce droit, entre autre par la restitution ( directement ou sous forme financière ) de l'objet volé ?

Ces deux exemples, si ils peuvent apparaître triviaux, n'en sont pas néanmoins des faits concrets qui montrent bien que le droit de propriété peut s'éteindre avec le temps.

 

De fait, le droit de propriété n'est donc pas imprescriptible.

 

De par ce qui précède, le droit de propriété n'est manifestement pas un droit « naturel et imprescriptible ».

Quelque chose qui illustre bien ce fait est qu'un mouvement politique, le communisme, ait pu et puisse toujours ( certes dans des dimensions moindres ) rassembler autour d'un programme ayant pour revendication centrale l'abolition de la propriété privée (2), c'est-à-dire la fin du droit de propriété pour les individus : on imagine mal un vaste mouvement politique se créer autour de l'abolition de la liberté ou de la fin de la sûreté.

Le droit de propriété apparaît donc clairement comme « l'intrus » parmi les droits naturels de l'Homme.

Cette intrusion s'explique très simplement : par « l'esprit de 1789 ». Car si on a surtout retenu la Bastille, il ne faut pas oublier que ce qui se passe en 1789, c'est la conquête par la bourgeoisie libérale d'un pouvoir politique à la hauteur de son pouvoir économique. Cette citation de Barnave, l'un des chefs de file de cette bourgeoisie libérale, est éclairante : « La nouvelle distribution des richesses appelle une nouvelle distribution du pouvoir ».

Pour cette bourgeoisie libérale, il est primordial de préserver le droit de propriété, car pour elle la légitimité politique repose sur la richesse : rappelons que la Constitution de 1791 prévoit un suffrage censitaire . De plus, la Grande Peur qui précède ( et cause ) la nuit du 4 août lui a fait prendre conscience que le peuple est susceptibles, en ces temps de famine, se ruer sur ses possessions. La rédaction de la Déclaration ayant lieu dans courant du mois d'août ( elle est votée le 26 ), cette peur est encore bien fraîche dans l'esprit des députés aux États Généraux : il n'est donc pas surprenant qu'ils aient placé le droit de propriété parmi les droits fondamentaux de l'Homme.

 

Mais, non contents de le qualifier de « droit naturel et imprescriptible de l'Homme », c'est lui qu'ils vont mettre en avant parmi ces droits naturels, et ce par l'article 17 de la Déclaration qui stipule que la propriété est « un droit inviolable et sacré ».

« Droit sacré » : terme intéressant. En effet, le sacré renvoie directement au champ religieux : ainsi donc, pas de religion de la liberté, de l'égalité ou de la résistance à l'oppression ; mais religion de la propriété, oui !

 

Cette question dépasse le simple aspect philosophique qui apparaît de prime abord : en effet, depuis le 16 juillet 1971 et la décision « liberté d'association » du Conseil Constitutionnel ( 71-44 DC ), la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 a acquis valeur constitutionnelle : le droit de propriété, tel que défini dans l'article 17, peut donc être invoqué pour censurer une loi, et l'a d'ailleurs déjà été, par exemple lors des programmes de nationalisations du gouvernement Mauroy en 1982. (3)

Sans forcément demander une révision constitutionnelle immédiate ( il y a bien d'autres problèmes bien plus urgents à régler ), engager une réflexion sur ce sujet, et plus généralement sur les grands principes que nous voulons voir respectés, ne me paraît pas inutile : avec pourquoi pas à la clé la rédaction d'une nouvelle Déclaration des Droits ?

 

 

(1)J'utilise les définitions données par G. Cornu dans son Vocabulaire juridique ( PUF, édition 2011 )

(2) K. Marx et F. Engels, Manifeste du Parti Communiste ( 1848 ) : « Les communistes peuvent résumer leur théorie en cette seule expression : abolition de la propriété privée. »

(3) Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/1982/81-132-dc/decision-n-81-132-dc-du-16-janvier-1982.7986.html

 


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