Le Mur, la guerre sans fin et l’Etat ghetto : une impasse historique ?
par Philippe Vassé
mercredi 8 août 2007
Ce travail de réflexion se veut avant tout, il est utile de le rappeler en préambule afin d’éviter le déchaînement stérile de passions habituelles sur le sujet, une étude humaniste et raisonnable sur une situation complexe qui engage l’avenir d’au moins deux peuples - palestinien et israélien - vivant sur une même terre, et, au-delà, la stabilité et la paix dans la région du Proche et Moyen-Orient, avec toutes les conséquences en arrière-plan que cela induit, notamment la question du pétrole.
Il se veut aussi un appel serein à la paisible réflexion collective afin de dégager pour l’avenir la voie vers une paix féconde et profitable aux deux peuples concernés au premier chef, paix qui ne pourra se faire que sur la base naturelle de la justice et du droit égal pour tous, l’injustice et le mépris des droits d’autrui étant toujours, en dernière analyse, les racines de conflits dommageables aux peuples et à leur destin pacifique.
Il importe de dire ici que ce texte fait suite à des remarques, presque des appels au secours, d’amis israéliens comme palestiniens qui, tous, avec leurs propres mots, expriment une même attente, un espoir commun : que la guerre qui dure depuis si longtemps cesse enfin et que la paix entre les deux peuples épuisés par ce conflit puisse devenir réalité par un vrai dialogue direct et large.
C’est à ces femmes et ces hommes, qui me sont également chers, que cet article est dédié, avec l’espoir au coeur que cet humble texte pourra contribuer, même un peu, à faire avancer les esprits dans le sens qu’ils désirent tant : vers la paix, pérenne car juste, entre les deux peuples.
Petit rappel historique
Afin de comprendre le titre de cet article et la problématique qu’il pose quant à l’impasse historique qui y est indiquée, il est nécessaire de tracer d’abord un bref historique des faits qui ont conduit à la situation présente et que l’édification de ce « Nouveau Mur » - qui rappelle à la mémoire collective celui qui divisa sinistrement vingt-sept ans durant l’Allemagne - souligne avec une force symbolique accrue.
Car, à l’origine de ce qui est aujourd’hui, il y a des réalités historiques et humaines indéniables :
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d’un côté, un peuple de paysans et d’éleveurs arabes, en majorité sédentaires, qui vivait sur un territoire appartenant au début du XXe siècle à l’Empire Ottoman turc, un Empire ancien et travaillé par des forces dislocatrices puissantes, tant dans ses territoires européens (Balkans) qu’au Proche-Orient, réveil des mouvements de libération nationale dans les territoires arabophones. Ce peuple, dominé par l’autorité turque, vivait calmement sur sa terre des fruits de son labeur, sans se soucier trop des problèmes politiques généraux. Il n’avait pas encore, au début du XXe siècle et dans les conditions mentionnées, développé une conscience politique ou nationale ;
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de l’autre, un mouvement - le sionisme - qui a pris son essor en Europe orientale et dans la Russie tsariste travaillée par les crises révolutionnaires. Ce mouvement déclarait avoir pour objectif affiché de donner un Etat, un refuge stable et sûr, aux populations juives de cette partie de l’Europe souffrant des massacres et des mesures discriminatoires des gouvernements locaux. D’un certain point de vue, le mouvement sioniste se revendique d’un mouvement de libération nationale aussi, bien que deux facteurs essentiels le distinguent des mouvements similaires des XIX et XXe siècles : le premier est que ce mouvement n’est pas fondé sur une population géographiquement regroupée sur une terre où elle serait majoritaire, opprimée par un seul pouvoir politique étranger ; le second est qu’au sein même du peuple que ce mouvement entend libérer, le sionisme est minoritaire et rencontre diverses oppositions, qui vont des révolutionnaires juifs, notamment polonais et russes, de l’époque jusqu’aux bundistes, un parti ouvrier spécifiquement juif d’Europe orientale qui revendiquait seulement l’égalité des droits sociaux et politiques pour les juifs dans les pays où ils résidaient. C’est dans ce contexte d’alors que l’immense majorité des émigrants juifs de Pologne et de Russie - entre 1885 et 1914, se dirigea vers les Etats-Unis. Ces millions d’émigrants juifs qui fuient l’Europe orientale et la Russie voient le jeune Etat américain comme un refuge plus sûr et plus attractif que la Palestine, avec sa pauvreté, son climat, son statut ottoman musulman. Ces facteurs divers expliquent que près de trois millions de juifs européens émigreront dans cette période vers les Etats-Unis alors que moins de 80 000 répondront, de gré ou par absence d’autre perspective, à l’appel du mouvement sioniste pour s’installer en Palestine durant cette période.
L’histoire des événements, que cet article n’a pas pour vocation - ce serait trop long - de rappeler, a abouti à ceci :
- au cours des années qui vont de 1885 à 1948, une population d’émigrés juifs européens, principalement, s’installe, par vagues successives, sur le territoire de la Palestine actuelle, rachète avec l’argent de riches philanthropes juifs occidentaux aux potentats locaux arabes (propriétaires terriens) des terres cultivables et y développe une nouvelle communauté juive qui, pour ses dirigeants, devrait avoir deux objectifs clairs : le rassemblement de tous les juifs du monde dans le pays à travers la création d’un Etat juif souverain, dans la paix et la prospérité enfin acquises.
En 1948, 650 000 juifs habitent sur le sol palestinien.
Il est intéressant de noter ici, qu’au tout début de ce mouvement migratoire - entre 1885 et 1914 en gros, les paysans arabes accueillirent les nouveaux arrivants avec bienveillance, voyant en eux des pauvres réfugiés, victimes d’exactions commises contre eux dans leurs pays d’origine. Une fraternité paisible exista alors entre les autochtones et les nouveaux venus. Ce n’est que, quand cette communauté de réfugiés immigrés commença à manifester, sous la direction politique du mouvement sioniste, sa volonté de créer un Etat juif sur leur sol que les pacifiques paysans arabes réagirent spontanément contre ce projet et ce qu’il signifiait à terme pour eux : une dépossession de leurs terres et de leurs droits humains essentiels.
Naturellement, ce mouvement politique vers un Etat juif, venant d’ « immigrés » européens, étrangers au pays, provoqua d’abord l’inquiétude - après surtout 1919, puis des révoltes de la part de la population arabe autochtone - notamment en 1936. Face à ce qu’elle ressent comme une « invasion » progressive et une menace grandissante, cette population aussi commence à s’organiser et à se doter d’une conscience nationale, d’une identité propre : la nation palestinienne naît.
En 1948, 850 000 Arabes habitent sur le sol palestinien.
En novembre 1947, Nations unies, appuyées par toutes les grandes puissances de l’époque, URSS incluse, votent le partage de la Palestine entre les deux communautés. C’est le début du conflit israélo-arabe au sens générique du mot, qui fait suite aux affrontements irréguliers depuis plus de quinze ans entre juifs et Arabes de Palestine.
Le 14 mai 1948, l’Etat d’Israël est proclamé par les dirigeants juifs palestiniens et la guerre qui s’ensuit, à la fois avec les Palestiniens et les Etats arabes voisins, se soldera par deux faits historiques décisifs pour l’avenir :
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l’inexistence par disparition pure et simple de l’Etat arabe palestinien tel que décidé par le vote de l’ONU en 1947 ;
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l’exode fuite de près de 650 000 paysans palestiniens vers les pays arabes environnants, appelée en arabe la Naqba (la catastrophe en français).
La question nationale palestinienne est née de ce double drame historique.
Le Mur de séparation, le bilan du sionisme et la question palestinienne
En 1949, quand cette première guerre israélo-arabe se termine, le bilan pouvait apparaître comme un succès pour le mouvement sioniste : il avait réussi à créer un Etat juif, c’est-à-dire à concrétiser son objectif initial officiel. Mais il a généré, ce faisant, le « problème palestinien », avec sa colère fondée sur une injustice et tous les dangereux ingrédients que cela induit.
La question palestinienne, qui, en 1949, semblait à tous les dirigeants israéliens une chose secondaire, va devenir, avec les décennies, la vraie question centrale qui mine, au sens littéral du mot, le nouvel Etat et le jette, non pas sur la voie annoncée de la paix et de la prospérité, mais sur le sentier sanglant des guerres répétées, des crises successives et de l’insécurité permanente.
En novembre 2007, ce sera le soixantième anniversaire de la résolution des Nations unies qui voulut créer deux Etats, un pour chacun des deux peuples. Soixante ans, c’est aussi un recul suffisant en temps pour juger de la situation présente eut égard aux objectifs énoncés et tirer un bilan historique.
Du côté du sionisme, le bilan objectif, mesurable, quantifiable, est le suivant :
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Israël a rassemblé environ 1/3 des juifs recensés dans le monde après soixante ans d’existence, ce qui peut sembler marquer un échec du sionisme originel. Il est vrai que les pogroms et les massacres antisémites ne sont plus en vigueur de nos jours et que la majorité des populations juives, en quasi totalité résidant sur les continents américains et européen, ne voit pas l’intérêt d’émigrer vers ce pays, de plus toujours en guerre ;
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la situation économique de cet Etat y est fortement dépendante de l’aide financière américaine annuelle. Le pays ne connaît donc ni la paix ni la prospérité ni la sécurité. Face aux conséquences du déni continu des droits du peuple palestinien et de ses revendications nationales, les autorités israéliennes ont bâti enfin un « Mur de séparation » qui a fait d’Israël, sur le plan de l’image publique, un Etat « enfermé » ou, si l’on préfère, un « Etat ghetto ». On est donc loin, au final, du « refuge » stable, sûr et prospère voulu par les initiateurs du sionisme.
Du côté palestinien, la situation n’est pas plus satisfaisante en termes de bilan :
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le semblant d’Etat palestinien récemment créé par des accords internationaux, morcelé et divisé, se compose d’entités géographiques dispersées sur une carte, de plus victimes de conflits internes entre des pouvoirs qui ont tous deux leur légitimité populaire : celui du Hamas à Gaza et du Fatah en Cisjordanie. Ces entités dépendent, comme leur adversaire et/ou interlocuteur, de financements extérieurs (ONU, UE, aides arabes, fonds charitables) pour exister et survivre, quand les citoyens des ces territoires ne sont pas obligés de travailler en Israël pour subvenir à leurs besoins ;
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ces entités émiettées n’ont pas de réelle économie propre ni de base matérielle suffisante pour assurer un minimum de démarrage économique, pourtant nécessaire et indispensable. La pauvreté est la règle et, de plus, les Palestiniens subissent, en-dehors même de leur ancienne terre, des tragédies et massacres, comme ce fut le cas au Liban en 1982 ou en Jordanie en 1971. Les territoires palestiniens sont ainsi devenus des « foyers » de révoltes politiques et sociales permanentes.
Telle est la situation réelle de ces deux peuples en cette année 2007 et elle n’a rien qui justifie, d’un côté comme de l’autre, une satisfaction quelconque ou promette à ces peuples un avenir heureux.
L’impasse historique actuelle et la question d’un Etat commun futur
De ce constat attristant pour les deux peuples, il résulte que le « Mur de séparation », comme les conflits inter-palestiniens, chacun à leur manière, manifestent l’impasse historique des solutions essayées depuis 1947, à savoir deux Etats sur une même terre limitée en surface.
L’échec est patent et doit être reconnu car il est irréfutable et complet.
Un simple coup d’oeil sur la carte de la région manifeste à l’observateur le moins perspicace l’impossibilité matérielle viable de l’existence pérenne et stable de deux Etats séparés sur ce même territoire, eut égard aux implantations géographiques imbriquées des populations.
C’est pourquoi, ce constat posé lucidement, des deux côtés - palestinien et israélien, des voix commencent à évoquer, discuter, argumenter sur la nécessité historique d’un seul Etat pour les deux peuples comme seule issue possible à la situation.
En Israël, d’anciens soldats et officiers, des intellectuels et de simples citoyens font entendre leurs voix. Ils estiment le moment venu de tirer le bilan, sans tabous, du mouvement sioniste en rapport avec l’impasse historique, militaire, politique et financière que le pays connaît, et de définir en conséquence un chemin concret vers la paix, la sécurité et la prospérité, ce qui ne peut se faire à leurs yeux qu’avec les Palestiniens, pas sans eux, et encore moins contre eux.
Du côté palestinien, des voix s’élèvent aussi, des voix qui affirment qu’il est nécessaire de sortir du piège des mini entités palestiniennes qui ne peuvent en aucun cas être viables et pérennes, mais qui nourrissent pauvreté, corruption, régression économique et sociale, milices factieuses et affrontements internes sanglants entre Palestiniens. Ces citoyens palestiniens estiment que la solution la meilleure, la plus pragmatique, la plus assurée d’avenir pour leur peuple épuisé par les douleurs, les morts, les conflits, passe par un dialogue direct, franc, ouvert avec les Israéliens afin de nouer progressivement des relations pacifiées, lesquelles pourront ensuite générer les conditions naturelles de la paix dans la sécurité commune passant par la justice pour tous.
Des deux côtés, chez les deux peuples, un même désir profond, massif, s’exprime dans les profondeurs des deux sociétés : mettre un terme définitif, par le dialogue, au conflit qui saigne et ruine les deux peuples avant que d’autres désastres plus grands ne les frappent.
De là, le mouvement qui prend lentement son essor avec le concept nouveau - le seul qui puisse à l’évidence franchir et surmonter les impasses présentes (les autres « solutions » ayant échoué ou mené à l’impasse actuelle) - d’un seul Etat sur tout le territoire de la Palestine.
Cet Etat commun serait aussi, de cette manière, viable sur les plans économique et social, en paix avec ses voisins, car intégré dans le cadre géopolitique régional.
De ce fait, il serait capable d’assurer les bases d’un développement économique pérenne pour tous ses citoyens sans discrimination aucune, juifs et Palestiniens, à travers une coopération féconde des deux peuples, dans la paix, la sécurité, la fraternité, l’égalité et la liberté enfin retrouvées.