Le mystère autour de la victime supposée de DSK, un article du JDD l’épaissit plus qu’il ne l’éclaire

par Paul Villach
mercredi 29 juin 2011

Les médias traditionnels ont multiplié les articles étranges sur l’énigmatique « affaire DSK ». Le site Arrêt sur image s’est même amusé à en dresser un palmarès avec attribution de prix parodiques : « Prix de la rumeur hypothétique » « Prix spécial "boule de cristal" » « Prix dus scoop sans intérêt  », « Grand prix de deux témoignages qui ne prouvent rien et qui n'ont pas été vérifiés  », « Prix du meilleur dialogue bidon  », « Prix du grand n'importe quoi  », etc.

 L’article qu’ a fait paraître Le Journal du Dimanche, le 26 juin 2011, avec pour titre « "Nafissatou pleure tous les jours depuis un mois" - EXCLUSIF. Mamadou Diallo, le frère de Nafissatou, parle au JDD  », semble de la même eau mais peut aussi intriguer. Une « envoyée spéciale » est allée recueillir un curieux témoignage du frère de Mme Diallo, la femme de chambre de l’hôtel Sofitel que DSK aurait agressée sexuellement.
 
1- Un témoignage apparemment sans valeur
 
S’est-il agi pour le journal de seulement livrer une information indifférente susceptible de stimuler le réflexe de voyeurisme pour capter l’attention de ses lecteurs ? Les médias sont familiers du procédé. L’agression sexuelle supposée d’une femme de chambre par un représentant de l’oligarchie mondiale, comme on l’a souligné (1), est un sujet propre à provoquer la sidération tant par l’exhibition du plaisir sexuel sadique de l’un que par celle du malheur de l’autre. La métonymie des pleurs de la victime supposée, choisie en titre comme l’effet de la tragédie qu’elle est censée vivre, vise à stimuler le réflexe de compassion. Pour le journal, les faits sont donc établis alors qu’il n’en est rien. Il s’expose, comme dit Fontenelle, au ridicule de trouver des causes à ce qui n’est pas.
 
N’importe, faute de pouvoir puiser des informations à la source, le journal rôde autour pour tenter d’en grappiller ici et là : protégée, dit-on, par la police, la plaignante est, en effet, inaccessible, et la défense ne livre rien dans l’attente de connaître les charges qui pèsent sur elle.
 
Mais à quoi bon recueillir le témoignage d’un membre de la famille de la plaignante ? Ne connaît-on pas d’avance l’éloge qu’il fera d’elle ? Et puis, quelle valeur à ce genre d’attestation en justice ? Aucune, comme toutes celles émanant de personnes ayant des liens familiaux ou de subordination avec une partie. Alors pourquoi déployer tant de moyens et consacrer tant de place à une information inutile ? Car il a fallu chercher pour retrouver ce « témoin » sans intérêt. Comment « l’envoyée spéciale » y est-elle parvenue ? Il vit à Indianapolis dans l’Indiana, loin de New-York où réside sa sœur.
 
2- Un brevet d’orthodoxie musulmane délivré par un demi-frère qui ne connaît guère sa demi-soeur
 
À la différence, cependant, d’un précédent gugusse qui s’était fait passer pour le frère de la plaignante, ce « témoin » serait vraiment son frère, ou plutôt son « demi-frère : le père polygame entretenait deux familles aux enfants si nombreux que M. Diallo, dit-il lui-même, « n’arrive pas à compter  ». Or, c'est précisément pour cette raison que demi-frère et demi-sœur ne se connaissent guère : ils ont vingt ans d’écart. Lui avait déjà quitté son pays quand elle est née. Tout juste ont-ils de rares entretiens téléphoniques.
 
Mais ça n’empêche pas le demi-frère de réciter l’éloge convenu déjà entendu de la mère interviewée précédemment en Afrique. Il se résume à un brevet d’orthodoxie musulmane délivrée à l’aveugle, par déduction de la belle éducation que leur père commun, imam et marabout, est censé avoir donné à sa ribambelle d’enfants. Qu’on en juge ! « Il a élevé tous ses enfants dans la religion et le respect des autres, assure avec aplomb le demi-frère. Nous ne sommes pas allés à l’école. Mais il a appris le Coran à chacun d’entre nous. À Nafissatou comme aux autres. Elle fait ses prières tous les jours. Pendant le ramadan, elle donne de l’argent aux pauvres alors qu’elle est pauvre elle-même. Chaque fois que je lui téléphone pour lui demander d’envoyer de l’argent au village, pour un mariage, un malheur, elle le fait immédiatement. »
 
Pour le reste, « elle (irait) très mal (aujourd’hui, et pleurerait) tous les jours depuis un mois. » L’infâmie qui lui a été infligée rejaillirait sur toute la famille et sur tout le village : « Sa vie est détruite,décrète le demi-frère. Elle est finie. Il n’y a plus rien à faire pour elle  ».
 
Il s’agit donc bien de dresser un portrait édifiant de la plaignante par quelqu’un qui ne la connaît pas, bien qu’il soit de sa famille, et, en la présentant comme une victime incontestable, d’insinuer par voie de conséquence la culpabilité de l’agresseur supposé. Ce verdict définitif est toutefois contredit par un prudent aveu simultané : le demi-frère dit ne rien savoir de ce qui s’est passé dans la chambre du Sofitel : « Il n’y a que l’homme, Nafissatou et Dieu qui connaissent la vérité  », conclut-il. On est bien avancé !
 
3- Le grief surprise du demi-frère envers sa demi-soeur
 
On reste donc intrigué par les motivations qui ont inspiré cet article apparemment inutile et coûteux. Mais comme toute information indifférente, il peut remplir discrètement certaines fonctions. N’entre-t-il pas dans la stratégie de l’accusation ? Il a fallu bénéficier de « tuyaux » précis pour aller dénicher ce demi-frère dans le fin fond des USA. Qui y a conduit « l’envoyée spéciale » ?
 
Dans ce « témoignage » prévisible et sans valeur, on relève, toutefois, une information insolite. Un grief envers sa demi-soeur paraît avoir échappé au demi-frère : il lui reproche de s’être égarée en allant travailler à l’hôtel Sofitel pour gagner plus d’argent : « Cet hôtel, dit-il, n’était pas fait pour elle. L’argent n’est pas tout dans la vie. Il y a des choses plus importantes. Avant, elle travaillait avec la femme d’un Gambien du Bronx dans un restaurant familial. Elle gagnait moins, mais c’était mieux pour elle. »
 
On a déjà entendu ce genre de critique envers la femme de chambre : son entourage ignorait qu’elle travaillait à l’hôtel Sofitel. Or, ça faisait trois ans qu’elle y était. Pourquoi ce cloisonnement étanche opéré apparemment par la plaignante entre ses relations ? Faute d’indices supplémentaires, cependant, on doit se garder de toute déduction hâtive.
 
Curieusement, cette article qu’on peut juger parfaitement inutile puisqu’il rapporte le témoignage élogieux convenu d’un témoin qui ne connaît guère la plaignante, fût-il son demi-frère, ouvre sur une interrogation qui accroît le caractère énigmatique de l’affaire DSK. La femme de chambre, victime au-dessus de tout soupçon, que vante l’article, apparaît en marge de sa communauté d’origine et même de sa famille et semble avoir cloisonné ses relations. Il n’en faut pas plus pour épaissir le mystère autour d’elle. On peut même y voir un indice susceptible de nourrir une des deux hypothèses qui, à ce jour, sont à même de résoudre l’énigme de cette affaire, sans qu’il soit encore possible de se prononcer pour l’une ou l’autre. Paul Villach 
 
(1) Pierre-Yves Chereul, « L’affaire DSK, deux hypothèses pour une énigme  », éditions Golias, juin 2011.
 
(2) Marie-Christine Tabet, envoyée spéciale à Indianapolis - Le Journal du Dimanche
« "Nafissatou pleure tous les jours depuis un mois" EXCLUSIF. Mamadou Diallo, le frère de Nafissatou, parle au JDD. »
 http://www.lejdd.fr/International/USA/Actualite/Affaire-DSK-Mamadou-Diallo-le-frere-de-Nafissatou-parle-au-JDD.-339661/?from=headlines

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