Le matricule 8274 n’est plus

par LM
mardi 16 octobre 2007

Comme on pouvait l’espérer, Bertrand Cantat, à mi-peine (quelle expression !) recouvre aujourd’hui la liberté. Une liberté sous certaines conditions, mais la liberté quand même, son champ des possibles et ses paroles sans limites.

Rien ne s’opposant plus à la sortie anticipée de Bertrand Cantat de prison, le juge Philippe Laflaquière, vice-président du TGI de Toulouse, a autorisé la remise en liberté de l’ancien chanteur de Noir Désir. Aujourd’hui donc, l’homme coupable d’avoir provoqué la mort de sa compagne l’actrice Marie Trintignant, en juillet 2003, va reprendre une activité normale, ou presque. Presque, car il lui est interdit d’écrire ou d’évoquer de quelque manière que ce soit, en public, les événements qui l’ont conduit derrière les barreaux. Aucune chanson, aucun texte, aucune interview. D’autre part, l’ancien chanteur « sera soumis à des mesures de contrôle et d’assistance psychologique pendant un an après sa libération », nous dit Le Monde. Une liberté encadrée, donc, pour satisfaire un peu du courroux de Nadine Trintignant, farouchement opposée jusqu’au bout à l’application de la loi (car il ne s’agit de rien d’autre) permettant à Cantat de profiter de cette libération conditionnelle. La réalisatrice est même allée jusqu’à écrire à Nicolas Sarkozy en personne, en lui indiquant que, pour sa part, une telle mesure de libération serait un « signal négatif » dans la « lutte contre la violence faite aux femmes. »

Si l’on empêche, sans doute à juste titre, Bertrand Cantat de s’exprimer sur l’affaire, il serait de bon ton aussi qu’on veille à ce que ni Nadine Trintignant ni quelque harpie féministo-vengeresse ne se laisse aller à de déplaisants déballages à l’encontre du chanteur de Noir Désir, qui a droit, lui aussi, à quelque respect et quelque paix. Il a été jugé, condamné, il a purgé sa peine, il est désormais libre. Ce qui ne veut pas dire lavé de tout soupçon, ce qui veut simplement dire qu’il a acquitté une partie significative de sa peine. Il a payé. Il n’y a donc aucune raison qu’il continue de payer une fois libre. Conseil donc à certains messieurs dames du sensationnalisme télévisuel ou de presse écrite : si Mme Trintignant ou quelque autre Lio vous réclame une interview, refusez. Cantat ne mérite pas de passer le restant de ses jours à être rejugé sans cesse.

Tout juste libre en tout cas, certaines rumeurs enflent déjà. Celle par exemple qui laisse entendre que le groupe Noir Désir et Cantat lui-même auraient signé un nouveau contrat pour de prochains disques. Celles, multiples, qui prétendent qu’il écrivait beaucoup en prison, et notamment quelques textes de chansons. Plus généralement, on prête volontiers à Cantat l’envie irrépressible de chanter à nouveau. Certains fans l’espèrent, sans doute. Mais aujourd’hui on ne sait pas, on ne sait rien. Ni Cantat ni les autres membres du groupe ne se sont jamais exprimés sur le sujet, qui n’est pas vraiment le plus important aujourd’hui. Cantat est libre, le reste ne doit pas trop compter pour lui.

Mais au fait, pourquoi se satisfaire autant de la libération de ce chanteur de rock ayant un jour, ou peut-être une nuit, dévissé ? Parce que Cantat n’est pas une victime. Parce qu’en ces temps où l’on nous inflige de la victimologie en intraveineuse, où il est de bon ton de comprendre, de s’apitoyer et de pleurnicher avec ou au nom de ceux qui souffrent, il est salutaire aussi de rappeler que le coupable a des droits, que le condamné reste un justiciable comme un autre, qu’il conserve des droits, une fois jugé. Nadine Trintignant, évidemment, a eu raison de tenter de passer par Sarkozy pour empêcher cette libération de celui qu’elle appelle « l’assassin » de sa fille. Elle a eu raison parce que Sarkozy a réussi à faire croire au commun des mortels, et tenté d’en persuader les professionnels de la justice que cette dernière était faite pour les victimes, ce qui est évidemment une hérésie. La justice n’est pas plus faite pour les victimes que pour les bourreaux, elle est là pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, et comment. Un point c’est tout. Quand on fait d’un accusé un « symbole », on passe à côté de la vérité, pratiquement à chaque fois. C’est cela, l’injustice faite à Cantat : le fait qu’il soit un jour, sinon plusieurs, sinon quelques semaines, devenu le symbole de l’horreur faite aux femmes qu’on abat, entre deux verres, entre deux portes, entre deux portières. Le fait que son drame personnel ait été étalé sur la place publique, comme il ne faudrait jamais laver son linge sale.

Bertrand Cantat est libre aujourd’hui comme beaucoup de prisonniers peuvent l’être à mi-peine. A condition qu’ils se comportent de façon exemplaire, à condition qu’on puisse les qualifier, comme M. Cantat, de « détenu modèle ». A condition qu’ils ne représentent aucun danger pour la société une fois remis dans la lumière. Ces conditions réunies, les hommes se voient donc offrir une chance de se racheter, de reconstruire leur vie, de rebâtir autre chose, autrement, comme ils le pourront.

Mi-peine, décidément, l’expression est belle et douloureuse. Elle évoque peut-être un peu, bizarre coïncidence, certains passages du parcours de Noir Désir, groupe nécessaire qui en quelques albums avait su dire notre France, ses visages, ses figures, ses taxis, ses âmes, ses hommes pressés, ses écorchés. Un groupe dont le dernier album, la légende le sait, était sorti un certain 11 septembre 2001, en bac au moment même où un autre monde naissait, de fracas, de cendres et d’effondrement. L’homme s’est relevé de tout ça, parce qu’il se relève de tout, des matricules et des coups, des fractures et des écartèlements. Bertrand Cantat n’est plus un matricule, le spectacle peut donc continuer.


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