Le grand délire d’Emmanuel Todd

par Fergus
lundi 4 mai 2015

Le 7 mai va sortir aux Éditions du Seuil le nouveau livre d’Emmanuel Todd : « Qui est Charlie ? ». Un ouvrage polémique dans lequel l’historien-démographe brosse un portrait au vitriol des manifestants du 11 janvier...

Emmanuel Todd était lundi matin dans la matinale de France-Inter. Venu répondre aux questions de la rédaction et de quelques auditeurs sur la sociologie des manifestations du 11 janvier, il a pu exprimer tout le mal qu’il pense des fondements idéologiques et culturels qui ont poussé des millions de Français à descendre ce jour-là dans la rue.

En résumé : ces masses de manifestants ont répondu à l’appel de l’exécutif ; elles étaient essentiellement constituées de personnes appartenant aux classes moyennes et supérieures ; elles étaient principalement issues de la population catholique provinciale bon teint – tendance « antidreyfusarde » ! –, soucieuse de préserver ses acquis culturels dans un réflexe conservateur et nationaliste ; elles étaient animées d’une évidente islamophobie, attentatoire à la « religion des faibles », et potentiellement porteuse de dérives antisémites.

Où diable Emmanuel Todd est-il allé chercher tout cela ? On n’ose croire qu’il a écrit ce livre sous un angle volontairement polémique pour doper les ventes en librairie. Faut-il donc voir dans ce ramassis d’âneries la conséquence d’une exposition prolongée aux effets du cannabis ? Ou bien encore le résultat d’une grande fatigue intellectuelle ? On se perd en conjectures...  

Ainsi, lorsque Todd affirme que 4 millions de Français sont descendus dans la rue le 11 janvier à l’appel de Hollande et Valls, c’est faux. Indiscutablement faux. Non qu’il n’y ait pas eu, ici et là, des personnes sensibles à cet appel. Mais, dans le contexte de rejet de l’action et de la parole des caciques de l’exécutif, elles ont probablement été très minoritaires. À cet égard, il faut savoir que, dans de nombreuses villes de France, des rassemblements spontanés se sont tenus dès le soir de l’attentat contre Charlie Hebdo. Cela a été le cas jusque dans ma ville de Dinan, à l’initiative de dizaines de lycéens.

Quant à la composition sociologique des manifestations, elle ne correspond manifestement pas aux conclusions extrapolées par Todd à la lecture de cartes de nature différentes, réalisées à des années d’écart et utilisées, à la manière d’un chausse-pied, pour faire entrer des pseudos faits dans une conviction forgée avant même que les premiers manifestants du 11 janvier ne posent les pieds sur le macadam des rues. Ingénument, Todd l’a d’ailleurs implicitement avoué en affirmant sur France-Inter qu’il n’était pas allé dans l’un de ces cortèges, en sachant pertinemment ce qu’il y trouverait. Comprenne qui peut !

En l’occurrence, cette absence confine à la faute professionnelle. Voilà un sociologue qui boude l’un des évènements majeurs de ce début de siècle en France, une occasion d’étude de terrain tout à fait exceptionnelle. N’importe lequel de ses collègues se serait précipité dans la rue pour observer les cortèges, lire les banderoles, écouter les propos des participants, interroger des manifestants pour comprendre leurs motivations profondes.

Or, rien de tel avec Emmanuel Todd : drapé dans ses certitudes, il a snobé les défilés, jeté un regard condescendant sur les participants, et tout fait depuis le 11 janvier pour travestir la réalité du terrain en la regardant à travers le prisme déformant de ses préjugés. Ce n’est évidemment pas sérieux, et nombre de spécialistes des sciences sociales ont, d’ores et déjà, exprimé leur profond désaccord avec la thèse défendue par Todd.

Les défilés du 11 janvier ont regroupé des personnes venues d’horizons très différents, et cela des parents, des amis, des voisins, l’ont constaté en différentes villes de France. Il y avait des croyants – y compris musulmans – et des non-croyants ; des Français de gauche et des Français de droite ; des participants de tous les âges ; des patriotes et des libertaires ; des personnes qui approuvaient les caricatures du prophète et d’autres qui les condamnaient ; des gens venus soutenir la liberté d’expression, d’autres venus exprimer leur solidarité avec les victimes juives de l’Hyper Cacher ; des manifestants qui proclamaient « Je suis Charlie » et d’autres qui affirmaient ne pas l’être.

Mais pour se rendre compte de cela, encore eût-il fallu que Monsieur Todd ôte ses œillères. Dommage car il arrive que cet intellectuel énonce des vérités nettement moins discutables. Par exemple lorsqu’il dénonce dans l’Obs le fait que « notre pays est devenu inégalitaire, ultraconservateur et fermé ». Et cela en pointant d’un doigt accusateur l’exécutif en place : « Hollande aura eu un rôle historique : celui de révéler que la gauche pouvait se concilier avec les structures les plus inégalitaires, prouvant par là même que le système politique français est totalement détraqué. »

Voilà l’Emmanuel Todd que l’on apprécie tant son regard porté sur la vie politique est frappé au coin du bon sens. Pourquoi donc s’est-il fourvoyé en écrivant des inepties sur le 11 janvier ?


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