Le génocide des Galates

par Clark Kent
lundi 2 mai 2016

Si beaucoup d’historiens refusent d’utiliser le terme de "génocide" pour qualifier l’anéantissement par Jules César de 2 millions de Gaulois sur une population de 7 millions des habitants de ce qui est grosso-modo le territoire actuel de la France durant la « guerre des Gaules », le doute n’existe pas en ce qui concerne le massacre des Galates relaté par Tite-Live sans ambigüité.

Les Galates sont un ensemble de peuples celtes qui, dans l’Antiquité, ont migré dans le centre de l’Asie Mineure, région nommée depuis « Galatie ». Lors de la « grande expédition » en - 279, des troupes celtes avaient gagné la Macédoine, puis une partie avait traversé le Danube près de la ville de Galați (en Roumanie actuelle) et essaimé en Europe centrale ou était retournée en Gaule, vers Toulouse (Volques Tectosages).

L'autre partie (les Galates), placés sous le commandement de Lutérios et Léonorios, avaient franchi l’Hellespont (détroit des Dardanelles), à l’invitation du roi Nicomède Ier de Bithynie qui leur donna des terres situées au sud de son royaume, sur les bords du Sangarius pour l'avoir aidé à sauver son trône.

En - 192 lAntiochos III, allié aux Celtes de Galatie, envahit la Grèce, et fut élu commandant en chef de la Ligue étolienne. Se déclarant « champion de la liberté grecque contre la domination romaine", il fit la guerre contre la République romaine en Grèce continentale, et fut vaincu par les Romains aux Thermopyles en - 191, le forçant à se retirer de l' Asie Mineure.

Les Romains furent alors entraînés en Asie en tant qu’alliés de Pergame, et contre les armées d'Antiochos et ses alliés galates. Antiochos fit alors un usage immodéré des troupes celtiques. A la bataille décisive de Magnésie Sipylum, en -190, il s’est appuyé sur les Galates, et en particulier leur cavalerie. Mais, malgré l’intervention des Celtes, les Romains ont remporté la victoire et, en même temps, la guerre sur Antiochos.

À la suite de cette défaite, des représailles romaines se sont traduites par des pillages et autres atrocités guerrières. Mais, ce n’était qu’un avant - goût de ce qui se préparait. Le nouveau commandant romain, Gnaeus Manlius Vulso s’était fixé une tâche très spécifique : l'extermination des Celtes asiatiques.

« UNE RACE DE BÂTARDS »

Cette campagne de Manlius contre les Galates en -189 illustre la mentalité romaine. Contrairement aux villes riches que les Romains avaient toutes pillées, la zone dans laquelle les Galates vivaient n’était ni riche ni fertile. Par exemple, la région d’Axylon habitée par la tribu des Tolistobogi est décrite ainsi : « non seulement elle ne possède rien sous la forme de forêt, mais pas même les ronces ou les buissons épineux n’y poussent, ni quoi que ce soit qui puisse être utilisé comme carburant. Les habitants utilisent la bouse de vache à la place du bois »(Tite - Live, 38:18).

Manlius n’avait pas non plus reçu de directives de Rome pour détruire les Galates  : « Quand il a constaté que les sujets du roi étaient calmes et qu'il n'y avait rien pour justifier des hostilités, il a entrainé ses troupes contre les Galates, une nation contre laquelle aucune déclaration de guerre n’avait été faite soit par l'autorité du sénat soit par l'ordre du peuple »(Tite - Live, 38, 46).

La vraie raison de la campagne génocidaire de Vulso semble avoir été purement « raciale ». Le général romain s’exprime sans équivoque dans un discours à ses troupes avant la campagne à propos des Galates :

« Ce sont des dégénérés, une race de bâtards, comme leur nom l’indique : Gallogrecs. Tout comme dans le cas des fruits et du bétail, la semence n’est plus assez efficace pour maintenir la souche que la nature du sol et du climat dans lequel ils sont élevés sont en train de changer ' (Livy 38:17).

Tout au long de ce discours les « Galates » sont assimilées aux animaux, ce qui reflète l’idéologie des Romains « civilisés » et leur attitude envers ces « barbares ». Cette conviction semble avoir marqué profondément la mentalité romaine à cette époque : « Ne croyez pas, sénateurs, que seul leur nom de Gallogrecs soit un mélange ;  leurs corps et leurs esprits sont encore plus mêlés et corrompus "(Tite - Live,38:46).

GORDION

Les historiens romains nous apprennent que, peu de temps après son discours, Manlius traversa la rivière Sangarius, et arriva à la colonie galate de Gordium, pour constater qu'elle avait été « abandonnée par ses habitants ».

Or, une preuve archéologique fournie par les fouilles réalisées sur le site raconte une histoire assez différente. La couche de destruction de la colonie celte de cette période indique clairement que cette ville-marché a été soumise à une entreprise complète et brutale de destruction, et indique que les intentions des Romains concernant la population Galate allaient bien au - delà des objectifs militaires.

Les survivants de la tribu Tolistobogi tentèrent de trouver refuge au mont Olympe de Bithynie (Uludağ, aujourd’hui) où leur extermination est décrite en détail par Tite-Live : « Devant les légions de Vulso se trouvaient les vélites, les archers crétois et ainsi que les Thraces. L'infanterie lourde avançait lentement car le terrain était raide et les soldats tenaient leurs boucliers devant eux, pour éviter les pierres que les Celtes jetaient sur ​​eux. Les boucliers des Galates n’étaient pas suffisamment larges pour couvrir leurs corps. De plus, ils n’avaient pas d'armes, sinon leurs épées, mais comme ils ne pouvaient pas en venir aux mains, elles étaient inutiles » (Tite-live op cit). Ils ont essayé de faire usage de pierres, mais ils ne pouvaient pas rivaliser contre la grêle meurtrière de projectiles qui pleuvait sur ​​eux.

Tite-Live décrit la scène avec un certain enthousiasme :

 « De tous côtésils étaient touchés par les flèches, les boulets et les javelots qu’ils étaient impuissants à parer ; aveuglés par la rage de ne pas trouver ce qu'ils devaient faire dans ce genre de combat pour lequel ils n’étaient pas équipés. En combats singuliers où ils pouvaient aussi bien recevoir qu’infliger des blessures, leur fureur stimulait leur courage, alors que quand ils étaient blessés par des missiles jetés à distance par un ennemi invisible et qu’il n'y avait personne à combattre, ils se précipitaient témérairement contre leurs propres camarades comme des bêtes sauvages qui ont été harponnées ... Alors , ils traînaient partout, et quelques-uns qui s’étaient précipités vers le bas sur leur ennemi étaient percés de missiles de tous les côtés ; ceux qui avaient approché de près les vélites les tuèrent avec leurs épées. Un grand nombre de missiles a été lancé sur la foule parquée dans le camp, et les cris, mêlés aux lamentations des femmes et des enfants, montraient que beaucoup avaient été blessés " (Tite - Live 38 : 21-22).

Ceux qui ont tenté de fuir ont été abattus par la cavalerie romaine

Alors que la poussière retombait sur « la victoire » de Vulso au mont Olympe de Bithynie, l'ampleur du massacre a semblé surprendre les Romains eux - mêmes. Les deux sources indiquent bien le même nombre de 40.000 prisonniers, mais le nombre de morts varie de 10.000 à 40.000.  « Il avait été tué un si grand nombre qu'il était impossible de les compter.

CHIOMARA

Sur les 40.000 hommes, femmes et enfants capturés par les Romains, seul le sort d’une princesse celtique appelée Chiomara (Χιομάρα), épouse du souverain de Galatie Ortiagon, est connu. 

Alors que son mari avait apparemment échappé au massacre, Chiomara avait été capturée par les Romains. Elle fut violée par le centurion entre les mains duquel elle était tombée, et celui-ci eut l’idée de la restituer contre rançon à sa famille. Plutarque indique que cet officier romain dut sa propre perte à son avidité. Afin que ses hommes ignorent le montant de la rançon, il avait demandé à la princesse de choisir des prisonniers comme émissaires. Lorsque la rançon fut payée, le Romain prit congé, Chiomara fit signe à l'un des Celtes qui l’escortaient. Celui-ci coupa aussitôt la tête du centurion.

Puis elle rejoignit son mari qui avait trouvé refuge auprès de la tribu des Tectosages près de Ancyre (Ankara). Avant d’embrasser son mari, Chiomara jeta la tête du Romain à ses pieds. Quand elle lui raconta ce qui était arrivé, Ortiagon dit : « Ah ! ma femme, il est bon de garder la foi ". Chiomara répondit : "Oui, mais il est encore mieux qu'un seul des hommes qui ont couché avec moi soit resté en vie. ". (Polybe op cit ; cf. Livy 38:24) .

Mais hélas, à part Chiomara, il n'y a aucune mention des milliers d'autres prisonniers faits esclaves par les Romains à l'Olympe, et on peut supposer que leurs histoires n’ont pas connu une fin aussi heureuse.

ANCYRE

Après sa victoire, Vulso jeta son dévolu sur la tribu des Tectosages. Après trois jours de marche, il atteignit Ancyre (Ankara), à dix milles du camp des Galates. Face à l'avance romaine, les guerriers celtes tentèrent une action défensive afin de donner à leur famille le temps de traverser la rivière Halys (Le Kızılırmak), et d’échapper à l'assaut romain. La « bataille » qui suivit semble avoir été une reproduction des événements du mont Olympe de Bithynie. 

Mais les 8.000 Celtes qui sont morts à Ancyre ne sont peut-être pas morts en vain, car ils avaient retenu les Romains assez longtemps pour que ce qui restait des tribus Trocmes et Tectosages traverse la rivière et se trouve hors de portée des légions de Vulso.

BILAN DU GENOCIDE

La campagne de terreur de Vulso contre les Galates en été - 189 avait laissé des dizaines de milliers de morts ou esclaves de « cette race dégénérée »(sic), et ses actions sont décrites comme une série de « batailles victorieuses » par les Romains et les historiens néo-classiques. Pour leur service héroïque il avait doublé la solde ses légions, et lors de son triomphe ultérieur à Rome Vulso a paradé en exhibant le fruit de ses pillages : « 200 couronnes d' or, pesant chacune 12 livres, 220.000 livres d'argent, 2103 livres d'or, 127.000 tetrachmas, 250 cistophori, 16.320 pièces de monnaie d' or de la frappe de Philippe, et une grande quantité d'armes et de butin pris aux Gaulois, qui ont été transportés dans des charriots. Cinquante-deux des chefs ennemis étaient conduits devant son char. Beaucoup de ceux qui suivaient son char avaient reçu des récompenses militaires, et il était clair à entendre les chansons que les soldats chantaient qu'ils lui adressaient comme une reconnaissance générale »(Tite - Live 39 : 7).

Il est vrai que Vulso a ensuite été critiqué par des membres du sénat romain pour ses actions en Galatie (Livy 38 : 46-47). Mais ce n’était pas pour les multiples assassinats, ni pour les viols, ni pout l’extermination de la population de Galatie, c’était parce que, selon ses adversaires, sa campagne n'avait pas été assez efficace !


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