Le monde des Bisounours et du risque zéro

par Georges Yang
lundi 17 octobre 2011

Elle est de plus en plus sinistre la France, avec ses peurs, ses indignations, ses oukases et sa recherche d’un petit confort à la fois étriqué et moral. Jadis, il y a tout juste cinquante ans on était communiste, gaulliste, partisan de l’Algérie française ou pour son indépendance. On plastiquait, ratonnait, sulfatait et éradiquait encore un peu (au nom du FNL, de l’OAS ou du SAC), on faisait des barricades, répliquait aux charges des CRS, certes moins violentes qu’au temps des affrontements des années 30 où la garde républicaine y allait à cheval. Mais au moins on avait des ennemis dignes de ce nom, quelle que soit son orientation politique. De nos jours, on se passionne devant son poste de télé pour l’affaire DSK ou pour les composants des biberons, on monte au créneau contre les jouets chinois et l’on approuve les radars, la traque fantasmée aux pédophiles et l’on se suicide (très rarement) sur le lieu de travail (comme de nouveaux bonzes) dans l’espoir posthume de voir ses ayant-droits toucher des indemnités. Pauvre France consensuelle, bien plus con que sensuelle (car le cul lui aussi est devenu mal vu), qui a peur de tout, du nucléaire, des pesticides, des banlieues, du réchauffement climatique et de toute une série de lubies millénaristes ou new age.

Malgré tout Michel Houellebecq arrive encore à vendre des livres, Eric Zemmour a ses fidèles, mais leurs aficionados sont les premiers à approuver les lois liberticides qui nous pourrissent la vie au quotidien. Certes, on ne va pas risquer un mauvais coup dans une manif pour défendre les ampoules à incandescence, on ne va pas se remettre à fumer dans les lieux publics ou dire à une collègue de bureau qu’elle a un beau cul, car la morale laïque, politiquement correcte veille à nous ramener dans le droit chemin consensuel lénifiant teinté d’écologie, d’idéologie sécuritaire, de féminisme et de droits de l’homme, du bébé phoque, de l’enfant, de la femme, du handicapé, du sans-papier, du propriétaire d’un pavillon de banlieue, sans oublier les homosexuels, les nains que l’on ne peut plus lancer, les enseignants, les agents de la RATP et de la SNCF avec leur droits de retrait qui paralyse la France au moindre incident. Tous ces gens et catégories ont des droits respectables et indéniables, mais hélas obligatoirement contradictoires avec les aspirations d’autres groupes de la société. On ne peut satisfaire tout le monde à la fois au risque de l’anesthésie et de la paralysie du pays. Vivre, le simple fait d’être avec ses goûts, ses choix, ses orientations gênera inévitablement quelqu’un, il faut en avoir conscience. A force de respecter tout le monde, la société française va en arriver à un blocage où il ne sera plus possible de faire et même de dire quoi que se soit au nom du sacro-saint respect. Une société vivante doit être nécessairement conflictuelle, c’est ce qui la fait progresser. Il n’est pas question d’ostraciser, d’interdire, d’éradiquer ses adversaires, bien au contraire, il faut des ennemis, des opposants, des contradicteurs pour que la vie ait un minimum d’intérêt, quitte à les insulter, ou leur taper sur le pif quand ils vous énervent trop.

Une France sans écologistes, sans Front National, sans altermondialistes et sans ultra-libéraux serait bien triste et bien fade car trop uniforme, pour les sarkozystes c’est un peu plus difficile à admettre, mais il en faut bien quelques uns comme Frédéric Lefebvre pour les couvrir de ridicule même quand il ne parle pas de Voltaire. Cela dit, avoir des adversaires, c’est bien, à condition qu’ils n’empiètent pas trop sur vos propres libertés, dans ce cas il faut réagir et souvent fermement. De la diversité, il en faut, avant tout pour qu’elle débouche sur des confrontations, mais hélas, notre société se dirige vers un consensus mou, une démocratie plan-plan chloroformée à la scandinave. Maurras détestait Blum au point d’inciter au meurtre, c’était certes un peu excessif pour employer un euphémisme, mais de nos jours Hollande pousse des cris d’orfraie quand Aubry le taquine au lieu de répliquer vertement. C’est ce qu’il appelle être normal, drôle de concept de la normalité.

Tout commence désormais dès la maternelle ; le gosse qui en cogne un autre va direct chez le pédopsychiatre, alors qu’on trouve tout naturel qu’il n’obéisse pas à l’institutrice car il doit pratiquer son éveil et qu’il se roule par terre pour avoir une pizza. Le bizutage est devenu illégal et la France entière s’insurge au moindre accident sur un manège forain.

Jean-Edern-Hallier était un pitre inconsistant presque aveugle, il n’empêche que François Chalais lui a collé un pain dans la gueule quand il l’a traité de collabo sur un plateau de télévision. Defferre a provoqué Ribière en duel en 1967, le dernier duel connu en France. Hélas ce n’est pas demain la veille que nos députés feront le coup de poing à la Chambre comme les Russes l’osent encore à la Douma pour défendre leurs idées même quand ils ne sont pas bourrés. La liberté de penser, la vrai, ce n’est pas la soupe de Florent Pagny pour échapper au fisc, c’est celle de Valmy, c’est celle des viticulteurs contre lesquels l’armée refusa de tirer au début du siècle dernier. Qui est encore capable de prendre des coups pour défendre ses idées, la veuve et l’orphelin, ou ses droits fondamentaux dont celui de faire chier ceux que l’on n’aime pas. Non, il faut désormais être consensuel, aspirer à une démocratie castratrice à la suédoise où il n’y a plus officiellement ni putes ni fessée.

Et tout ce petit monde applaudit les révolutions arabes, comme s’il n’y avait pas des morts dans ces pays. La révolution n’est pas un jeu vidéo, certains semblent l’avoir oublié. Sans préjuger des manipulations et de la spontanéité de ces mouvements, il faut reconnaitre à ces manifestants un certain courage que n’ont plus les Français. C’est facile de se révolter par procuration, c’est beaucoup plus difficile de dire non dans sa propre démocratie castratrice. Toute manifestation engendre de fait une contre-manifestation dans un pays encore vivant, sinon l’on tombe dans une forme de stalinisme qu’il soit religieux, politique ou moral. Il est plus facile de combattre des extrémistes ou des despotes que des béni-oui-oui, car ceux-ci pensent avoir le bon droit de leur côté et la majorité derrière eux. Les bons esprits vont nous citer Gandhi ad nauseam, ils oublient de dire que leur fameux Gandhi, en 1936 à Moscou ou à Berlin, il aurait fini à la trappe sans autre forme de procès.

Il faut donc acheter le petit pamphlet de Stéphane Hessel et s’indigner en bêlant. Ca ne mange pas de pain, mais toute indignation devrait déboucher sur des actes quelles que soient ses opinions et ses aspirations. Il est tout autant légitime de s’insurger que de défendre ses privilèges, mais pour ces derniers, il faudrait un peu plus de courage que celui des rentiers et des actionnaires, celui de Murat, essayant de conserver son Royaume de Naples et finissant devant un peloton d’exécution. Nous sommes loin de l’esprit de 1789, 1830, 1848 ou de 1871. Bien sûr les conditions sociales ont évolué, mais chacun veut garder son petit patrimoine, ses droits acquis et pour cela, il est prêt à avaler n’importe quel boa constrictor, car on a désormais largement dépassé le stade des couleuvres.

Pauvre France de Bisounours plaintifs et geignards qui veut le beurre et l’argent du beurre et par-dessus le marché, qu’on lui fasse crédit. Le monde a changé de face, nous ne sommes plus rien du tout si l’on veut parodier la chanson. La France doit rester dans les clous, ne pas boire, ne pas fumer, attacher sa ceinture et trier ses poubelles. Pas un comportement qui puisse être gênant, nuisible et encore moins risqué à défaut d’être dangereux. Pas un mot de trop qui pourrait choquer, blesser ou être ironique, déplacé ou outrancier. Du plus petit peigne-cul au plus puissant politique, on porte plainte pour injure, diffamation, atteinte à l’image, alors que sans aller sur le pré comme jadis quelques baffes suffiraient pour calmer l’arrogant. Mais ailleurs, hors de France et d’Europe occidentale certains osent encore se révolter, s’insurger, gueuler jusqu’à sortir les fourches et les fusils. Mais lorsque les lois liberticides sont votées par un parlement élu « démocratiquement », le citoyen a l’impression qu’il doit obéir car ce n’est pas un dictateur qui l’impose. Le résultat est le même, car au nom de la protection collective, on en arrive à pénaliser tout le monde et à interférer dans sans liberté sans laisser de champ au libre-arbitre quitte à assumer les conséquences de ses actes quand ils sont nuisibles à autrui. Il n’est pas question de prôner la guerre civile en France, mais tout simplement de fustiger la lâcheté.


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