Le faux pas dont on se congratule

par Michel Koutouzis
vendredi 23 mars 2012

Maintenant que l’affaire de Toulouse est derrière nous et que les esprits se calment peu à peu, il serait peut-être temps d’en faire une « expertise » sur son déroulement. Avant toute chose un constat implacable : Merah, mine d’or pour le renseignement, aurait dû être pris vivant, coûte que coûte. Même s’il s’agit vraisemblablement d’un « loup solitaire », il est loin du profil d’un Ted Kaczynski (Unibomber) caché dans sa forêt. Grand voyageur, ayant à plusieurs reprises visité l’Afghanistan et le Pakistan (d’ou les services avaient des informations préliminaires), dès son premier meurtre il avait montré un sang froid qui, en tant que tel aurait dû être analysé après sa capture. Pourtant, lieux et personnes liés à son instruction militaire (évidente) resteront une énigme. Tout comme un itinéraire initiatique présupposé dont on aurait voulu avoir le détail. Une seule option reste une variable incontrôlée, le suicide. Or, dans ce cas, généralement, on fait ce qu’on peut pour l’éviter : on laisse moins de temps, moins de répit, moins d’alternatives, introduisant confusion et gaz lacrymogènes très vite après l’encerclement. L’option « fuite », balcon, fenêtre, égouts n’en est pas une : les tireurs d’élite, ayant comme ordre de neutraliser de manière non létale le suspect doivent être positionnés et attendre sa tentative de fuite. Bref, derrière le terroriste identifié il existe une matrice qui en fabrique et qui fabriquera d’autres. L’enjeu est là.

Rien, nous dit-on, ne permettait à la légalité républicaine d’appréhender l’individu « avant les faits ». Même s’il existait une « fenêtre légale » dans ce sens, il ne fallait pas l’utiliser. L’objectif aurait dû être de suivre ses faits et gestes, au quotidien, avec un double choix : soit laisser faire et intervenir avant l’attentat, soit faire comprendre la présence des forces de l’ordre, chaque jour un peu plus, afin de tenter, in fine, une procédure de retournement. Hélas, le (déjà) suspect a été abandonné à son sort, délaissé pourrait-on dire, dans son délire. Voilà donc un (rare) sujet, encyclopédie vivante d’une forme précise de modus operandi, émettant des signes multiples, interdit de séjour et de voyage aux Etats-Unis, que l’on « oublie » comme si ce genre de profil courait les rues. Si tout cela n’avait pas été fait avant le premier assassinat, la corrélation avec le profil du tueur aurait dû être faite tout de suite : combien d’individus ont tenté d’entrer à la légion, fait un séjour en Afghanistan-Pakistan, en hopital psychiatrique, en prison, et être signalés comme proches des idéologies islamistes ? Et que faut-il de plus ? La deuxième puis la troisième tentative ? Bien entendu, la réponse « on connaissait pas son adresse, n’est pas seulement irrecevable, mais elle prouve que à tous les échelons on a mal fait son travail d’évaluation et de « pointage ». Le terrorisme islamiste a connu, par le fait de choses et de la répression, une évolution dont on savait pertinemment qu’elle se dirigeait vers des actions de moins en moins collectives et de plus en plus individuelles. Sur l’affaire Merah on a loupé le coche pour mieux appréhender cette évolution. Dommage. 


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