Le maître du travail : sa condition subjective et ses profits
par Michel J. Cuny
mardi 8 septembre 2015
Redonnons la parole à Adam Smith, qui situait, pour nous, la position du créateur de la valeur économique, le travailleur :
« Mais bien que d'égales quantités de travail soient toujours de valeur égale pour le travailleur, elles semblent être néanmoins, pour la personne qui l'emploie, de valeur tantôt plus grande, tantôt plus petite. Cette personne les acquiert tantôt avec une plus grande quantité de biens et tantôt avec une plus petite [...]. »
C'est-à-dire que le maître obtient, pour plus ou moins cher, le sacrifice que l'ouvrier devra faire d'une "même portion de son loisir, de sa liberté, de son bonheur", contre le quantum d'argent ou de marchandises qu'il reçoit en échange de son travail.
Adam Smith poursuit :
« Ce qui est acheté avec de la monnaie ou avec des biens est acquis par le travail autant que ce que nous obtenons par la peine de notre corps. Cette monnaie ou ces biens en fait nous épargnent cette peine. Ils contiennent la valeur d'une certaine quantité de travail que nous échangeons contre ce qui est considéré, alors, comme contenant la valeur d'une quantité égale. »
Avec Adam Smith levons enfin un dernier doute :
« Les profits, pensera-t-on peut-être, ne sont qu'un nom différent pour les salaires d'une espèce donnée de travail : le travail d'inspection et de direction. Toutefois, les profits sont complètement différents, ils sont réglés par des principes tout à fait différents, et ils ne sont pas en proportion de la quantité, de la pénibilité ou de l'ingéniosité de ce prétendu travail d'inspection et de direction. Ils sont complètement réglés par la valeur du capital engagé et sont plus ou moins grands selon son importance. »
Il s'agit donc, pour le maître, de s'épargner la fatigue et, n'ayant pas à mobiliser son temps pour ce pénible exercice, de conserver par-devers soi la portion correspondante de "loisir", de "liberté", de "bonheur"...
Comme Adam Smith vient de nous le dire, le profit se règle à proportion du capital mis en jeu. Le profit est donc d'abord un taux de profit. C'est selon le montant atteint par ce taux que se décide la réussite ou l'échec de l'investissement réalisé au début du cycle...
Quant au salaire, il se borne à rémunérer la force de travail mise en jeu dans la chair et dans l'intelligence de cet individu isolé qu'est l'ouvrier et qui n'a aucune chance, sauf à y laisser la santé puis la vie, de s'étendre au-delà de ce que lui permet la physiologie de son corps.
En réalité, cependant, si le profit doit former une "masse" conséquente, un salarié ou quelques-uns ne suffiront pas. C'est donc un vrai collectif de travail qui doit faire face à l'employeur capitaliste, et c'est le processus de travail de ce collectif qui assurera au propriétaire en titre du capital un profit qui se réglera sur l'investissement de départ à travers un pourcentage...
Pour sa part, bien sûr, le collectif rassemble des individus dont le salaire vient se mouler en général sur les limites physiques et intellectuelles les plus étroites de leurs personnes, tandis que, de-ci, de-là, apparaît un chef d'équipe doté d'un salaire sans doute supérieur, mais toujours limité à la rémunération, au prix du marché, de l'usage de sa seule personne physique, intellectuelle... et morale, cette fois, puisqu'il y a, dans la fonction d'encadrement, à faire valoir les "droits" du capital...