Le F.N. « apaisé » pour un « nul »

par René Pichon-Costantini
samedi 28 mai 2016

Au bal du patriotisme, le F.N est-il un imposteur ?
 
Florian Philippot, au lendemain du passage plutôt réussi d’Arnaud Montebourg sur RMC, a trouvé une intonation patriotique pour décliner sur le mode copier-coller, les mêmes thèmes. Décryptons,

Leçon n°1 : le F.N. et la « matière »
Avez-vous déjà eu l’occasion d’épuiser votre énergie en discutant avec un propagandiste frontiste ?
L’enchainement des évènements de la vie peut réduire le discernement des plus faibles. Ils développent parfois un récepteur à la providence espérée. Si les privations sont devenues un mode de vie qui se généralise, l’idée de le laisser en héritage à nos enfants est insupportable. Ce désespoir est un formidable ferment pour l’idéologie frontiste.

Leçon n°2 : la méthode du F.N.
Elle consiste 1/ à solliciter la noblesse du cœur que chacun possède et 2/ à aller la corrompre en la recyclant dans l’exaspération saturée d’injustice et de souffrance.
La résistance de la société a des limites qui ont été franchies lorsque la référence de la pauvreté est descendue d’un cran. A la référence qui était celle du chômeur s’est substituée celle du travailleur pauvre. Ajoutez à cela la peur du déclassement et voilà donc la matière sur laquelle la propagande frontiste parvient à convertir le désespoir dans les urnes et à hystériser la peur du petit propriétaire de banlieue.

Leçon n° 3 : le ferment de la propagande du F.N.
Les populistes de droite sont faciles à identifier, ils affirment être les seuls dignes représentants du Peuple.
Ils font prospérer leur commerce avec l’effet turbo de la condescendance des élites politiques pour le Peuple. Souvent issues de la haute fonction publique, Elles produisent une telle charge de technocratie que le Peuple a compris que l’élite en question considérait inutile de partager un diagnostic et ses enseignements. Il suffit d’annoncer une mesure ou de la faire passer au 49.3.
S’ensuit un sentiment de dépossession qui alimente la colère populaire et le F.N. n’a plus qu’à faire prospérer ses intérêts.

Leçon n° 4 : les marqueurs de la méthode
1. Le style
C’est celui du verbe dur en écho à la colère du Peuple. Cette tonalité est un raccourci stratégique pour capitaliser la colère en bulletin de vote.
2. Le postulat
Le F.N. valorise le peuple quand l’élite le méprise. Alors quel est le postulat ? C’est tout simplement de postuler que le peuple est dans le vrai. Les gens ordinaires auraient donc une aptitude naturelle à la décence et à la vérité et le F.N. le cultive. L’erreur étant la désinvolture de Valls.
3. L’appel au peuple
Le Peuple étant reconnu par le F.N. comme propriétaire et gardien de toutes les vertus, il n’y a plus qu’à lui proposer d’être l’acteur de son destin en choisissant le F.N.
4. Le bouc émissaire
La tragédie du Peuple est magnifiée, il faut donc lui trouver un ennemi idéologique, le bouc émissaire responsable de ses maux. Oui mais voilà, au sein même du Peuple, des sensibilités différentes peuvent hésiter sur le choix de l’ennemi. Comment faire ? Très simple, le F.N. va surcharger l’ennemi idéal. A partir de là, il devient presque simple de faire du bouc émissaire la cause unique de tous les malheurs du Peuple jusqu’ à la détestation. Le F.N. organisera son buffet autour d’un plat unique qu’il n’a plus qu’à servir au Peuple : les juifs, les musulmans, l’Europe, l’Allemagne et bien sûr l’immigré.
Beaucoup plus rarement, l’évasion fiscale

Leçon n°5 : la « dédiabolisation » avec en plus l’absence
Absent du paysage politique depuis quelques semaines, le F.N. doit se réapproprier les marqueurs de la démocratie française. Il lui faut s’extraire de l’affadissement de la « France apaisée » Seulement voilà, la France n’est plus du tout apaisée… La loi El Khomri a rebattu les cartes et éloigné les français de l’hystérie nationaliste. Le F.N. ne l’a pas vraiment vu venir. Le F.N. est le grand absent des conflits sociaux.
Ce slogan de « France apaisée » trahit en fait l’incurie politique de l’extrême droite et donc son impuissance à avoir une vision pour le pays. Il va devoir se réaligner sur les marqueurs de la fusion idéologique des autres partis, la laïcité, le patriotisme, l’Etat Nation et l’Europe.
1. Sur la laïcité
La laïcité, c’est aussi la prédominance de la politique sur la religion. Les religions n’ont aucun droit intrusif dans l’exercice du pouvoir politique ou administratif. Mais que disait son fondateur, J-M Lepen ? Son premier cercle s’était élargi depuis les bénitiers intégristes et dans chacun de ses discours de l’époque, il faisait systématiquement référence à Benoit XVI.
En revanche sa fille est devenue une « laïcarde  » maximaliste pour en faire un levier électoral.
On va se parler franchement sur cette technique de rétorsion et j’ai une question pour les frontistes :
Ils sont des défenseurs de la Laïcité ? Pensent-ils que ce soit loyal que leur conviction profonde serve de levier électoral en prenant appui sur la partie sensible du débat, la question de l’Islam ? Allez, cédons au simplisme frontiste, notre mal c’est le chômage. Chaque français musulman a détruit combien d’emplois ? Evidemment, cet insupportable raccourci pourtant répandu, ne résiste pas à la révélation de la vérité, le désastre industriel de la France ! un secteur qui est livré aux patrons prédateurs de l'ordre capitaliste et qui ne contribue plus qu’à hauteur de 12 % à notre PIB pour 30% en 1980 ! Or l’industrie crée pour un emploi secteur, trois emplois hors secteur. N’est-ce pas humiliant pour les frontistes sincères d’être abusés par ce camouflage de la réalité ?
2. Sur le patriotisme et « l’Etat-nation »
Voilà une belle OPA, le père de la fille disait : que l’« Etat moloch à la fois monstrueux, tyrannique et impuissant » devait être remis en cause au profit du libéralisme économique. Il revendiquait même de rendre marginal l’Etat-providence » et l’« assistanat » comme à vaincre le « fiscalisme » en supprimant l’impôt sur la fortune, tout en renforçant les fonctions répressives de l’Etat (armée, police)
Et sa fille ? Elle a fait un 180 ° sidérant. Elle revendique un « Etat stratège protecteur » Mais bon sang, sans être un partisan borné, c’est une thématique de la gauche alternative depuis 2010 ! On a tous lu ça dans la profession de foi d’Arnaud Montebourg en 2011 et même celle de J-L Mélenchon, voire celle de Nicolas Dupont Aignan… Alors en mai 2016, quel sens (directionnel) il faut donner aux propos un peu opportunistes de Florian Philippot quand il reprend très exactement les mêmes thèmes sur le mode patriotique ? Cette géométrie variable n’a-t-il pas d’autres visées que des visées électoralistes par un rattrapage opportuniste ?
Une dernière chose qui pourrait rassembler : « Egalité Fraternité » Qu’en fait le F.N ?
C’est sa nouvelle fausse barbe. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a rien de tout ça dans l’idéal maurassien qui les inspire. Leur fondement idéologique est celui des hiérarchies dites « naturelles » souvent sur des critères douteux entre les groupes sociaux.
Ce n’est pas bleu blanc rouge, c’est bleu pâle, blanc sale, rouge sombre...
Est-ce que les électeurs frontistes, au plus profond de leurs intentions souhaitent cet étendard là pour le pays ?
Qu'ils prennent la mesure de cette dérive idéologique. Elle révèle un concept de « liberté, sécurité, équité » qui n’a rien à voir avec celui que nous connaissons tous de « liberté, égalité, fraternité »
Autrement dit, cette rhétorique de justice sociale est réservée aux Français seuls et non à tous ceux qui travaillent en France. Et vlan, voilà la fausse note de la bonne vieille mélodie d’« au bon vieux temps des colonies »
3. Sur l’Europe
Tout le monde sait bien que les traités ne sont pas renégociables en claquant des doigts. Alors à quoi joue Florian Philippot qui pourtant est affûté au débat politique, lorsqu’ il s’inspire d’une profession de foi qui n’est pas la sienne pour proposer la renégociation des traités ? Sortants de l’Europe et de l’Euro aux élections européennes, les voilà qui suggèrent le maintien tout en jouant sur la fibre anti européiste des français. 
 En vérité, Le F.N. a fait prospérer son fonds de commerce et ses analyses sur la stigmatisation des immigrés, des arabes, des noirs, des juifs, des roms, des fonctionnaires, des gaullistes, des communistes, des socialistes, des républicains et… de l’Europe !
Ses analyses et ses diagnostics sont mutants et opportunistes. Ce discours s’est atténué récemment mais les électeurs « convaincus » devraient s’interroger sur les motivations des dirigeants du FN qui multiplient les déclarations savamment contradictoires pour faire croire à chacun ce qu’il veut entendre. Quelle est la part de sincérité et de considération pour leur bulletin ?
Ce qui distingue les démocraties des totalitarismes, c’est qu’elles reconnaissent les clivages et les différences et qu’elles les légitiment. « Au F.N. l’unité est postulée, tous derrière un Chef, un régime, une Nation… » une certaine idée de la hiérarchie des différences. Ce programme inquiétant est à géométrie variable

Sérieusement, est-ce que ça vaut le coup de fracturer le pays pour assurer l’introduction en "bourse" de la famille Lepen à laquelle il faut bien reconnaitre un certain génie politique ? Bien sûr, cela n’est concevable qu’avec une offre alternative audacieuse et fédératrice, sinon...
 

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