Le feuilleton Sarkozy dans « France-Dimanche » : un bien curieux montage
par Paul Villach
mercredi 24 décembre 2008
Il faut une affiche placardée à la vitrine d’un marchand de journaux pour se souvenir qu’un journal comme « France-Dimanche » continue d’exister, qu’il est tiré à plus de quatre cent mille exemplaires, qu’il est lu par au moins trois fois plus de lecteurs et qu’il est une des sources d’informations, sinon la seule, pour un marais d’électeurs dont le vote peut décider d’une élection à quelques infimes pourcentages près.
La crise économique et financière a beau s’étendre, elle reste ignorée de l’hebdomadaire qui n’en a que faire et ses lecteurs aussi sans doute. Même avec ses 50 milliards de dollars de perte, le financier Madoff n’a pas gagné, cette semaine, le droit de faire « la une » de France-Dimanche. Il lui a manqué sans doute des amours tumultueuses. La spécialité de la maison est, en effet, « l’information indifférente » qui ne fâche personne, avec la vie des stars : et, on peut l’en croire, elle n’est pas de tout repos ni si enviable qu’on veut bien le dire. La preuve en est ici donnée !
Trois apparentements terribles
On aurait, cependant, bien besoin des lumières de feu l’inspecteur Derrick, si féru de psychologie, pour percer le mystère des trois apparentements terribles de cette première page. Trois vignettes d’un roman photo, mises hors-contexte, sont, en effet, ici curieusement associées, comme trois pièces d’un même puzzle mais pour insinuer quelle histoire ?
Deux d’entre elles opposent deux couples dans un violent contraste : feignant d’avoir été filmés à leur insu et/ou contre leur gré pour faire croire à « une information extorquée » fiable, l’un s’éclate et l’autre est effondré. Quel lien entre les deux ? Là, pas besoin d’être Derrick pour le deviner : c’est M. Nicolas Sarkozy. Les deux femmes sont son ancienne et sa nouvelle épouse. Tandis que la nouvelle est aux anges et en adoration devant son nouvel époux qui rayonne, l’ancienne porte le masque de l’affliction aux yeux vides.
Sans les légendes qui éclairent les raisons des effets livrés par ces deux métonymies, les images, hors contexte par structure, resteraient inintelligibles. « Carla et Nicolas Sarkozy – Noêl sous le soleil de Rio ! », annonce donc l’une ; et « Cécilia : son mari harcelé par la police ! » explique l’autre. On peut, comme on le voit, vraiment faire dire ce qu’on veut à une image.
Un montage de deux bulles autour d’un personnage ?
Est-il toutefois anodin que l’une des femmes reste sans patronyme ? Sans doute, appeler par son prénom l’ancienne épouse, est-ce répondre au réflexe d’identification du ballot de lecteur qui croit entretenir une relation d’intimité avec la star. Mais n’est-ce pas aussi lui ôter le nouvel état civil que lui a conféré son nouveau mariage ? La nouvelle épouse, elle, est bien identifiée sous le patronyme de Sarkozy, alors que l’ancienne qui ne l’est plus, paraît ne pas en avoir trouvé d’autre.
Et puis la disposition des vignettes intrigue : est-elle due au hasard ? Ne faut-il pas lire les deux petites comme de simples bulles placées au-dessus des personnages de la vignette la plus grande, selon l’usage de la bande dessinée. Il s’agirait alors, dans ce cas, des réflexions de l’ancienne épouse dont le regard mort laisse supposer qu’elle est tout entière assaillie de terribles interrogations : n’établit-elle pas une relation entre son ex-mari et le harcèlement supposé de son nouveau mari ? La police qui en est accusée, n’en serait-elle pas le bras armé ? L’hilarité de son ex ne serait-elle pas, par métonymie, l’effet produit par les ennuis que son mari connaît ? Ne serait-il pas en train de lui faire payer son divorce ?
Et pour achever de convaincre le lecteur de ce délire, la vignette juste au-dessus ne renvoie-t-elle pas par une intericonicité fracassante à un épisode douloureux sinon rocambolesque ? Peu importe ici que la légende concerne Albert de Monaco. La formule, « Il annule tout ! », est identique à celle d’un fameux SMS que, selon un journaliste du Nouvel Observateur, son ex-époux lui aurait adressé juste avant d’épouser Carla Bruni et qu’elle a mis plus d’un mois à démentir ; et encore a-t-il fallu un interrogatoire de police après le dépôt de plainte de son ex.
Ce montage de photos hors-contexte peut-il être le fruit du hasard ? Dans ce cas le hasard ferait bien les choses. Puisqu’il y a un public avide de ces fadaises, France-Dimanche continue à raconter à sa façon le roman-photo des Sarkozy. On en est à l’insinuation d’une vengeance après un divorce où il s’en serait fallu d’un fil pour qu’il n’eût pas lieu. Le feuilleton qu’on croyait clos promet de nouveaux rebondissements : une vendetta est en vue pour les prochains épisodes. Les lecteurs de France-Dimanche peuvent se rassurer : leur journal garde sous le coude de quoi en 2009 leur faire oublier la crise et continuer à les abêtir.
Paul Villach