Le grand méchant capitalisme

par Bernard Mitjavile
vendredi 11 mai 2018

De même que lors de débats virulents sur des thèmes politiques ou culturels sur Internet, on atteint au bout d’un moment le point Godwin quand l’un des participants accuse l’autre de nazisme, pour les débats d’ordre plutôt économiques ou écologiques, on atteint un point où, devant la complexité des questions soulevées, l’un des participants prononce une phrase fatidique « tout cela c’est la faute au capitalisme » ou au système capitaliste ou pour faire court "au système" ou encore, expression mise à la mode par certaines tendances du FN et par les « Patriotes » de F Philippot, à « l’oligarchie mondialiste » qui a remplacée la « finance juive mondiale » avec ses forts relents d’antisémitisme.

Bien sûr, c’est pratique d’avoir une explication globale pour tout ce qui ne va pas dans notre monde et cela permet de rassembler assez largement sous une même bannière, des membres des « black blocs », gauchistes, écolo-radicaux, mélenchonistes aux personnes à l’aile gauche du PS. On a à faire ainsi à une autre forme de point Godwin, Hitler étant simplement remplacé par le capitalisme. D’ailleurs un certain nombre de gens vous servent une analyse marxiste supposée prouver qu’Hitler n’était qu’un sous-produit du capitalisme.

Un thème du Parti Socialiste a été qu’il fallait « rompre avec le capitalisme », idée fleurant bon les années Mitterrand et qui a justifié la vague de nationalisations du programme commun et de dénationalisations consécutives sans apporter aucun changement notable sinon un début d’envolée de la dette publique et une série de scandales politico-financiers retracés dans des livres comme « Mitterrand et les 40 voleurs » de Jean Montaldo. Par la suite, on a eu une nouvelle version avec le "notre ennemi, c'est la finance" de F Hollande suivi de reculs et contradictions semblables.

Si lors d'un débat vous n’êtes pas d’accord avec ce genre de mise en cause systématique du capitalisme, vous pouvez toujours demander une définition claire de ce que votre contradicteur entend par le capitalisme : s’agit-il des institutions garantissant un marché libre, du droit de propriété, du droit d’entreprendre, de faire du profit et de le réinvestir, accumulant ainsi le capital productif et donc de la propriété privée des moyens de production. Personnellement, j'ai obtenu des réponses assez vagues.

Ainsi récemment, lors d’un débat sur Marx sur AgoraVox, j’ai eu droit à une réponse intéressante à mes questions insistantes sur la nature du capitalisme : « La plus grande ruse du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas. C’est un peu la même chose pour le capitalisme ». Il est paru clairement que pour pas mal de gens à gauche, le capitalisme avait repris le rôle de la figure du diable, utilisé dans le passé lors de procès de l’inquisition et autres.

Cette déclaration jette une certaine lumière sur les parallèles faits par certains entre les procès en sorcellerie de la fin du Moyen Âge et les procès de Moscou initiés par Staline ou les séances d’autocritiques dans des camps de rééducation du maoïsme, en Indochine ou à Cuba. Dans ces différents cas, on utilise des concepts comme le diable, l’impérialisme, le capitalisme ou la classe bourgeoise qui ont des contours très flous. Un intellectuel utilisant toutes les ressources de la langue de bois pouvait ainsi prouver à l’aide d’un peu de torture carcérale que l’accusé, un koulak par exemple, fils de paysan, avait une mentalité « petite bourgeoise » et qu’il était un ennemi de classe.

Par certains côtés, le capitalisme n’est pas quelque chose de vraiment nouveau. On trouve par exemple des formes de libre marché en Mésopotamie autour de l’an 3000 avant JC. et plus tard dans les cités grecques qui pratiquaient également une forme de libre échange. On peut noter dès ces époques reculées que le libre échange s’accompagnait d’un espace de liberté laissé par les Etats aux commerçants et entrepreneurs alors qu’un contrôle étatique sur les marchés comme en Egypte autour de l’an 3000 avant JC ou dans l’empire Perse au temps des cités grecques s’accompagnait d’une diminution de ces libertés.

Cela a été le cas tout au long de l’histoire. Ainsi dès le Moyen Age, le développement du commerce dans les villes et les grandes foires s’est accompagné d’un recul du pouvoir féodal et d’une plus grande liberté accordée aux individus, ce mouvement se renforçant dans les villes du nord de l’Italie avec les débuts d’institutions financières. D’une façon générale, les pays comme l’Angleterre et l’Europe occidentale qui ont développé une forme de capitalisme allant avec le libre marché à partir du 17ème, accordaient plus de liberté à leurs sujets que l’Europe de l’Est ou la Russie où ces formes de capitalisme sont beaucoup plus tardives.

Contrairement à une image répandue, la vie dans les campagnes avant l’industrialisation n’était pas idyllique, c’est même une des raisons pour laquelle de nombreux travailleurs journaliers qui vivaient tout juste au dessus de la misère, sont partis vers les villes. Au 17ème siècle, Fénelon comme Vincent de Paul dépeignent la misère noire qui était répandue dans campagnes sous le règne de Louis 14, la situation s’améliorant quelque peu au 18ème siècle avec les débuts de l’industrialisation.

Bien sûr, il ne s’agit pas de défendre le travail des enfants qui existait par ailleurs à peu près partout dans les campagnes et d’autres innombrables injustices, simplement il ne faut pas fabriquer un bouc émissaire « le capitalisme », auquel on attribue tous les mots de l’humanité, ce qui est un signe de paresse intellectuelle.

Ceux qui voient dans le capitalisme la source de tous les maux diront que la révolution industrielle en Europe a été le théâtre de l’exploitation de l’homme par l’homme. Ce n’est pas faux mais pas bien nouveau en soi, cette exploitation remontant aux sociétés esclavagistes antiques et se perdant dans la nuit des temps.

D’une façon générale, la révolution industrielle s’est accompagnée d’une forte croissance démographique et d’une baisse de la mortalité malgré toutes les souffrances endurées dans tous les pays où elle a eu lieu et non d’une paupérisation croissante comme l’annonçait Marx.

C’est trop facile et faux d’expliquer comme Marx que les machines ne produisent pas de profit ou plus value pour en déduire une baisse tendancielle du taux de profit, supposée être la contradiction fondamentale du capitalisme et amenant à la misère universelle avant la grande révolution, les prolétaires n’ayant rien d’autre à perdre que leurs chaînes (on est très loin du cas des cheminots SNCF défendant leur statut).

Après la révolution industrielle, au XX siècle comme précédemment, la liberté et le respect relatif des droits de l’homme n’étaient pas du côté des pays où l’économie avait été étatisée comme l’Union Soviétique ou la Chine mais plutôt du côté des pays capitalisme. Au 21ème siècle, le passage au libre marché et à la propriété privée des moyens de production de la Chine a permis son décollage économique. Cela s’est passé tout en laissant le contrôle politique au Parti communiste, ce qui montre que le passage au capitalisme ne s’accompagne pas forcément d’institutions démocratiques à l’occidentale.

Tout cela ne veut pas dire que le monde n’est pas plein de problèmes et d’injustices mais pour contribuer à les résoudre, il faut éviter les analyses simplistes et éviter d’en appeler simplement à renverser le « système » ou le capitalisme par la violence.

Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde nous disait Camus. Effectivement, si nos critiques du monde moderne se bornent à une mise en cause générale d’un vague monstre appelé capitalisme qui doit être renversé par une révolution violente nous ne serons pas bien équipés pour répondre aux défis de notre époque.


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