Le judéo-bolchevisme considéré à travers l’Holocauste

par Michel J. Cuny
samedi 25 juin 2016

Au-delà des positions prises dans Mein Kampf par Hitler quant aux liens existant, selon lui, entre les Juifs et la création de la social-démocratie d’obédience marxiste, il y a les écrits du personnage qui, sur ce thème du judéo-bolchevisme, paraît avoir joué un rôle essentiel en Allemagne dans les années 1920 : Alfred Rosenberg.

En 2015, les éditions Flammarion ont publié le Journal (1934-1944) de celui-ci, avec des annotations et une présentation de Frank Bajohr et de Jürgen Matthäus. Il s’agit de la version française d’un livre dû initialement au Jack, Joseph and Morton Mandel Center for Advanced Holocaust Studies à l’U.S. Holocaust Memorial Museum, Washington, D.C., et du Zentrum für Holocaust-Studien à l’Institut fûr Zeitgeschichte, Munich.

Les deux responsables de cette publication récente sont, d’ailleurs, le directeur, Frank Bajohr, du Centre des Études sur l’Holocauste (Munich) et Jürgen Matthäus, directeur de recherches au Centre Mandel du Musée Mémorial de l’Holocauste (Washington).

Autrement dit, nous sommes bien dans le contexte de l’Holocauste, terme qui rend compte de l’une des deux branches du sujet qui nous occupe ici : le judéo-bolchevisme. Or, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le faire remarquer, la seconde partie de ce terme n’a désormais plus d’autre sens que de nous renvoyer immédiatement aux crimes… de Staline. Les vingt-quatre millions de morts soviétiques de la seconde guerre mondiale ont totalement disparu de notre horizon politique…

Pourtant, dans la criminalité nazie, la part de malheur qui a été celle des Soviétiques, et, parmi eux, des Juifs soviétiques, n’a pas été moindre que celle qui est revenue à la communauté juive dans l’ensemble européen. Encore faudrait-il, pour observer de véritables proportions, évoquer toutes les autres victimes du nazisme, ni juives, ni soviétiques…

Mais, restons-en au judéo-bolchevisme et à la façon dont les deux responsables de l’édition du Journal d’Alfred Rosenberg en rendent compte dès la première page de l’Introduction :
« Au sein du tout jeune parti national-socialiste (NSDAP), Rosenberg entend dénoncer la vraie nature de la "domination judéo-bolchevique" en Russie, s’appuyant sur son expérience du pays. » (page 9)

Qu’il fut le véritable spécialiste de la question et apte à peser de tout son poids dès qu’elle pouvait se manifester, ne paraît pas, selon eux, pouvoir être remis en cause :
« Sur tout ce qui touchait, en termes nazis, aux affaires "judéo-bolcheviques", Rosenberg revendiquait une légitimité de paroles, et il ne fut pas rare qu’il s’imposât face à de puissants concurrents. » (page 11)

Or, parmi ceux-ci, il y avait un certain Heinrich Himmler, l’homme par la grâce duquel l’essentiel des crimes destinés à anéantir le judéo-bolchevisme dans ses deux branches furent commis.

Ce qui, selon Jürgen Matthäus et Frank Bajohr, n’enlève rien à la responsabilité personnelle d’Alfred Rosenberg :
« […] il soutint une politique radicale de pillage, de "pacification" et de "germanisation" qui, en Union soviétique occupée, coûta la vie à des millions de civils. » (pages 12-13)

…qui n’étaient sans doute pas seulement des Juifs.

Prenons, par exemple, l’évaluation que Tony Judt fournit dans son Après guerre - Une histoire de l’Europe depuis 1945, (Armand Colin 2007), non sans avoir signalé auparavant qu’il descend d’une famille juive originaire à la fois de Russie et de Lituanie, et qu’il est un fervent pourfendeur de Staline et du stalinisme :
« Les estimations des pertes civiles sur le territoire de l’Union soviétique varient considérablement même si elles dépassèrent très probablement les 16 millions de personnes (en gros deux fois le chiffre des pertes militaires soviétiques - 78.000 soldats étant tombés dans la seule bataille de Berlin). » (page 32)

L’horreur du comportement des nazis en présence des Soviétiques prend davantage de relief - si possible - quand on constate que, même les décès de militaires soviétiques ne sont pas marqués par les seules horreurs du combat, mais tout spécialement par une mise à mort opérée de sang-froid, si l’on peut dire. C’est encore Tony Judt qui nous le fait savoir :
« Dans les pertes soviétiques figurent en particulier les prisonniers de guerre. Les Allemands capturèrent quelque 5,5 millions de soldats soviétiques au cours de la guerre dont les trois quarts dans les sept premiers mois qui suivirent l’offensive contre l’URSS de juin 1941. Parmi ceux-ci, 3,3 millions moururent de faim, de froid et de mauvais traitements dans les camps allemands - plus de Russes moururent dans les camps allemands de prisonniers de guerre au cours des années 1941-1945 que dans toute la Première guerre mondiale. Sur les 750.000 soldats soviétiques capturés lorsque Kiev tomba entre les mains des Allemands, en septembre 1941, 22.000 seulement survécurent pour voir la défaite de l’Allemagne. » (page 33)

Tiens, Kiev ?... Se pourrait-il que Vladimir Poutine ignore ces chiffres-là ? Ainsi que cette suite que nous offre Tony Judt :
« Les Soviétiques, à leur tour, firent 3,5 millions de prisonniers de guerre (allemands, autrichiens, roumains et hongrois, pour l’essentiel) ; la plupart rentrèrent au pays après la guerre. » (pages 33-34)

Sans doute une preuve que les bolcheviks de Staline étaient bien plus cruels que les nazis de Hitler !...

Pour notre part, nous retirons de cette visite dans le livre de Tony Judt, la certitude que la seconde part du terme "judéo-bolchevisme" n’a pas été affichée en vain par Alfred Rosenberg : les millions de morts y sont… et même près de 24 millions pour le total général.

Voyons la première part, quand les tenants de l’Holocauste, que sont MM. Matthäus et Bajohr s’en mêlent :
« Comme les Juifs représentaient pour Rosenberg l’internationalisme et l’universalisme qu’il détestait, et qu’il les rendait également responsables du libéralisme et du communisme, l’antisémitisme fit partie de ces positions de principe auxquelles il tint toujours de façon inflexible. » (Journal, etc., Introduction, pages 18-19)

"De principe"… Lisons la suite qui concerne bien toujours Alfred Rosenberg :
« Mais l’idéologue en chef du NSDAP se montre beaucoup plus souple sur la question du traitement à réserver concrètement aux Juifs ou à différents courants du judaïsme. » (page 18)

"Courants du judaïsme"… Allons bon… Y en aurait-il eu un que le bon Alfred aurait eu tendance à ne pas trop rudoyer, tout au moins dans les débuts ? Ce sont les mêmes auteurs qui nous l’annoncent :
« C’est ainsi que, par exemple, son appréciation d’abord positive du sionisme finit par s’inverser pour devenir négative. Rosenberg commença par concéder aux Juifs des droits fondamentaux, puis, pendant les années de guerre, rallia ceux qui défendirent l’idée de leur destruction systématique. » (pages 18-19)

C’est que le contexte aura changé avec le déclenchement de l’opération Barbarossa, en juin 1941, qui semblait enfin offrir aux nazis la chair fraîche des bolcheviks… et des Juifs qui avaient cru bon de se rallier à eux, nonobstant le sionisme. D’où la constatation que ne pouvaient manquer de faire MM. Matthäus et Bajohr :
« Mais le véritable bond dans sa carrière fut l’attaque de l’Union soviétique ; Rosenberg prit activement part à sa préparation. » (page 12)

À suivre…

(Pour reprendre cette analyse du sionisme par le début, voir :
https://unefrancearefaire.com/2016/05/01/le-sionisme-mais-quest-ce-donc/)


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