Le malentendu laïque

par Lucchesi Jacques
mardi 3 novembre 2020

 

Depuis quelques semaines la France est de nouveau la cible des extrémistes musulmans. En cause notre conception de la liberté d'expression et de la laïcité. Mais il s'agirait aussi de mieux les faire comprendre.

 

 Avec le procès des assaillants de Charlie Hebdo, début septembre, la question des caricatures de Mahomet – republiées pour la circonstance – a retrouvé une place centrale dans le débat public. Faudrait-il exempter l'Islam de la satire quand d'autres religions doivent s'en accommoder ? C'est ce que souhaitent les musulmans, même les plus modérés (comme le président du Conseil Français du Culte Musulman Mohammed Moussaoui). C'est ce que ne souhaite pas Emmanuel Macron qui, au lendemain de l'horrible assassinat de Samuel Paty, a réaffirmé l'intransigeance de la France sur ce point, précisément au nom de la liberté d'expression et de la laïcité. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, son attitude courageuse a entraîné, dans bon nombre de pays musulmans (Turquie, Pakistan, Tunisie entre autres), une flambée de violences anti-françaises. Réactions populaires habilement orchestrées par les élites dirigeantes et religieuses, mais dont la surenchère même laisse deviner le malentendu vis à vis de notre laïcité.

On ne peut être qu'indigné par la grossièreté, tant des quolibets que des arguments politiques, du président turc vis à vis de son homologue français. Comment, par exemple, oser comparer la situation actuelle des musulmans français à celle des Juifs sous le régime nazi ? C'est d'autant plus choquant que la Turquie a, dans son histoire, connu son moment laïque avec la gouvernance de Mustapha Kémal dit Atatürk. Période que le trouble Erdogan voudrait faire oublier pour mieux asseoir sa dictature d'inspiration théocratique. Ce n'est pas très difficile, car même dans les pays musulmans les plus évolués, la religion continue d'exercer une influence vivace sur les esprits. Et la laïcité, au sens convenu du terme, se voit ainsi repoussée dans les marges de l'athéisme, tant sa menace est grande pour l'Islam politique.

Dans ces conditions, comment ces gens-là pourraient-ils entendre que la laïcité « à la française » est tout le contraire de ce qu'on les incite à penser ? Qu'elle est justement ce cadre juridique qui permet l'expression de toutes les croyances sans discrimination ? Faut-il redire que notre laïcité n'est pas hostile aux musulmans et qu'elle leur donne l'entière liberté de pratiquer tranquillement leur religion ? Mais nous parlons ici de l'Islam dans son versant spirituel. Car il est évidemment inacceptable que sa dimension politique et juridique puisse concurrencer, sur notre territoire, les lois de la république, comme le souhaiteraient les nombreux intégristes qui s'activent dans l'ombre.

Si cette distinction est mal comprise dans les pays où l'Islam jouit d'une prépondérance historique, elle l'est aussi, malheureusement, dans nos écoles où les élèves de culture musulmane sont de plus en plus nombreux. Aussi, quand des enseignants viennent leur parler de liberté d'expression avec Charlie Hebdo pour référence républicaine, ils devraient, à mon humble avis, éviter le choc frontal des caricatures de Mahomet – associées à un sentiment islamophobe. Mieux vaudrait sans doute commencer à les sensibiliser à la satire avec des unes de Charlie – et il y en a eu beaucoup – brocardant les piliers de la religion catholique (Jésus, Marie et le pape). Et rappeler que si , par le passé, des catholiques ont pu légitimement se sentir outragés, ils ne sont pas allés jusqu'à éliminer physiquement des dessinateurs. Cela leur ferait mieux comprendre que la caricature n'est pas réservée qu'à leur prophète, qu'elle n'épargne personne en France. Par cette approche relativiste, on pourrait ainsi demander aux jeunes musulmans plus de tolérance vis à vis de ce genre journalistique qui a fait les beaux jours de la presse française depuis deux siècles. En un mot, il faudrait que les politiques et les enseignants usent de davantage de pédagogie quand ils s'adressent aux musulmans de ce pays. Et on en a beaucoup manqué, dans la vie publique, depuis trois semaines.

 

Jacques LUCCHESI


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