Le Ministre de l’intérieur sur les Maghrébins : deux hypothèses
par Paul Villach
lundi 14 septembre 2009
Pour qui étudie l’information, les conditions de leur publication sont au moins aussi intéressantes que les propos tenus à Seignosse par le ministre de l’intérieur, M. Hortefeux, sur le problème que poseraient des Maghrébins en grand nombre : parlant du jeune homme d’origine maghrébine avec qui il acceptait de poser, le ministre a fait remarquer qu’ « il ne (correspondait) pas au prototype (du maghrébin). « Il en faut toujours un, a-t-il ajouté. Quand il y en a un ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes. »


Une illustration du principe fondamental de « la relation d’information »
On ne saurait mieux illustrer le principe fondamental de « la relation l’information » selon lequel nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Ainsi, les directeurs des chaînes parlementaires ont-ils estimé de leur intérêt de ne pas diffuser cette information. Leurs arguties ne trompent personne : le prétendu manque de temps pour « recontextualiser » la séquence ne tient pas debout ; ils avaient la semaine devant eux pour le faire. Selon Libération.fr du 11 septembre, citant une source de la chaîne Public Sénat, la question de cette non-publication faisait, en fait, toujours débat entre les journalistes, lundi 7 septembre.
En revanche, on comprend très bien la décision d’autocensure : le tollé qui a suivi la publication, avait été clairement anticipé. Les propos tenus pouvaient être, en effet, qualifiés d’ethnistes ("la race humaine" n’ayant pas de consistance génétique). Ils avaient beau appartenir à la variété de « l’information donnée », pour avoir été livrés volontairement par le ministre, ils n’en risquaient pas moins de lui nuire gravement. Et les diffuser, dans ce cas, exposait les directeurs au mécontentement du pouvoir politique auquel ils doivent leur poste, voire à ses représailles. Ils ont donc choisi de venir au secours du ministre et au leur en décidant de ne pas diffuser l’information. On peut les comprendre.
Une information extorquée conforme aux intérêts du Monde
Or, voici que la vidéo se retrouve en manchette du Monde.fr, jeudi 10 septembre. Il faut pour cela qu’un informateur bien placé dans une des chaînes parlementaires y ait eu accès et ait décidé secrètement de la transmettre au Monde. Obtenue à l’insu et/ou contre le gré de ses émetteurs, ministre et directeurs de chaînes, cette vidéo appartient bien cette fois à la variété de « l’information extorquée », dont on mesure comme elle est plus fiable que « l’information donnée », puisqu’elle échappe au filtre de ses émetteurs qui avaient décidé de la garder secrète en raison de la nuisance qu’elle pouvait leur causer.
Maintenant, si Le Monde.fr a décidé de diffuser cette « information extorquée », c’est parce qu’elle servait ses intérêts à la fois idéologiques, politiques et économiques. Le journal peut, en effet, avoir été sincèrement heurté par les propos du ministre et avoir estimé que leur diffusion était une façon de combattre de pareilles attitudes jugées ethnistes, y compris au sein du gouvernement : la publication visait à provoquer le scandale. Dans le même temps, le journal affirmait son indépendance face au pouvoir en ne craignant pas de mettre en difficulté un des ministres qui comptent dans le gouvernement en tant qu’ami personnel du président de la République. C’était aussi pour le journal une manière de tenter de regagner un crédit auprès de lecteurs qui avaient pu s’éloigner de lui après tant d’exemples où il avait fait preuve de partialité. En attendant, cette vidéo était un bon produit d’appel pour la promotion du site du journal : elle a, en effet, été vue par plusieurs centaines de milliers d’internautes.
Une occultation familière de la profession journalistique
Cet exemple permet, au passage, d’observer une occultation majeure souvent opérée par la théorie promotionnelle de l’information que diffuse sans cesse la profession journalistique. Celle-ci met principalement en avant, comme une de ses règles d’or, le recoupement de l’information et sa contextualisation avant sa diffusion pour livrer des « faits » exacts. L’intention est louable, mais c’est faire oublier que se pose aussitôt, après cet exercice de recoupement, le problème de décider si oui ou non l’information recoupée peut être diffusée. Car nul n’échappe au principe fondamental de "la relation l’information". Dans ce cas d’espèce, on a pu voir que les intérêts des uns et des autres divergeaient : les directeurs des chaînes parlementaires ont choisi de ne pas publier l’information et donc de s’autocensurer, tandis que le journal Le Monde a jugé de son intérêt de la diffuser.
Des soutiens inattendus
En fort mauvaise posture apparemment, surtout depuis la mise à la retraite d’office d’un préfet soupçonné d’avoir tenu lui aussi des propos ethnistes, le ministre a tout de même reçu des renforts inattendus. Dans Le Parisien, Jack Lang a dit, samedi 12 septembre, tout le bien qu’il pensait de lui. Le recteur Boubakeur de la Grande Mosquée de Paris, dans une déclaration à l’AFP, sans se prononcer sur l’incident, a rappelé les « paroles de respect et d’aménité » que le ministre ne cesserait pas de tenir envers « toute la communauté musulmane ».
Quant à M. Henri Guaino, il a entendu défendre le ministre d’une manière singulière, samedi 12 septembre, sur France Info : « La transparence absolue, a-t-il déclaré, c’est le début du totalitarisme (…) Il n’y a plus d’intimité, plus de discrétion, plus rien n’a d’épaisseur dans la transparence, à commencer les êtres humains. On vole une phrase au hasard, on en fait un événement national, on la diffuse partout, on la commente sans d’ailleurs savoir de quoi on parle. » Cette défense ressemble au pavé de l’ours ! M. Guaino ne revendique-t-il pas le droit d’être ethniste en privé, au nom de la défense de l’intimité ? Se rangerait-il au point de vue de Tartuffe : « Le scandale du monde, dit-il, est ce qui fait l’offense. / Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. » Puis il prétend contre toute raison que les propos incriminés auraient été extorqués et mis hors-contexte.
Deux hypothèses
Il semble, en effet, que le ministre se soit exprimé en sachant très bien qu’il était filmé. Une caméra de chaîne de télévision ne passe pas inaperçue. Le ministre aurait-il donc violé le principe fondamental de « la relation d’information » ? Ce serait un cas d’école ! C’est exclu de la part d’une personne aussi expérimentée. Aussi songe-t-on à deux hypothèses.
- Ou bien M. Hortefeux, en livrant volontairement une information susceptible de lui nuire, savait ne craindre aucune diffusion de ses propos de la part des chaînes parlementaires ; et la décision d’autocensure de leur directeur lui a, de fait, donné raison.
- Ou alors il savait que ses propos seraient diffusés et il les a volontairement adressés à cet électorat d’extrême-droite qui a fait l’élection du Président Sarkozy en le ralliant massivement en 2007, pour lui montrer qu’il ne l’oubliait pas.
On objectera que le ministre a contesté le sens prêté à ses propos. C’est vrai ! Mais il a varié dans leur interprétation : le pronom « en » dans « quand il y en a beaucoup » renverrait à des auvergnats, puis à des photos auxquelles il se prêtait, ce que contredit formellement la vidéo. Mais pour finir, que retient-on de ce débat, avec ses palinodies et ses démentis ? que le ministre a estimé que par leur nombre, les Maghrébins créent des problèmes. C’est bien le message qui peut plaire à la fraction d’extrême droite de l’électorat. Paul Villach