Le mythe et la nécessité

par Gilles Mérivac
samedi 25 mars 2017

L'actualité bégaie un peu en ce moment, je propose donc à ceux qui n'ont pas peur d'affronter leurs préjugés de réfléchir sur des concepts plus généraux. Les grands mythes qui ont marqué l'histoire de l'humanité ne sont pas apparus tout à fait par hasard, mais pour des raisons précises.

Religions primitives et modernes

Pendant des heures l'orage s'était déchaîné, détruisant les récoltes qui devaient assurer la nourriture de la tribu. Les dégâts causés aux habitations précaires étaient considérables, les hommes devront les rebâtir en pataugeant dans la boue des jours durant. Devant la flamme dansante qui éclaire le conseil de ce soir, les anciens disent avoir interrogé les dieux, et ils affirment que ceux-ci sont en colère. Les dieux du tonnerre et de la pluie exigent une offrande et il faudra sacrifier une chèvre sur la pierre sacrée.

A cette époque primitive, l'humanité est bien désarmée devant la nature, il suffit d'une tempête ou d'un orage particulièrement violent pour que la famine apparaisse et que la survie de la tribu soit menacée. N'ayant pas de prise sur ces événements, l'homme invente des entités qui les commandent. Les premiers dieux sont ainsi créés par la simple nécessité de garder l'espoir que les sages sont susceptibles de les amadouer pour domestiquer ces forces incompréhensibles.

Le temps passe et le décor change, les petits groupes d'habitations sont devenues des villes avec des maisons en briques ou en pierre. La dépendance à la nature est plus faible et la vie plus complexe avec l'apparition de la monnaie et de la spécialisation plus grande, d'autres dieux sont alors nécessaires. Des peuples qui vivent sur l'autre bord de la mer ont diffusé autour du bassin méditerranéen des récits fascinants colportés par les voyageurs, par exemple celui d'une princesse qui prédisait l'avenir mais n'était jamais crue. Les temps sont durs et la main de fer de l'empire romain est impitoyable.

C'est un nazaréen du nom de Jésus qui trouve la forme de croyance la mieux adaptée à un peuple colonisé. Toute révolte étant réprimée impitoyablement, comme le montre l'exemple de Massada, il prône l'indifférence vis-à-vis des romains, c'est-à-dire les ignorer et leur donner ce qu'il veulent. Bien entendu, il est beaucoup moins timoré avec les grands prêtres, ses concurrents directs, qu'il fustige régulièrement dans ses sermons. Dans ce but, il intériorise la morale en chaque individu en le culpabilisant à priori, ce qui deviendra le mythe du péché originel de la religion catholique. Les premières bases d'une morale faite pour une grande densité de population sont ainsi jetées.

Plus loin, chez les nomades du désert, Mahomet va s'inspirer de cette doctrine en la transformant en un instrument de surveillance décrivant toutes les règles de la vie en société. En établissant une séparation claire entre les croyants et les infidèles, l'islam va devenir le fer de lance des futures guerres de conquêtes menées en son nom.

Dans le même temps qu'il étend son emprise sur la planète, l'homme découvre qu'il est lui-même son seul prédateur. Devant les multiples massacres causés par les disputes de territoires, les peuples d'Asie bâtissent un nouvelle légende autour du prince Siddhartha, appelé aussi le Bouddha. Le monde extérieur est mauvais, il faut donc trouver refuge dans le détachement et la méditation. Comme presque toujours, s'agrègent d'autres légendes comme la métempsychose, débouchant sur un autre avatar de cette croyance, le bouddhisme tibétain.

En moins d'un millénaire, ces croyances se sont répandues sur le monde avec un succès extraordinaire, mais ce mouvement créatif va bientôt s'arrêter, pourquoi ?
 

Les mythes amoureux

Nous prenons généralement pour argent comptant que les sentiments décrits à notre époque dans les livres et les films ont toujours été les mêmes. Cependant, il suffit de visionner un vieux film classique d'il y a seulement cinquante ans pour s'apercevoir du décalage entre les conventions d'alors et les nôtres. Que dire alors de la différence avec les gens qui vivaient il y a quelques siècles ?

En réalité, nous ne savons pas grand-chose au sujet de leurs amours vrais ou supposés, mais en revanche nous savons que le mariage d'amour n'existait pas avant le moyen-âge, les mariages étaient tous arrangés, ils avaient pour but de renforcer la communauté et l'individualisme n'avait pas de place.

En Europe, le christianisme balaie très vite les anciennes religions celtiques, comme en témoigne le cycle des chevaliers de la table ronde, écrit bien sûr par les vainqueurs. Un rite druidique comme les feux de Beltane, qui était une sorte de carnaval pendant lequel la sexualité s'exprimait assez librement, est remplacé par celui des feux de la Saint-Jean, beaucoup plus sage. Le but recherché par l’Église catholique de cette époque est le contrôle sur la filiation et la moralité des couples qui devaient être stabilisés. La contrainte n'ayant jamais donné de bons résultats, il devint nécessaire de recourir à des mythes implantés dans l'imagination collective, l'amour courtois et chevaleresque est donc l'objet de nombreux poèmes et récits et les contes se terminent par « ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup d'enfants ».

Malgré les tentatives d'auteurs aussi célèbres que Shakespeare pour magnifier l'amour choisi librement et le placer au premier plan des valeurs sociales, ces couples resteront l'exception pendant très longtemps, jusqu'à l'aube du siècle dernier. Mais le mythe de l'amour qui résiste contre vents et marées s'est profondément implanté dans les cœurs et la structure sociale est bien adaptée à la famille dans laquelle chacun tient un rôle bien défini avec la mère douce et bienveillante au centre du foyer et le père qui donne une image forte en travaillant à l'extérieur dans des conditions parfois très dures, comme pour les pêcheurs ou les mineurs de fond. La représentation mentale des mythes est alors en adéquation avec la manière de vivre.

Mais tout cela va changer dans peu de temps ...

 

Les mythes d'aujourd'hui

La première guerre mondiale a mobilisé une large fraction de la population masculine sur le front durant plusieurs années. Beaucoup de tâches habituellement dévolues aux hommes ont alors été remplies par les femmes qui ont ensuite revendiqué pour garder leur place au travail qui leur donnait une plus grande liberté d'action. C'était l'époque des « suffragettes » qui réclamaient aussi le droit de vote, le modèle patriarcal qui avait tenu plusieurs siècles commençait à sombrer. Les premières luttes de pouvoir entre les deux sexes vont bientôt apparaître.

Les progrès scientifiques ont libéré les habitants d'un grand nombre de pays de tâches ingrates, apporté l'énergie et l'eau courante, et ont considérablement diminué la dépendance par rapport aux forces de la nature. Pouvant se déplacer dans les airs, commandant à la lumière, aux yeux de leurs lointains ancêtres, ils pourraient passer pour des dieux, aussi ont-ils beaucoup moins besoin du support de la foi dans une religion. Le philosophe Nietzsche a pu s'exclamer « Dieu est mort ! ». La survivance de ces religions devient en grande partie une tradition à la manière de ces folklores dont on a perdu la signification. Les fêtes de Noël et de la Saint-Valentin sont en réalité celles du chiffre d'affaires des commerçants.

C'est donc tout naturellement que la relation entre les êtres humains se distend de plus en plus et que la demande de liberté individuelle augmente graduellement. Les différentes étapes du rejet des anciennes contraintes sont célébrées comme autant de victoires contre l'obscurantisme, la reconnaissance du divorce, le droit à l'avortement, le « mariage pour tous », etc.

Mais la loi de la nature qui stipule que l'on a rien pour rien va encore intervenir. Puisque le couple est de moins en moins nécessaire, il est de plus en plus difficile à former et de plus en plus facile à dissoudre. Il en résulte une méfiance réciproque généralisée entre les deux sexes qui se termine souvent par une « guerre des roses ». Dans ce climat malsain, peu d'enfants naissent et s'épanouissent et la natalité des pays riches s'effondre, car les naissances deviennent des freins au bien-être et à la liberté.

Certains théoriciens essaient alors de contourner l'impasse en proposant un modèle alternatif d'une société où les homosexuels seraient à pied d'égalité avec les couples traditionnels. Les producteurs de séries télévisées vantant ce modèle ont arrêtés assez vite, ils se sont rendus compte que ce modèle avait encore plus d'inconvénients que le modèle hétérosexuel, il était donc impossible d'implanter un mythe efficace dans les esprits.

Les mégalopoles surpeuplées vont par contre donner l'occasion aux fabricants modernes de mythes, c'est-à-dire les réalisateurs, de donner leur mesure. Devant l'impossibilité de réduire la violence et les délits dans ces grandes villes, ils inventent des personnes ordinaires qui acquièrent des super pouvoirs, ce qui permet de compenser une vie ordinaire sans prise réelle sur l'environnement.

Écoutons ce dialogue entre une mère et son enfant, dans un embouteillage,

Un nouveau mythe est né, celui du vivre ensemble, même si la plupart du temps il se résume à ignorer les autres. Et l'évolution continue, inexorablement ...

 


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