Le monde après Ben Laden : Laïcité ou islamisme ?

par guylain chevrier
jeudi 12 mai 2011

Ben Laden, l’animateur et le symbole du terrorisme islamique, responsable de milliers et de milliers de victimes, est mort, par le fait d’une intervention commando américaine qui a rempli son contrat. Cet événement majeur, sans doute historique, bien qu’il ne signifie nullement la fin du terrorisme, semblait ne retenir que certains questionnements de portée bien limitée. « Justice est faite » a dit le Président américain, on a alors entendu ne devoir se poser immédiatement que cette question : "Est-ce moral ?" Autre thème, « Le corps de Ben Laden a été immergé en mer selon le rite islamique », pour entendre immédiatement, mille et une fois exprimée cette question passant pour capitale : "le rite islamique a-t-il été bien respecté ?"

Du recteur de la mosquée de Bordeaux à la mosquée de Paris, en passant par le collectif contre l’islamophobie, on ne s’intéresse qu’à poser les questions du caractère moral de cette opération et d’insister sur le fait que l’on n’aurait pas respecté le rite musulman, considérant que tout individu devrait être traité avec humanité… Pas un mot pour les victimes du terrorisme fou de ce dément qui n’avait plus rien d’humain, qui a eu sur les mains le sang de victimes sans compter et majoritairement des musulmans. Aucune dénonciation du terrorisme bien au contraire, il s’agit pour ceux-là de demander des comptes sans s’intéresser le moins du monde au pourquoi, pour mieux faire oublier ce qu’ils ne veulent pas voir !

Les grands médias toujours dans la victimisation et la justification en regard de l’islam

L’essentiel des commentateurs, comme sur France-infos toute la journée où l’événement s’est produit, n’ont cessé de répéter ces mêmes questions, en regard d’aspects qui devraient passer tout compte fait pour des détails et donc peser peu. On a l’impression, dès qu’il est question de l’islam, d’être toujours piégé par l’écho d’une victimisation propre aux populations d’origine immigrée, en regard de laquelle il serait question de toujours devoir se justifier, c’est indéniable. C’était comme l’occasion de mieux encore s’en rendre compte à travers ce décalage flagrant ! Il y a un constat ici et pas de fantasme !

Aussi, pourquoi doit-on semble-t-il toujours relayer d’abord, dès qu’un sujet interpelle l’islam, ce que ses responsables religieux pensent, que l’on peut soupçonner de ne pas être nécessairement objectifs, avec une complaisance qui questionne. Pourquoi n’avoir pas plutôt cherché à savoir ce qui fait que de nombreux musulmans ne rejettent pas le terrorisme, voire le justifie, lorsqu’ils n’adulent pas Ben Laden ?

Ce qui devrait préoccuper les grands médias d’abord, ne serait-ce pas de questionner cette religion pour comprendre comment, si on ne saurait l’assimiler au terrorisme, elle se trouve néanmoins à l’origine de celui-ci et pas une autre, dont les références servent à l’alimenter ? Le djihad est bien ce pilier de l’islam qui est le moteur idéologique du terrorisme, la guerre sainte contre les mécréants et les apostats, inscrite dans les fondements de cette religion lorsqu’elle est appliquée à la lettre.

Cet événement agit comme un révélateur des enjeux de société pour les musulmans comme pour ceux auxquels se pose la question des évolutions à venir du monde arabe, du monde tout court, et au tournant, de celles de la France et sa laïcité dans ce contexte.

Une attitude des représentants musulmans, reflet d’une justification du terrorisme

Ce qui devrait interroger voire choquer, plutôt que la qualification de cette action militaire ou la façon dont a été traitée la dépouille du défunt, c’est le fait que l’essentiel des pays musulmans ne se félicitent pas de la fin de ce criminel sans nom qui a été à la tête d’un terrorisme qui n’a eu aucun équivalent dans l’histoire.

Pour 80% des pakistanais nous dit-on, c’est un héros, et pour combien de musulmans Français qui, lors du 11 septembre 2001 ont crié victoire et vengeance contre les Etats-Unis. Ben Laden ne l’oublions pas tenait sa légitimité aussi du conflit israélo-palestinien dont la cause est largement partagée par les musulmans en France. Comment ne pas s‘interroger à propos du fait que les mêmes qui se reconnaissaient dans Ben Laden soutiennent le Hamas de façon aveugle, une organisation pour laquelle le terrorisme est une arme comme les autres, qui a dans ses projets politiques l’installation d’une république islamique, émanation direct du régime liberticide et criminel iranien, avec lequel l’organisation islamiste palestinienne partage le but de supprimer un pays et sa population ce qui serait un génocide, Israël ? Le Hamas qui vient d’ailleurs de déclarer « Nous condamnons le fait de tuer un combattant arabe » On ne peut être plus clair.

Les journalistes n’ont-ils rien à dire sur le fait que l’on donne à des places des noms de terroristes dans les territoires palestiniens, qui se sont fait exploser dans la foule, tuant un maximum d’Israéliens, de femmes d’enfants…., des civils, par fanatisme. On voit ici se profiler un déséquilibre dans la défense des causes, et ce n’est certainement pas cette façon de dédouaner l’islam que l’on aidera à la paix dans cette région du monde, ou que l’on aidera en France à la mise en perspective de la modernisation de cette religion.

Le soutien des musulmans au terrorisme encouragé par une bienpensance qui tourne le dos aux droits de l’homme

Ce terrorisme a été depuis longtemps justifié y compris par une certaine gauche, derrière une argumentation que l’on connait bien et que Stéphane Hessel reprend à son compte dans son fameux petit livre « Indignez-vous ! » (Indigène éditions), dont on ne parle jamais du contenu qui, à côté des bons sentiments qui servent à nourrir une bonne conscience à peu de frais, révèle de graves problèmes : Après avoir insisté qu’il s’indigne du fait que « des Juifs puissent perpétrer eux-mêmes » ce qu’il désigne comme « des crimes de guerre » il explique à propos du Hamas, qu’envoyer des rockets sur la ville de Sdérot en Israël ne le servirait pas, sans rien dire des conséquences pour les populations qui les reçoivent, mais surtout, il en vient à son propos essentiel : « Ça ne sert pas sa cause, mais on peut expliquer ce geste par l’exaspération des Gazaouis. Dans la notion d’exaspération, il faut comprendre la violence comme une regrettable conclusion de situations inacceptables pour ceux qui les subissent. Alors, on peut se dire que le terrorisme est une forme d’exaspération. » La justification du terrorisme dans ces conditions est totale, et ce n’est pas le bémol mis avant pour dire que le terrorisme serait inacceptable en y adjoignant un « oui mais » ou de prôner la non-violence le chapitre suivant, qui y change quoi que ce soit (pages 17-20).

La compassion qui habite ce propos élude l’analyse et conduit à se tromper de colère, d’indignation ! L’indignation n’est jamais qu’un sentiment, face à une notion d’injustice qui, selon que l’on soit libéral ou marxiste fonctionne sur un mode contradictoire. Aussi, elle ne peut tenir lieu de réponse en elle-même, comme le souligne Jacques Julliard dans le journal Marianne (Editorial, 18-31 décembre 2010). Elle fait plutôt illusion en distribuant des indulgences.

C’est simplement le soutien à une logique que l’on connait bien dans l’histoire et qui se termine toujours de la même façon tragique sous le signe de « la fin justifie les moyens ! » A aucun moment, Stéphane Hessel ne dénonce le terrorisme comme un crime alors qu’il n’a aucune hésitation à le faire lorsqu’il parle des Juifs en grossissant le trait pour prendre fait et cause pour les Palestiniens à travers la défense du Hamas. Il reprend d’ailleurs son propos plus loin en se référant à Sartre, favorable au terrorisme concernant la guerre d’Algérie, dont il dit se désolidariser, pour encore justifier de ne pas juger les terroristes : « Se dire « la violence n’est pas efficace », c’est bien plus important que de savoir si on doit ou pas condamner ceux qui s’y livrent. » Ce qui semble être au cœur de sa réflexion, c’est cette idée qu’il exprime telle quelle : « Le terrorisme n’est pas efficace ». Ce qui n‘a rien à voir avec une condamnation mais un constat de manque d’efficacité ! On croit rêver ! Est-ce cela qui peut encourager à la paix que cette critique du bout des lèvres du terrorisme ? Non !

La sympathie qu’attire Stéphane Hessel est à la mesure de sa crédulité et de son sentimentalisme très orienté. Rien qui ne justifie un prix Nobel comme un Michel Rocard et un Edgard Morin le proposent, ces européens libéraux convaincus, autant que Stéphane Hessel. Derrière tout cela, il manque l’essentiel, la remise en cause du capitalisme qui est la cause principale des injustices, plus encore du retour en force du religieux contre la République par sa logique immorale du « tout s’achète tout se vend » et son culte des égoïsmes, qui ruine la valeur de l’intérêt général seule capable de permettre de dépasser la querelle des différences, religieuses, d’origine, de couleurs, à la faveur du bien commun !

On ne se rend pas compte des dégâts que ce discours bienpensant fait ici, jetant la confusion sur toute analyse rigoureuse permettant de poser les véritables enjeux politiques de la question palestinienne, qui ne saura se résoudre qu’en dehors de la religion, de part et d’autres, alors que le Hamas ramène le religieux comme préalable à son règlement, sur le mode du sacré qui conduit à la catastrophe.

C’est, à une autre échelle, le même problème que celui posé en regard d’un islam en France qui, à travers le retour à la tradition et au voile qui est son porte drapeau, fait valoir la religion comme première dans l’ordre de l’identité. Ceci étant le reflet d’une pensée qui pose « les droits de dieu » avant les droits de l’homme, comme Mohamed Arkoun (1928-2010), islamologue considéré comme la référence française en la matière, n’hésitait pas à l’affirmer le 15 mars 1989 dans une interview accordée au journal le Monde, dans la défense qu’il faisait de la fatwa contre Salman Rushdie : « " Je refuse l'a priori facile et réducteur qui consiste à dire qu'un écrivain a le droit de tout dire et de tout écrire. Salman Rushdie a commis plus qu'une légèreté. La personne du Prophète est sacrée pour les musulmans et elle doit être respectée comme telle, même dans une fiction littéraire (…) La perception des droits de l'homme dans une pensée occidentale réduite au seul rationalisme positiviste et historiciste renforce le malentendu avec l'islam, qui a pensé ces droits de l'homme dans le cadre plus large des droits de Dieu »

Dieu, entendons ici Allah, aurait ainsi une pensée plus large que celle des droits de l’homme. Avec de telles considérations en regard du christianisme, nous en serions encore en France à la religion d’Etat et à l’alliance indéfectible entre le trône et l’autel dont nous avons rompu les liens par fait de révolution ! Comment est-il possible que cette réflexion gravissime mettant en cause directement les droits de l’homme, la démocratie et les libertés, dans ce journal si prestigieux, soit passée inaperçue. Quelques mois plus tard après cette interview, la première affaire du voile dans l’école éclatait !

Aujourd’hui comme hier, une seule question de fond : « Laïcité ou islamisme ? »

Force est de constater qu’à ne pas poser, dans le cadre de cet événement et de façon générale, certaines questions cruciales relativement aux relations entre islam et société, parce que cette religion serait celle de l’ex-colonisé, ce qui la sacralise en en interdisant la critique, on nuit à ce que les musulmans trouvent toute leur place dans la société française en en adoptant les valeurs et les principes. Il ne s’agit aucunement de demander de renoncer à la croyance, à une religion ou même aux racines d’une culture, mais de considérer que c’est ce que l’on met en commun avant tout avec quoi on fait société, non une addition de différences, ou c’est vite la concurrence entre les identités qui fait la loi et donc la division du peuple. Une situation dont se frottent les mains les spéculateurs, les rentiers et leurs serviteurs politiques.

Evitons de nous faire avoir deux fois, la première par le détournement des valeurs de la République pour une cause qui fut celle d’un impérialisme au service du pouvoir de l’argent au temps du colonialisme et une autre fois en en condamnant la République aujourd’hui après qu’on ait rompu avec ce passé, qu’on ait su le dépasser. Notre République recèle les bases d’un nouveau projet de société si on veut bien en pousser jusqu’au bout la logique, à l’aune de la laïcité, cette valeur supérieure, fondant le vivre ensemble sur le principe de l’égalité de tous devant la loi, par-delà les religions et le droit de ne pas croire, tout en en protégeant la liberté, invitant ainsi à se mêler au lieu de se mettre les uns en regard des autres à part.

En réalité, il ne faut pas se le cacher, l’alternative est plus que jamais entre laïcité et islamisme. Si on encourage la justification du terrorisme au nom de « la fin justifie les moyens », on justifie l’islamisme et on encourage à ce que nos concitoyens musulmans du monde tournent le dos à la démocratie et à la laïcité, en croyant voir dans un retour aux sources de la tradition une authenticité qui n’est jamais qu’une marche arrière-toute de l’histoire. Ceci se traduisant en France dans un repli identitaire avec un rejet des valeurs communes, de la République et de l’intégration. Céder au nom de cette fausse « grande cause » sur les grands principes de notre nation, issus de l’histoire de nos révolutions, c’est faire tout perdre à tout le monde. 

Ceux qui nous disent que le printemps arabe va aboutir à la démocratie et à la promotion des libertés vont ainsi vite en besogne. Car c’est oublier à la fois le contexte décrit ici et le décor historique plus général qui fait que, entre la défaite de la nation arabe du modèle nassérien dans les années 1960-70 qui a laissé la place au panislamisme et l’influence croissante de l’Iran, alliée à une multitude de minorités ou de majorités chiites dans les pays qui sont entrés en révolte ainsi qu’aux Frères musulmans, c’est plutôt une nouvelle unité arabe sur fond de retour à l’islam pur et dur s’opposant à l’Occident qui nous guette, que le progrès et l’humanisme.

L’accusation d’islamophobie pour interdire toute critique de l’islam et rejeter l’intégration, cette valeur démocratique et laïque d’émancipation.

Aux journalistes et autres censeurs qui identifient la critique de l’islam avec la transgression d’un tabou sous prétexte qu’elle serait la religion du nouvel opprimé après l’ouvrier passé à la trappe, il est bon de rappeler que le terme d’ « islamophobie » dont on se sert à tort et à travers, est tout simplement un terme qui vise à introduire dans le droit le « délit de blasphème », autrement dit l’interdiction de la critique des religions. Voilà comment est définie par Caroline Fourest & Fiammetta Venner, ces deux pourfendeuses des dangers de l’islam politique (« Tirs croisés »), l’islamophobie : « Le mot “islamophobie” a été pensé par les islamistes pour piéger le débat et détourner l’antiracisme au profit de leur lutte contre le blasphème. » ( http://www.prochoix.org/frameset/26/islamophobie26.html ). Que les grands médias fassent enfin leur travail réel d’information, en nous aidant à poser les problèmes au lieu de participer à une limitation de la pensée qui veut que, bientôt, défendre la laïcité à partir du moment où cela participe d’une critique de l’islam risque d’être assimilé à défendre des thèses de l’extrême-droite, ceci ne pouvant que desservir Français et immigrés, musulmans ou non, croyants ou incroyants.

Revenons donc pour conclure, à un de nos grands principes qui résume à lui seul à travers sa définition le chemin à parcourir pour que la démocratie triomphe et avec elle la supériorité des droits de l’homme sur les droits de dieu, « l’intégration » définie comme un beau projet humaniste et laïque tel que le Haut Conseil à l’Intégration le propose : « Sans nier les différences, en sachant les prendre en compte sans les exalter, c’est sur les ressemblances et les convergences qu’une politique d’intégration met l’accent afin, dans l’égalité des droits et des obligations, de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de notre société et de donner à chacun, qu’elle que soit son origine, la possibilité de vivre dans cette société… » Notre vivre ensemble, comme la paix entre les peuples, relèvent de cet état d’esprit où la laïcité, qui fait de l’homme un égal parmi les égaux avant toute chose, propose qu’il soit agent de son histoire, pour ensemble en choisir le sens au nez et à la barbe des dieux.

Guylain Chevrier


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