Le loup a-t-il un impact négatif sur la biodiversité ?

par Matthieu Stelvio
vendredi 23 janvier 2015

À

 l’instar du si conspué José Bové, ne peut-on pas, en France, remettre en cause le retour du loup et être écologiste ? L’écologisme ne doit-il pas rester démocratique et s’abstenir de toute dérive dogmatique ?

Contrairement à ce qui peut être entendu, le loup aurait bel et bien tué des êtres humains : au moins 3000 personnes sur le territoire français par le passé. Toutefois, certaines peurs semblent désormais peu rationnelles, car depuis la disparition de la rage et l’apparition des armes à feu, le loup semble s’être éloigné (a priori quasi définitivement) de l’homme. Par contre, l’angoisse des éleveurs est, elle, tout à fait rationnelle. Ainsi, l’été dernier, en Isère, effrayé par un loup, un troupeau de 350 moutons a sauté une barre rocheuse, et fait une chute de 120 mètres. Pour le berger, qui « s’est mis à pleurer » en découvrant « tous ces moutons morts », « c’est quinze ans de boulot réduit à néant en une nuit. »

Collatéralement, pour protéger leur troupeau des loups, les bergers se font aider de gros chiens (les patous) qui ont des réactions parfois violentes, qui peuvent mordre des êtres humains ou encore manger de petits chiots. Ces gros chiens de garde rendent la montagne moins paisible. À titre d’exemple, l’été dernier, dans les Hautes-Alpes, des randonneurs descendant de la Crête de Gilly expliquaient : « Ne montez pas là-haut, un berger a laissé son troupeau et ses cinq patous sans surveillance. Nous les avons contournés, mais les patous ont couru vers nous, puis nous ont encerclés et aboyés dessus pendant un quart d’heure. Nous avons eu la peur de notre vie. Deux d’entre eux nous ont mordus à la jambe : nous avons pourtant tout fait pour paraître calme. » Habitué à ces discours, un gars du coin ajoutait : « C’est bien triste : les patous font fuir les randonneurs… Pour l’économie touristique, ça commence vraiment à poser problème ! »

Malgré ces inconvénients de poids, des défenseurs du grand carnivore estiment que rien ne doit justifier l’abattage d’un loup, pas même un troupeau menacé, car le loup enrichirait la biodiversité. Cet argument doit poser question. En effet, le loup dépense beaucoup d’énergie et, pour produire cette énergie, a besoin de manger d’importantes quantités de nourriture. Un loup mange environ trois kg de viande par jour (parmi les victimes : tétras lyre, lagopèdes, chamois, cerfs, chevreuils, mouflons…) ; ce qui a un impact très concret sur la faune. Selon la Bibliothèque nationale du Québec, bien implanté, « le loup peut décimer les populations de gros gibiers ». Sur le plan de la biodiversité, il y a donc un calcul faire : doit-on protéger le loup au risque de mettre en péril localement plusieurs populations animales ?

De nombreux écosystèmes ont trouvé leur équilibre sans le loup, et l’arrivée de ce grand prédateur pourrait fortement impacter la richesse et la diversité de certains écosystèmes. Ainsi, dans les Hautes-Alpes, un ancien éleveur du Buëch explique qu’autour de chez lui, depuis l’arrivée d’une meute de loups, le nombre de mouflons et de chevreuils aurait facilement été divisé par trois. Difficile à vérifier, il y a sans doute exagération, mais dans le Mercantour, ce grand carnivore dominateur aurait bel et bien été responsable d’un important déclin de la population de mouflons. En quelques siècles, la disparition du loup a permis à de très nombreuses espèces herbivores de proliférer (mouflons, chevreuils et cerfs notamment). Dire non aux loups, n’est-ce pas dire oui à la préservation de la vie de nombreuses populations d’herbivores sauvages ? Ne peut-on pas être écologiste et s’interroger sur les impacts potentiellement négatifs du retour du loup en France ?

Je me réjouis du retour du bouquetin. Ce paisible herbivore consomme peu d’énergie et mange donc peu, il ne tue pas de fragiles animaux pour se nourrir. Il cohabite facilement avec les autres espèces. Inversement, les loups ne cohabitent pas, ils tuent ; et compte tenu de leur domination sur les autres espèces, la prolifération des loups pourrait être rapide, voire même exponentielle. La société doit faire des choix : Faut-il interdire la chasse du Loup ? Faut-il autoriser des quotas de chasse ? Le loup est-il un régulateur indispensable d’écosystèmes (qui jusqu’ici ont su s’autoréguler) ?

Il est sûrement prétentieux de vouloir répondre à ces questions, mais les poser devient indispensable pour ne pas se laisser déborder par le manichéisme de certains partisans. Comment ne pas être un peu agacé par l’hystérie des défenseurs du « loup français » ? Ainsi, dès qu’un arrêté est signé pour abattre un loup, de nombreuses associations écologistes s’indignent au plus haut point, sans prêter sérieusement attention aux arguments parfois légitimes des bergers qui sont trop souvent diabolisés. Inversement, lorsqu’un arrêté est signé pour abattre des centaines de bouquetins protégés, ces mêmes associations ne réagissent pas ou alors trop tardivement (une fois que le mal est fait) et avec mollesse ! Je peux comprendre qu’on s’occupe de « la star hollywoodienne », du « petit chouchou de la classe » (même s’il a du sang sur les babines), mais il ne faut pas oublier de s’intéresser aux autres élèves de la biodiversité. Pourquoi faire une fixation sur le moindre tir de loup et oublier, par exemple, les milliers de chamois décimés chaque année ?

Globalement, il me semble que plus il y a d’herbivores, plus la nature est paisible et harmonieuse, et que les carnivores n’apportent que violence et angoisse. Pour survivre, un loup doit tuer de nombreux animaux soit domestiques soit sauvages, c’est une réalité qu’il faut accepter de voir en face. Certes, des prédateurs autres que le loup sont également carnivores et sont indispensables, mais le renard et l’aigle n’ont pas un appétit comparable à celui d’un loup, et ont déjà leur place dans des écosystèmes en équilibre ; l’arrivée du loup n’aurait-il pas un impact d’un autre ordre sur la faune herbivore ?

Ouvert au débat, je suis prêt à entendre des arguments qui vont à l’encontre de ma frêle opinion (qui n’est qu’une parmi tant d’autres)… Certains (je les vois déjà venir) rétorqueront que la Nature est cruelle, mais qu’il faut la laisser faire : vive le loup, et tant pis pour ses victimes ! Peut-être. La théorie est élégante, mais vraisemblablement difficile à mettre en œuvre à notre époque, car laisser faire la Nature, pour que cela ait un sens (pour donner « toute sa chance naturelle » aussi bien au loup qu’au mouflon), n’est-ce pas la laisser faire à tous les niveaux, c’est-à-dire se retirer, arrêter la chasse, arrêter le pastoralisme, arrêter les insecticides, enlever les barrages, les routes, etc ? Sur des territoires aussi densément habités que les nôtres, la Nature n’est-elle pas désormais condamnée à être soumise aux activités et aux jugements humains ?

Texte et photos : Matthieu Stelvio (blog : Le Bruit du Vent).


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