Le logiciel périmé de l’éducation populaire contre l’extrême-droite

par Emmanuel Glais
samedi 18 mai 2019

Ruffin a fini par admettre que Chouard pouvait être une passerelle vers l'extrême-droite. Comme si l'extrême-droite était la destination naturelle de l'indigné livré au fatras imbitable du web ou à l'autogestion des rond-points. Comme s'il fallait absolument qu'un cadre soit posé autour des individus qui se rencontrent dans la rue sans étiquettes et discutent fraternellement des slogans à adopter ou des rues à prendre. Comme si le destin du peuple était d'être éduqué par une gauche qui aurait déjà les solutions clés en main.
 
Cette idée est très présente chez les profs ou assimilés qui croient disposer d'un bagage qu'ils aimeraient partager avec le plus grand nombre. Ceux-là en général ne s'en sortent pas trop mal dans la vie et pensent que le grand soir est toujours à remettre à plus tard. Ils viennent aux manifs déclarés pour répandre leurs vagues connaissances historiques. Ils espèrent corseter les esprits dans des cadres bien tracés par leurs syndicats ou partis fétiches.
 
Loin de moi l'idée de vouloir les éloigner, j'estime même leur présence bienvenue. La crainte du noyautage est une frayeur inutile car on ne sera jamais trop nombreux. Du moment qu'il n'aide pas les flics à réprimer, chacun fait ce qu'il veut. Le peuple en colère n'est pas une pulpe qu'un noyau peut contrôler. Il n'a pas d'ADN, il n'est que l'agrégat d'individus libres réclamant la fin de l'oppression (fiscale, démocratique, symbolique…). A défaut de s'entendre sur tout, les révolutionnaires doivent savoir se retrouver sur l'essentiel.
 
Je ne crois pas non plus qu'il faille craindre la récupération. Il est naturel qu'un parti révolutionnaire court derrière le peuple car sans le peuple comment faire la révolution ? Bien entendu, le risque est que les militants soient des ambitieux qui veulent se servir des masses comme d'un tremplin pour exercer le pouvoir. Une fois que nous en sommes conscients, il n'y a plus de danger. Ecouter une opinion contraire fait toujours moins mal qu'un tir de LBD40. Laissons donc les orateurs s'expliquer aux foules, puisqu'ils aiment ça, comme les écrivains doivent continuer à s'exprimer librement en silence.
 
Une fois libérés des peurs de la récupération, de la mise sous tutelle, nous pouvons exiger de ces gens qu'il se départissent de l'idée infantilisante d'éducation populaire. Chacun doit rester modeste, à l'écoute, ouvert à la contrariété. On ne peut pas rêver d'imposer à des adultes un programme scolaire. L'intello ne peut décider à la place de. Il ne peut deviner l'ingéniosité de la foule, envisager son degré de résistance, de résilience, de motivation, face aux brimades du pouvoir. Il doit rester humble et considérer qu'il a autant à apprendre des travailleurs qu'ils n'ont à recevoir de lui. Toutes ses connaissances théoriques sont risibles face au vécu. Car ceux qui savent le plus souvent bougent le moins. D'ailleurs ils savent que la révolution qu'ils aimeraient connaître dépend des désespérés encore en vie.

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