Le médicament : un marché comme les autres

par Michel J. Cuny
vendredi 4 septembre 2015

Contrairement à ce que pourrait sembler vouloir dire la notion de "secret médical", il n’y a aucune raison pour que les consommateurs de médicaments et leurs prescripteurs ne s’insèrent pas, qu’ils le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas, dans une comptabilité prospective, qui n’a plus aucun rapport avec les questions de santé. C’est ce que nous apprenons grâce à Claude Hurteloup et Valérie Machuron-Thué.

« L’industrie pharmaceutique, au même titre que l’industrie automobile, jouit de nombreuses études quantitatives extrêmement performantes. Les études, tout au moins pour les marchés ville, peuvent situer la place d’un laboratoire, d’un produit, voire d’une forme galénique (mode de présentation : comprimés, sirop, gélules, etc.), aussi bien en nombre de boîtes vendues, en chiffre d’affaires, en parts de marché et ce, tant par rapport au marché total que dans un segment particulier.  »

Les auteurs peuvent-ils nous fournir des exemples d’organismes susceptibles de rassembler les données nécessaires pour bâtir une campagne de promotion du médicament ? Oui…
« Il existe deux sociétés privées : IMS Health, multinationale dont le métier est de produire des informations pour l’industrie pharmaceutique, sur les différents continents, dans la plupart des pays. Cegedim, société française à extension internationale, qui fournit à l’industrie pharmaceutique des services pour la promotion en visite médicale (fichier, logiciel de gestion de territoire ou ETMS), mais aussi des études utilisées par les forces de ventes et le marketing.  » 

Au surplus, C. Hurteloup et V. Machuron-Thué nous fournissent un tableau extrêmement éclairant de cet univers qui détermine le fameux "retour sur investissement" qui s’est emparé des produits de santé, et ceci, à l’échelle du monde, sans qu’il soit possible d’y voir l’ombre de la moindre préoccupation réellement thérapeutique :
« Schématiquement, on peut résumer l’utilisation de ces différentes études par la réponse que l’on cherche aux principales questions que l’on se pose :
1. Quel est mon marché ? Dorema Maladies  ;
2. Qui sont mes vrais concurrents ? Dorema Médicaments  ;


3. Quelle population médicale ? Dorema Prescripteurs  ;
4. Quelle est la taille de mon marché ? EPPM, Gers, LMP Sell out ;
5. Quelle est la tendance de mon marché ou de mes produits ? Gers, SDM, LMP Sell out ;
6. Quelle promotion ? Montant des investissements, ticket d’entrée ? CAM, Médiazoom ;
7. Quel prix média ? Sur mon marché et ses concurrents ? CAM, Médiazoom ;
8. Que font mes concurrents ? Cam Hermes, Market Observer de Tevax.  » 

À la même source, nous recueillons encore ces deux précisions qui ne pourront que nous convaincre de la vanité, dans le contexte d’une visite médicale qui doit être l’aboutissement d’une stratégie pareillement renseignée et précise, de renvoyer les béotiens à cette ridicule formule utilisée par la "Charte" qui paraît la réglementer :
« …à cette occasion favoriser la qualité du traitement médical dans le souci d’éviter le mésusage du médicament, de ne pas occasionner de dépenses inutiles et de participer à l’information des médecins de ville et des médecins et pharmaciens hospitaliers  »

Première précision :
« Médiazoom permet de connaître et d’évaluer les moyens promotionnels des laboratoires et d’analyser, média par média, l’investissement promotion qu’ils mettent sur chacun de leurs produits.  »

Seconde précision :
« Le responsable marketing peut ainsi déterminer le coût moyen d’investissement nécessaire pour maintenir une position dans un marché (ticket moyen de la classe) et évaluer, en regard des lancements de produits nouveaux, le ticket d’entrée nécessaire pour investir une classe thérapeutique.  »

Or, nous ne devons pas perdre de vue qu’au-delà de ce marché et des procédés de promotion et de persuasion qu’il met en œuvre, il y a les espoirs de toutes celles et de tous ceux que la maladie tient dans le plus grand désarroi au fur et à mesure des rencontres qu’ils en font ici ou là, sur eux-mêmes ou sur leurs proches. Ces fameux "retours sur investissement" ont à l’évidence pris la place de ce que serait un vrai souci de l’avancement de la compréhension, par les êtres humains, de ce qui peut venir ruiner leur vie physique et psychique.

Or comme y insiste Pierre-Louis Bras, qui, rappelons-le, a été directeur de la Sécurité sociale :
« Les laboratoires disent : mais, c’est notre argent ; nous en faisons ce que nous voulons. Le problème, c’est que l’argent des laboratoires, c’est l’argent que la collectivité a bien voulu leur octroyer en fixant les prix des médicaments.  »

Or, cette fixation du prix, et la façon – très peu orthodoxe du point de vue de l’économie capitaliste – dont il est fixé, sont de leur côté directement conditionnées par l’obtention… de l’AMM (autorisation de mise sur le marché).

De même, s’il faut pousser un médicament hors de la sphère d’influence qui lui a été un jour ouverte par la Commission d’AMM, l’expérience du Médiator montre que c’est également aux abords et à l’intérieur de cette même Commission que les rapports de force doivent pouvoir trouver à s’exercer…

(Extrait de Michel J. Cuny, Une santé aux mains du grand capital ? ‒ L’alerte du Médiator, Éditions Paroles Vives 2011, pages 164-165.)


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