Le manège enchanté

par Pierre Chazal
vendredi 14 janvier 2022

Le manège France aura tourné si vite ces cinq dernières années qu’on a encore la tête pleine de poussière d’étoiles. Cinq années d’euphorie, cinq années d’émerveillement, cinq années à voir se transformer tout un pays jusque là moribond en Planet Bollywood du village progressiste global. Si la France n’est pas (encore) devenue un bidonville – économique, culturel, spirituel et intellectuel – en cette fin de quinquennat marqué du sceau de l’emmerdement maximal, ce ne sera pourtant pas faute d’avoir tout essayé. Notre Tchoupi national, propulsé en 2017 paysagiste en chef du parc bleu, blanc, rouge pour lui refaire une beauté façon start-up nation, n’aura à rougir de rien si son aventure s’arrêtait là, au soir du 17 avril 2022.

Déficit commercial record (77 milliards d’euros pour 2021), envol historique de la dette publique (114,9% du PIB à la fin du 2ème trimestre 2021), niveau d’abstention sans précédent à toutes les élections intermédiaires, mise à l’os de l’hôpital, chaos généralisé dans les écoles et les pharmacies, explosion des suicides et des tentatives de suicide chez les enfants et les adolescents, dépressions, paupérisation, inflation, faillites, dérives institutionnelles, entorses au droit constitutionnel, violences policières, flicage des réseaux sociaux, verticalisation du pouvoir, entre-soi, mépris de classe, caporalisation des médias, proxénétisme d’Etat au service d’intérêts privés, stigmatisation et apartheid « sanitaire » : si ce salaud de Covid-19, devenu Grippe-21 puis Rhume-22 au fil de ses mues successives, a pu jusqu’à présent faire office de coupable idéal, il est rare qu’un carnage de cette ampleur-là soit l’œuvre d’un sniper isolé. D’ailleurs, Tchoupi n’était pas seul. Son plus grand mérite aura même été, au-delà de ses vrais talents d’entremetteur-emmerdeur-prestidigitateur, de nous avoir fait découvrir – ou redécouvrir – au cours de ces cinq années toute une galerie de personnages qu’une saison entière de South Park ne suffirait pas à mettre en boîte. Tantôt Pollux, tantôt Zébulon, souvent sinistres, parfois truculents, leurs profils et leurs (nombreux) faits d’armes sont comme autant de nymphéas recouvrant aujourd’hui la mare élyséenne. Si la grenouille présidentielle avait l’idée d’y jouer à la marelle avec ses nouveaux amis Carlito et Mcfly, qu’il prenne garde à assurer ses appuis : ces nénuphars en papier crépon ont prouvé, au fil du temps, une fâcheuse tendance à prendre l’eau.

Les héros de la République

Première sur la liste, Agnès Buzyn – alias Margotte. Ministre de la Santé dans le gouvernement d’Edouard aux mains d’argent, nommée chevalière de la Légion d’honneur en début d’année avec son vénérable confrère Jean-François Delfraissy, que n’aura-t-elle pas fait pour mériter cet honneur ? Le 13 janvier 2020, elle fait acter au Journal Officiel par une note signée de son DGS Jérôme Salomon le classement de l’hydroxychloroquine « sur la liste II des substances vénéneuses ». Le 24 janvier, elle assure devant les médias que « les risques de propagation du virus dans la population sont très faibles ». Le 22 janvier, soit deux jours plus tôt, elle se souvient pourtant avoir eu «  l’intuition » de la potentielle gravité de l’épidémie. Le 30 janvier, elle avertit le prince Édouard « que les élections [municipales] ne pourraient sans doute pas se tenir » ; mais voilà-t-il pas que le 16 février elle remplace au pied levé le candidat exhibitionniste LREM Benjamin Griveaux dans la course à l’Hôtel de Ville en déclamant fièrement : « J’y vais, j’en ai envie. J’y vais pour gagner ». Envie surtout d’emmerder Anne Hidalgo, à cause de qui Tchoupi nous ferait des insomnies ? Elle y gagne en tout cas une claque monumentale (13% des suffrages exprimés) et quelques mois dans la tourmente, avant d’être exfiltrée à Genève en janvier 2021 au cabinet du directeur général de l’OMS. Un joli gilet pare-balles tricoté en urgence par Tchoupi et son copain Tedros, qui n’empêchera pas sa mise en examen par la CJR pour mise en danger de la vie d’autrui en septembre de la même année. Heureusement pour elle, d’ici à ce que l’enquête aboutisse au non-lieu qui s’impose, Tchoupi l’aura parachutée à la tête du tout nouveau tout beau centre mondial de formation de l’OMS à Lyon jugé « plus nécessaire que jamais », étant entendu – dixit le président aux 18 000 fermetures de lits en quatre ans – « qu’investir dans les systèmes de santé est le meilleur moyen de se préparer aux prochaines pandémies ».

L’ancien énarque Didier-Roland Tabuteau aurait sans doute accepté le poste avec autant d’entrain, mais Tchoupi a vu en lui une destinée plus homérique encore. L’ex-directeur de l’ANSM (1993-1997) vient d’être nommé par ses soins Président du Conseil d’Etat, poste depuis lequel il pourra avaliser sans même avoir à sortir de son lit tous les décrets ministériels sur l’expérimentation de thérapie génique en cours. Déjà, lors de l’affaire du Médiator – antidiabétique des laboratoires Servier ayant occasionné plus de 2000 décès – il avait fait la preuve de sa grande vigilance, au point que l’Agence du médicament avait dû être renvoyée devant le tribunal pour « homicides et blessures involontaires par négligence », ayant tardé, selon les magistrats, à suspendre le dit-produit « malgré l’accumulation des alertes dès le milieu des années 1990 ». Didier-Roland Tabuteau avait assuré pour sa défense n’avoir « aucun souvenir » du Médiator pendant les quatre années où il a dirigé l'Agence et « que le système donnait l’impression d’être sûr. » Au cours de l’audience, il eut la grâce de déclarer : « Je ne suis ni médecin, ni pharmacien. Aurais-je dû refuser le poste ? Fallait-il une compétence médicale ? Je ne cesserai [jamais] de me poser la question. » Pas besoin, en tout cas, qu’il se la repose aujourd’hui : son nouveau job est taillé à sa mesure et sa nouvelle mission claire comme du cristal de Pfizer Roche.

Le Préfet de police de Paris Didier Lallement, nommé par Tchoupi en mars 2019 pour mater ce qui restait de la révolte des Gilets jaunes, a reçu lui aussi sa petite décoration et été fait chevalier de la Légion d’honneur. Une récompense logique pour un factionnaire exemplaire visé par une kyrielle de plaintes pour faux témoignage, atteinte à la liberté de manifester, recours disproportionné à la force publique, entrave à la liberté de réunion et mise en danger de la vie d’autrui. Qualifié de « fou furieux » par ses anciens collègues de la préfecture de Bordeaux qui ont accueilli son départ avec « des cris de joie », signalé par des notes internes émanant de hauts gradés de la gendarmerie et des CRS avertissant de « pratiques contraires à la législation » et « d’emploi disproportionnés de la force », le Père Pivoine de la bande aura été à la hauteur de sa réputation, allant jusqu’à faire interdire des manifestations après l’heure du départ des cortèges ou envoyer ses brigades mobiles séparer, Taser X2 au ceinturon, des couples de danseurs qui s’enlaçaient en décembre sur les quais de Seine au mépris du décret portant sur l’interdiction de la salsa sur les marches d’escalier accueillant du public.

Le cirque Bodoni

Pour égayer nos ternes soirées, au moins aurons-nous eu notre Zébulon, un Premier Ministre à ressort nommé Jean Castex dont le comique troupier est devenu si légendaire qu’après « Papy et Mamie réveillonnent au grenier », « Papy et Mamie évitent les sorties d’école » puis « Papy et Mamie et le magicien d’Oz », on songe à faire donner « Papy et Mamie contre les Antivax » au nouveau Théâtre des armées. Contaminé par deux fois – la première fois par sa femme de chambre, la seconde fois par sa fille – après avoir assuré en juillet que les double-dosés n’avaient « plus de chance d’attraper la maladie », il est aussi celui à qui l’on doit ce vibrant appel aux consciences citoyennes du 24 octobre 2020 : « le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c’est de ne pas tomber malade. » Et l’hôpital, en effet, a toutes les raisons de vouloir être soulagé de ses maux depuis qu’il y fut le promoteur zélé de la fameuse réforme de la tarification hospitalière en tant que directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins au ministère de la Santé (2005-2006). Comme Galaad avec le Graal, notre Saint-Jean du Gers aura trouvé dans la quête de l’hostie vaccinale une aventure rédemptrice digne d’un sketch des Monty Python. Le 6 janvier sur RMC, John Cleestex répondait aux questions de Terry Gilliam Jean-Jacques Bourdin pour une séquence d’anthologie. Inauguration improvisée du concept de majorité vaccinale (à 16 ans), dissociation post-schizophrénique des notions de contrôle et de vérification d’identité, régurgitation ad nauseam de la novlangue ministérielle, mimiques et gestuelles gargamelesques à en faire passer son Schtroumpf grognon d’intervieweur pour une nouvelle Danièle Gilbert : rien n’aura manqué qu’une descente de police pour raccompagner le forcené dans sa cellule capitonnée du GHU de l’hôtel Matignon.

Dans un registre plus léger, Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, occupe le terrain à sa façon. En guise de pré-Noël, elle invite place Beauvau des starlettes de télé-réalité pour y discuter, entre deux snapshots balancés sur Twitter, « des violences faites aux femmes ». Juste avant le Nouvel An, elle prépare des œufs sauce meurette et des pithiviers devant les caméras de Tous en cuisine de Cyril Lignac. Récipiendaire du Grand Prix de l’humour politique 2021 pour avoir déclaré sur Radio J « On ne va pas s’interdire les plans à trois » alors qu’elle défendait son projet de loi contre la polygamie, elle est couronnée révélation politique de l’année par le Trombinoscope, la revue d'information professionnelle du monde politique. A son crédit également, deux prises de position d’une cohérence et d’une audace rarissimes en politique, la rendant championne incontestée de la laïcité façon Zadig & Voltaire :

Il n’est pas étonnant qu’avec un tel pedigree le Trombinoscope lui ai réservé les mêmes honneurs qu’à Tchoupi en 2016, année du dépeçage d’Alstom et de sa juteuse revente au géant américain General Electric. Guère surprenant non plus qu’elle figure dans la promotion 2018 des Young Global Leaders de Davos, le genre de programme de cooptation caramélisée où l’on retrouve au palmarès toute la fine fleur du sino-mondialisme à la française : Edouard Philippe (2011), Tchoupi (2016), Coralie Dubost (2017), Olivier Véran (2018), Aurore Bergé (2018), Amélie de Montchalin (2021), Gabriel Attal (2020).

L’ancienne porte-parole du gouvernement Sibeth NDiaye ayant quitté le cirque Bodoni en juillet 2020 pour continuer ses pitreries à la tête du pôle « idées » du groupe LREM, c’est ce même Gabriel Attal qui lui a succédé dans le rôle du perroquet Jaco, celui à qui l’on doit, entre autres pépites, cette merveille de charade ésotérique digne de Bilbo le hobbit : « On constate un début de ralentissement de la progression de l'épidémie, mais il y a toujours une augmentation et elle est forte. » (7 décembre 2021) Quant-aux cacas nerveux de l’inénarrable Olivier Véran, ministre de la Santé, on ne saurait toujours dire, après deux ans d’éructations mensongères à faire de Pinocchio une vénus de probité, s’ils ont pour véritable objet de faire rire les adultes ou pleurer les enfants. Il aura en tout cas réussi l’exploit d’interdire à la prescription à peu près tout ce qui pourrait soigner du Covid-19 (HCQ, ivermectine, azithromycine, vitamine D), se réservant le droit pour 2022 de proscrire l’oxygénothérapie à domicile. Que Tchoupi l’ait maintenu en fonction contre vents et marées prouve au moins que chez les Corleone on a le sens de la famille : « Tiens bon. On les aura, ces connards », lui textait-il le 13 janvier 2021. Un an après, jour pour jour, le triple-dosé contractait le Covid malgré sa collection de slips de protection faciale Always Discreet volés en douce dans les tiroirs de la belle Coralie. Il se dirait néanmoins dans les couloirs du ministère – où il lui arrive fréquemment de dormir – qu’il aurait été contaminé par Didier Raoult au détour d’un cauchemar dans la nuit du 9 au 10.

Sous les feux de la rampe

Mimi Marchand, malheureusement, ne sera pas là pour nous abreuver de clichés officiels du ministre alité. La reine de la presse people, proche amie du couple Sarkozy et de Brigitte, ex-conseillère en communication de Tchoupi et membre du comité de liaison en charge de la couverture des déplacements présidentiels, a été placée en garde à vue il y a six mois pour subornation de témoin et association de malfaiteurs en vue de commettre une escroquerie en lien avec l’affaire du financement libyen de la campagne de 2007. Brigitte s’indigne devant Carla au bar du Rotary Club : « C’est dégueulasse », lui confie-t-elle. « Pas plus que mettre des prunes de 135 euros à des allocataires du RSA pour non-port du masque sur la plage de Bray-Dunes », rétorque l’ex-Première Dame en son fort intérieur tout en commandant un deuxième panaché fraise.

Brigitte, en bonne amie, propose quand même à Mimi Marchand l'appui de son chef de la sécurité « en cas d'emmerdes ». Mimi est reconnaissante, vraiment, mais il se pourrait qu’elle ait déjà quelqu’un en tête, quelqu’un que Tchoupi connaît bien d’ailleurs puisqu’il s’agit d’Alexandre Benalla, le castagneur de la Contrescarpe, directeur de la sûreté d'En Marche durant la campagne présidentielle de 2017 puis chargé de mission par le cabinet présidentiel jusqu’en juillet 2018. A l’actif du bonhomme rien que pour cette affaire-là : violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail, immixtion dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant des actes réservés à l’autorité publique, port et complicité de port prohibé et sans droit d’insignes réglementés par l’autorité publique, recel de violation du secret professionnel et recel de détournement d’images issues d’un système de vidéo protection. Son lien avec notre entremetteuse, Mimi de Saint-Germain-des-Prés ? D’après le numéro d’Envoyé Spécial diffusé le 20 juin 2019 : un hébergement gracieux dans l’un de ses appartements de l’ouest parisien, le prêt d’une camionnette à vitres teintées commode pour se déplacer en toute discrétion et une offre financière semble-t-il refusée par ce dernier. On ne saurait en vouloir à Tchoupi de faire ainsi du jet-ski en eaux troubles, mais on aurait volontiers appris qui, dans cette histoire, a présenté Azalée au soldat Sam – ou l’inverse.

Ce qu’on sait en revanche, c’est qu’il sait si bien s’entourer que pas un jour ne passe depuis qu’il a pris ses fonctions sans qu’une nouvelle affaire judiciaire ne vienne éclabousser les bottines en peau de chameau d’un des membres de sa garde royale :

Une liste à la Prévert, ou plutôt à la Thémis, qui ne doit surtout pas faire oublier que l’essentiel des Playmobils qui composent la section LREM de l’Assemblée nationale sont d’honnêtes et paisibles citoyens sans aucun démêlé avec la justice, et qui se contentent de voter toutes les crapuleries concoctées dans le plus grand secret par Tchoupi et son désormais mondialement célèbre Conseil de défense antiviral. Depuis que Fabrice Fries (ancien de l’ENA et de la Cour des Comptes) et Sybile Veil (ancienne camarade de Tchoupi à l’ENA et dont le mari Sébastien, ancien conseiller de Sarkozy, est un soutien et ami de l’actuel président) ont pris respectivement les rênes de l’AFP et de Radio France, le manège enchanté peut bien graviter tous feux éteints autour du trône jupitérien : personne n’ira inspecter à la lampe de poche les coins reclus du pouvoir suprême. Les naïfs détectives de la France boueuse des réseaux sociaux et des territoires perdus de l’Information Officielle en seront pour leur flair s’ils continuent comme ils le font à remuer la merde de leurs naseaux au lieu de s’asseoir bien sagement dans leur fauteuil devant les JT de France 2 et TF1. Ça leur évitera de dire des conneries – par exemple que le fils aîné de Brigitte, un certain Sébastien Auzière, bidouillerait des sondages à la tête de l’IFOP pour faire reluire l’armure de Tchoupi façon C6PO dans la Guerre des Etoiles.

Les Décodeurs du Monde nous enseignent pour notre gouverne « qu’il travaille en réalité depuis 2007 pour un autre institut, Kantar Health, qui s’occupe d’études de marché dans le domaine de la santé. » Ce qu’ils ne disent pas, ce dont ils se foutent, c’est qu’il y travaille comme vice-président et que Kantar Health a été racheté en 2019 par une firme américaine de gestion d‘actifs et de services financiers nommée Bain Capital, laquelle, il y a fort longtemps, dans une galaxie lointaine, a signé de juteux partenariats avec Pfizer. Ou encore qu’une certaine Annie Seibold Drapeau, Operating Partner chez Bain Capital, est devenue en 2016 responsable en chef des Ressources Humaines chez… Moderna. Ou encore que parmi les clients friands d’études de Kantar Health montrant à quel point les Européens veulent plus d’Europe pour régler son compte au coronavirus on trouve… l’Union Européenne elle-même.

Tout cela n’est bien entendu que pure coïncidence et notre Tchoupi, quoi qu’il en soit, n’a rien à voir avec tout ce cirque. Dans le manège enchanté, rappelons-nous, tout n’est qu’illusion d’optique : les manifs, les faillites, les dépressions, les suicides, les affaires, les insultes, les privations de liberté et même les trous béants dans la caisse. Le mirage est si aveuglant, pourtant, que certains d’entre nous – les meilleurs à n’en pas douter – en reprendraient volontiers pour cinq ans histoire de pouvoir garder sur le nez leurs lunettes de réalité augmentée. La prochaine fournée de clowns et d’attractions désastre surpasserait encore, nous dit-on, la cuvée 2017. Vivement qu’on y soit : nos enfants n’en peuvent plus d’attendre.


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