Le musée des automates et des vieilles charrues à Plévin, de monsieur Jean Le Madec
par velosolex
mardi 8 août 2017
Ce fut cette pancarte bricolée sur le bord de la départementale : « Musée des automates » qui attira notre attention. Nous sommes ici aux croisements de trois départements : Les côtes D’Armor, le Morbihan et le Finistère. Tout près de Carhaix-Plouguer…Le pays est tout en vallon et en collines, soulevé par les monts d’Arrée et les montagnes noires. Carhaix...Le festival de musique des vieilles charrues, qui chaque année draine des foules de jeunes et de moins jeunes, est à moins de dix kilomètres d’ici. Dans le temps, où les bornages des champs, des coutumes, des dépendances et des habitudes, c’était déjà un autre pays.
Un musée en pleine campagne….. Plusieurs fois nous étions passés ici en nous demandant si cela valait le coup…. Mais l’expérience nous a souvent montré que le hasard fait bien les choses en vous tapant sur l’épaule, et qu’il ne faut pas négliger ses invitations. Il y a là une fraîcheur, un état d’improvisation propice à l’émerveillement et à la découverte, que bien des circuits programmés ne possèdent pas. C’est ainsi qu’on a fait demi tour, en toute liberté, plein d’allégresse, et tourné vers le petit vallon, à la rencontre des fameux automates, sans avoir la moindre idée de ce qui nous attendait.
Auparavant les déplacements des gens étaient conditionnés par le travail, et le clocher de la commune voisine représentait l’unique horizon, des sortes de phares terrestres que les paysans ne franchissaient pas.... Le pays d’avant... Les témoins de cette époque disparaissent peu à peu. Leurs paroles pendant longtemps furent tout juste respectées. Mais on ne les écoutait guère, la tête tournée vers la modernité.
Ce qui est arrivé à la Bretagne fut le vécu de toutes les provinces françaises. Dans ce pays bretonnant tourné vers les traditions, et essentiellement rural, avec une langue vermiculaire qui excluait ses usagers des gens de la ville, le divorce fut peut-être encore plus cruel qu’ailleurs.
Tout juste un petit hameau, lieu dit « le Restelouët » et puis le musée, une grange de ferme aménagée pour la cause. L’homme assis derrière le comptoir semblait nous attendre. Un couple et ses trois enfants sont venus à point nommé gonfler le nombre de visiteurs, et donner du sel à l’aventure. Car il n’y a rien de mieux que la présence et le regard frais des gamins pour retrouver l’étonnement qu’on a perdu.
C’est un étonnement dès que l’on rentre dans son hangar, où monsieur Le Madec aménagé sa collection. Mais comment en parler sans le trahir. L’homme est bavard, alerte malgré ses 86 printemps. Et fier sûrement ! Il ne demande rien à personne, et propose à voir, à entendre, à s’instruire, à passer un bon moment à nous faire visiter cette collection, où la malice n’est pas absente.
Voir cette vidéo : http://bit.ly/2uzmviC
Il ne m’a pas laissé ramasser une photo tombée d’une table et s’est penché avant moi pour s’en saisir. Pendant toute l’heure qu’a duré la visite, il est resté debout, sans faillir, commentant chacune des scènes qu’il a composées. Il est donc risqué pour moi de prendre la parole à sa place, alors que l’homme est si prolixe. Il y a différentes façons d’apprendre l’histoire et de la restituer, mais l’expérience des hommes de terrain est irremplaçable. Elle donne cette force et cette émotion impalpable qui vous font frissonner quand vous les écoutez, et donner à la mémoire tout son sens.
En l’écoutant, je pensais à un interview de Mickael Haneke conseillant à des jeunes qui voulait faire un documentaire sur la shoah de laisser les témoins de ce traumatisme en parler utilement, plutôt que de faire œuvre d’interprète, en se référant à des sources. Bref il leur conseillait de privilégier ce qu’ils connaissaient, et de partir de leur propre expérience de vécu, pour viser l’authenticité.
C’est cela qui donne une force incroyable à cette visite. C’est comme si le facteur Cheval vous faisait visiter son palais, à Hauterives, ou Tatin son musée, dans la Mayenne.
Jean Le Madec a produit un travail extraordinaire, pour élaborer ce musée particulier, si inclassable, tenant à la fois du musée « Grévin », de celui de « la veuve Tussot » à Londres et « des arts et métiers » à Paris.
Celui nous nous raconte par le détail et le pittoresque, le quotidien de cette génération de paysans au destin unique, ayant du bon gré mal gré s’adapter aux changements et s’arracher à la tradition dés l’après guerre.
Le baroque breton excelle dans sa fantaisie qu’on pourrait juger naïve à entretenir cette promiscuité de costumes d’époque plaqués sur l’antiquité des évangiles, et à entretenir cette promiscuité de mœurs entre les saints et les paysans.
C’est un peu la même chose ici. Un mélange d’histoire, de légendes où la fantaisie s’entremêlant, vous racontant le quotidien des petites gens, leurs métiers, leur vie, par une succession de tableaux vivants.
Les clins d’œil et l’ironie ne manque pas à notre homme, lâchant de temps à autre une expression en breton, dont il garde l’accent et le sel, même dans sa façon de parler en bon français.
Difficile d’être exhaustif devant tout ce que contient le musée. Il vous faudra faire le tour des machines agricoles, des faucheuses, de ces multiples outils qui ont changé le sort des travailleurs de la terre. Partout les figures de cire s’animent et donnent une vie surprenante à ces figures du passé. Ce pays était auparavant un pays d’extraction d’ardoises, et le travail éreintant des carriers est tout autant représenté par une maquette où règne toute une animation mécanique. D’où vient cette émotion si prégnante, en voyant ces mécanismes se mettre en branle, bien mieux qu’une animation en 3M !
Ce n’est pas seulement uniquement une histoire de coutumes, mais de valeurs, et de sens, qu’on brocarda, ainsi qu’une langue ancienne, plus vieille que le Français, sans s’aviser toujours de la qualité des nouveaux paradigmes et des valeurs qu’on mettait en place. Il n’est pas question ici de faire de nostalgie. Quel paysan regrettera la mécanisation du travail et les facilités induites, l’arrachement à la servilité d’un travail qui vous laissait tétanisé, perclus de fatigue ?
Mais en dehors du drapeau breton « gwen ha du », rien n’est noir et blanc en ce monde qui a évolué à toute allure. L’économie de marché a pris le pas, et définit des priorités, des opportunités, attelant l’homme à des pratiques mortifères, en terme de santé, amenant la désertification de régions entières, l’incitant à ne pas penser aux conséquences, mais aux bénéfices immédiats.
Il nous faut faire l'apologie non des "lieux de mémoire", comme on dit maintenant, mais de lieux d'éveil à la mémoire.
Le livre d’images de Monsieur Le Madec est ouvert à tous, même aux petits enfants qui tournent des yeux ronds et s’émerveillent, quand les automates se mettent en branle, et les effraient parfois, comme à l'époque des lanternes magiques. Il y a celui de la paysanne à la baratte qui ouvre le bal. Celui des tailleurs de scieurs en long , Youn et Fanch, perchés tout en hauteur, comme sur un clocher, qui le conclue. L’un des deux acolytes porte le masque de cire de feu Charles Pasqua, ce qui fait rire et s’exclamer un visiteur : « Au moins celui ci aura travaillé une fois dans sa vie...A moins qu’il ne paye aux enfers ses erreurs passées !"…..
Mais avant d’en arriver là, vous aurez croisé Job, qui affûte les faux et les faucilles. Et tant d’autres, animés par la grâce du bricolage ou le retors d’une vieille machine à laver.
Les noms et les occupations ne sont pas choisis au hasard. Ce sont ceux des villageois que notre gardien de musée a connu, et avec qui il a partagé un demi siècle de quotidien laborieux. « Celui-ci est décédé il y a vingt ans !... Celle-ci depuis quarante…. »
Et pourtant il suffit que monsieur Jean appuie sur un contacteur pour les réveiller d’entre les morts. Aussitôt ils se mettent en branle, et repartent au travail. Et c’est ainsi qu’un paysan actionne vaillamment la manivelle de la machine à écraser les ajoncs, afin de nourrir les chevaux l’hiver, et que Victorine tourne l’écrémeuse, comme à l’époque où elle possédait la vigueur d’une jeune femme….
Le culte des morts a longtemps appartenu au quotidien religieux du pays. Les ossuaires remplis d’os et de crânes exposés causaient l’étonnement de l’étranger, qui n’en voyait que le coté macabre, sans en comprendre le sens. Jakez Helias parlait de ce sentiment particulier, unissant vivants et morts dans la même ronde, et qu’on retrouve dans l’iconographie des danses macabres.
« La Toussaint était une sorte de reprise de contact entre ceux qui étaient ici, c'est-à-dire ce qu'on appelait l'église souffrante, avec l'église triomphante de l'autre côté. Et pour cela, il y avait tout un cérémonial. Vous savez, quand on mourrait, tout le monde arrivait pour voir le mort qui était installé sur son lit. Très bien, il y avait tout un spectacle. C'était festif, oui. Et puis, les enfants... Moi quand j'étais petit, on me faisait embrasser la face pierreuse des morts. Vous savez, on a été habitués. Parce que la mort, c'était simplement une sorte de rite de passage entre la vie et puis l'au-delà, quoi. Il ne fallait pas lui accorder tellement d'importance, sinon le départ de quelqu'un qui était de la famille ».
Les prolongements de cette œuvre nous laissent rêveurs, longtemps après qu’on a repris la route .
Il aura fallu qu’il soit arrivé en retraite, pour que Jean Le Madec se mette à l’œuvre. Souhaitons lui encore de longues années de vie, qu’il puisse faire profiter de son érudition et de sa malice tous les visiteurs avertis, les enfants des voyages scolaires, et les autres, touristes de hasard passés près de cette pancarte énigmatique, et qui en sont ressortis éblouis.
Mais savoir si l’on a traité le sujet cette année ?
Il y avait sans doute des nouvelles plus importantes, comme l’arrivée de Neymar, le footballeur Brésilien à Paris, et la promotion de ce maillot floqué qui vaut la peau des fesses.
Si vous passez près en allant au festival des vieilles charrues, l’an prochain, n’hésitez pas à venir voir de près, de plus anciennes tuniques brodées que celle des footballeurs parisiens, dans cet endroit qui reçoit beaucoup moins de visiteurs que le stade de France.
Souvent des avertis. Paul Le Madec vous ferra la visite. Peut être le mécanisme des scieurs de long aura-t-il été réparé ?
Mais comment, et grâce à qui ?
C’était la seule machinerie qui ne marchait plus lors de notre visite. .Le type qui ressemblait à Charles Pasqua, là haut, était donc au chômage, tout comme son collègue. C’est à regret qu monsieur Le Madec a du confesser ce manque..On accordera à son grand âge le droit de se reposer, d’éviter de faire des acrobaties en haut d’une échelle, de ne pas replonger les mains dans les circuits du moteur électrique. Le rôle de guide et de conservateur lui va si bien qu’il aurait le droit de lâcher l’intendance et l’entretien du manège.
Pour se faire, ça serait bien que monsieur le Madec reçoive une subvention du ministère.
Oh, pas grand-chose !. Nous ne sommes pas ici dans la grosse économie bancaire, mais plutôt dans celle « des bouts de ficelles », de l’astuce, de l’invention, de la débrouillardise, de la chaleur heureuse, bref de la vraie vie. Celle qui n’est pas formatée, qui vous réserve des surprises, bien loin de la programmation du net, et des circuits standardisés, des plus beaux villages labellisés…
Mais vous savez bien que l’argent, c’est tout de même le nerf de la guerre, et puis ça donnerait une vraie reconnaissance du travail accompli ! Rien que pour l’entretien aussi du musée, qui ne coûte rien au visiteur. Juste une petite pièce, ou une billet, pour ceux qui veulent bien donner à la sortie. Bien moins qu’un maillot de Neymar, fabriqué dans un de ces pays émergents pour quelques euros, et revendus à prix d’or dans la capitale lumière. Comme on dit.
Ainsi l’automate des scieurs de long pourrait se remettre « en marche »…
Ce qui ferait une jolie publicité pour le mouvement politique du même nom, passant du slogan à la réalité, et du mythe à la vraie vie.
Un vrai symbole à exploiter.
Et cela ferait passer le sosie de Charles Pasqua enfin de l’autre coté de la bûche qu’il besogne, là haut, pour la grande joie des visiteurs.