Le « droit international » existe-t-il ?

par Brutus
mercredi 15 novembre 2023

Qu'il s'agisse de la guerre en Ukraine ou du génocide en train d'être perpétré à Gaza, les dirigeants des pays membres de l'OTAN et leurs porte-paroles médiatiques omniprésents se gargarisent avec la notion de "droit international" pour condamner les uns et justifier l'action des autres, sans indiquer quelle institution est garante de ce "droit", ni quelle proportion de la population mondiale lui accorde une légitimité. La position ambiguë et l'impuissance de la cour Pénale Internationale sur la tragédie qui se déroule au Moyen-Orient montre hélas la vacuité de cette référence.

La Cour pénale internationale (CPI) a annoncé qu'elle ouvrait une enquête sur les crimes de guerre perpétrés par Israël contre Gaza depuis le 7 octobre.

Après sa visite à Rafah le 29 octobre, le procureur de la CPI, M. Karim Khan, a déclaré que ce qui se passait dans la bande de Gaza ne pouvait être accepté et qu'il espérait entrer à Gaza dans les prochains jours. Il a confirmé que les Gazaouis enduraient des « souffrances inimaginables », il a qualifié d’"intenable" la situation des familles innocentes piégées dans un enfer dont elles ne peuvent pas s'échapper, et il a souligné la nécessité de protéger les civils conformément au "droit international" (sic). Il a appelé Israël à respecter ce fameux "droit international", et il a rappelé que les infrastructures civiles – à savoir les maisons, les mosquées, les églises, les écoles et les hôpitaux – ne pouvaient pas être des cibles en vertu du "droit international humanitaire" (resic). En plus, il a demandé à Israël de ne pas retarder l'entrée de l'aide sanitaire dans la bande de Gaza, en précisant que le blocage de l'aide humanitaire constituait aussi un crime dans celui qui a provoqué cette catastrophe humanitaire sans précédent.

Le procureur Khan a appelé les états membres de la CPI et les organismes internationaux comme l'ONU à contribuer collectivement à faire respecter les Conventions de Genève, le "droit international" et les principes du Statut de Rome qui régissent la Cour, et à partager les preuves concernant les crimes et violations afin d'enquêter dessus et d'exercer des poursuites de manière appropriée.

Il faut rappeler que 42 états, dont la Chine et l'Inde n'ont ni signé ni adhéré au Statut de Rome, et que 31 états l'ont uniquement signé le sans le ratifier, dont les États-Unis, Israël, la Russie et le Soudan. Cela signifie que les pays (et non les moindres) les plus impliqués dans des conflits armés ne sont pas concernés par ce "droit international" qu'ils n'arrêtent pourtant pas de brandir commes'il s'agissait d'un texte sacré, révélé par un archange protecteur.

Des organisations palestiniennes de défense des droits des droits de l'homme, dont Al-Haq, ont demandé au procureur Khan d'enquêter et de poursuivre les crimes commis dans les territoires occupés depuis le 7 octobre, d'émettre immédiatement des mandats d'arrêt, et de rendre impossibles de nouveaux crimes, notamment en publiant des "déclarations de dissuasion".

Me Ahmed Abofoul, avocat international et chercheur juridique à Al Haq, a fait valoir que certains crimes perpétrés en Palestine ne nécessitaient pas l'accès à ce territoire pour faire l'objet d'une enquête. Il a évoqué les « appels au génocide » des responsables israéliens et le ciblage systématique et délibéré par Israël de biens indispensables à la survie de la population civile, notamment les boulangeries, les entrepôts de nourriture et les réservoirs d'eau. « Les informations sur certains de ces crimes sont déjà disponibles dans le domaine public », a déclaré Me Abofoul au journal Arab News. « Le procureur peut commencer à enquêter dessus, mais aussi sur plusieurs autres crimes contre l'humanité perpétrés en Palestine depuis des décennies, en particulier l’apartheid et la persécution ».

La Palestine est devenue membre de la CPI en 2015, et cette adhésion qui reconnaissait implicitement la Palestine comme un état à part entière était supposée ouvrir la voie à la responsabilité juridique, mais depuis, les Palestiniens ont déposé des dizaines de plaintes contre l’état d’Israël, sans résultats. De son côté, Israël, qui n'est pas membre de la CPI, affirme que ce tribunal international n'a pas compétence pour enquêter sur le conflit parce que la Palestine n'est pas un état souverain, une position soutenue par les États-Unis.

Mais en tant que signataire des Conventions de Genève, Israël est pourtant tenu d’enquêter et de poursuivre les crimes de guerre, y compris ceux commis par ses propres forces. Cela n'empêche pas ses dirigeants de refuser de coopérer avec la cour pénale, ni même d'empêcher l'accès à leur pays et l'entré à Gaza à la mission d'enquête de la CPI.

En mars 2021, l'ancienne procureure de la CPI, Mme Fatou Bensouda, avait lancé une enquête sur les crimes de guerre présumés commis par Israël dans les territoires palestiniens occupés de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est remontant à 2014. Cela faisait suite à un examen préalable qui avait duré six ans, à la suite d'une autre enquête ouverte par l'institution en 2009. Mais après le départ de Mme Bensouda de ses fonctions en juin 2021, le tribunal est resté silencieux sur ce dossier.

Compte tenu de la lenteur du travail de la CPI pour ce qui concerne la Palestine et du manque d'informations sur l'enquête menée par le bureau du procureur, on peut craindre qu'il soit trop tard quand une action sera éventuellement déclenchée, et non plus des déclarations. Pourtant, le même procureur avait réagi rapidement aux plaintes pour "crimes de guerre" en Ukraine, plusieurs pays l'ayant saisi immédiatement. En revanche, apparemment, aucun de ces états n’a demandé au procureur d’intensifier ses efforts et de rendre des comptes en ce qui concerne la Palestine, et du coup, le tribunal n’a pas non plus pris de mesures pratiques pour répondre aux crimes qui y sont commis encore aujourd’hui.

Me Abofoul, cité plus haut, considère que le cas de la Palestine est le « test décisif » pour la crédibilité de la CPI afin de prouver qu'elle est « véritablement le tribunal pénal du monde », et qu'elle doit montrer qu'elle considère les Palestiniens comme des êtres humains qui méritent des protections égales à celles des autres êtres humains en vertu du "droit international", et pour lui, "la conclusion de l'enquête et l'émission des mandats d'arrêt sont attendues depuis longtemps, il n'y a aucune raison pour que cela dure plus longtemps. L'endroit approprié pour Benjamin Netanyahu et les responsables de l'état israélien qui ont fait des déclarations génocidaires est une cellule à La Haye".

Pourtant, malgré le nombre de victimes civiles et les accusations de crimes de guerre, les Etats-Unis et les états inféodés, y compris ceux qui ont ratifié la CPI, continuent de soutenir Israël. Au cours de la troisième semaine de guerre, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Italie et le Canada ont signé une déclaration commune réaffirmant leur soutien à Israël et à son droit à se défendre, et les États-Unis, l'"allié" le plus proche d'Israël, s'opposent à toute enquête sur la situation palestinienne. L’administration Biden avait déjà rejeté l’ouverture de l’enquête par le tribunal en 2021, et cela n'a fait qu'engendrer l'impunité pour les abus passés et actuels. Or, la CPI est la seule institution internationale qui pourrait enquêter de manière impartiale et engager des poursuites sur les crimes présumés lorsque les autorités israéliennes « ne veulent pas ou ne peuvent pas » le faire. L’organisme d’enquête est la seule option juridique qui reste aux Palestiniens dans leur quête de justice. Mais seule la pression mondiale pourrait exiger une enquête appropriée, ce qui n'est pas le cas

Conclusion : la guerre n'est pas une affaire de "droit", international ou pas, mais un rapport de force. Hélas, même si les "juges intègres" subissaient moins de pressions et même si les états impliqués dans les conflits actuels rejoignaient la CPI, quelle valeur aurait un jugement par rapport aux armes si ce jugement n'est pas exécutoire et mis en œuvre par des "forces de l'ordre" en cas de sédition ? Or, les partie concernées ne reconnaissent même pas la légitimité de l'institution et n'y font référence que si ça les arrange. Alors...

 


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