Le Net n’est pas que du clavardage

par easy
samedi 17 juillet 2010

On est nombreux à considérer que, somme toute, le Net, n’est que du clavardage. Si l’on considère qu’en rapport à ce qui est dit, il n’en sort pas grand chose, en effet, ça semble vain ou futile. Je pense que sans lui, on passerait bien plus facilement à la révolte et que la banalisation même du verbiage qu’on y pratique a des incidences fortes.

Ce qui se passe est assez compliqué. Car il y a le down load et le up load. Le down load nous délivre de l’info. A la limite, sans ces infos, nous ne saurions quasiment rien et nous ne serions pas révoltés. Mais imaginons que nous n’ayons que le down load, uniquement les infos qui nous arrivent et que nous ne puissions pas up loader, répondre, réagir en clavardant. C’est là que la cocotte minute pourrait exploser.
 
Le fait de pouvoir vider notre sac, souvent de manière assez agressive, nous vide, nous apaise, nous calme, en grande partie en tous cas. Exprimer notre révolte face à une aussi large audience nous donne l’impression que tout est dit, que les autres savent ce qu’il y a à protester et ...au fond, psychologiquement parlant, ça nous suffit pour considérer qu’il n’y a plus grand chose à faire d’autre. "J’ai dénoncé les manigances, les anomalies, j’ai fait mon boulot. Si les autres ne veulent pas réagir c’est qu’après tout, la situation actuelle leur convient et je peux retourner à la pêche".
 
Avant 1789, non seulement les gens n’avaient pas les moyens techniques pour s’exprimer, mais ils n’en avaient ni le droit ni les facultés. On a du mal à le réaliser mais la parole était le seul fait de l’aristocratie. Certes, un citoyen pouvait assez librement approcher Louis XIV, à Versailles, sans RDV, dans la Galerie des Glaces et lui présenter ses doléances. Il s’agissait généralement de faire valoir une doléance très particulière, ne concernant que soi. Il ne s’agissait pas de demander plus de transparence ou de dénoncer le système.
Car sur ce sujet, il valait mieux se taire. Pendant les travaux très pénibles de Versailles (24h/ 24) il y a eu une femme qui avait apostrophé le roi en lançant une vive protestation sur les conditions de travail qui provoquaient beaucoup de morts. Elle fut fouettée en public.
 
Mais surtout, les gens ne savaient pas parler. Ce n’est qu’à partir de Jules Ferry que les Français se mirent progressivement à parler français. Avant, chacun parlait son patois. Seule l’aristocratie ou quelques rares savants échappés de la plèbe, savaient parler la langue du roi. Un quartier latin, aujourd’hui ? Ce serait impossible.
 
Quand François Mitterrand s’est mis à utiliser l’expression "On est câblé" pour dire qu’on est branché, informé, dans le coup, il a scellé le fait que désormais, tout le monde (en dehors des Ch’tits sans doute) se mettait à parler la même langue.
 
Entre Giscard (ou Baladur) et Sarkozy, sur ce sujet du langage commun, ça a été le jour et la nuit.
Ce progrès que constitue le langage commun, provoque à coup sûr un nivellement par le bas "casse-toi pov con". Les docteurs en grammaire ne cessent de fustiger la très mauvaise qualité du langage courant. C’est le prix de la démocratisation du verbe.
 
Il y a 30 ans, il existait un discours qu’on appelait universitaire qu’utilisaient tous les bac + 5 et qui rendait très hermétique ce qu’ils racontaient. Depuis l’émergence du Net, ces savants se sont progressivement mis à parler un langage que tout le monde peut comprendre (Hubert Reeves en est un des paradigmes) et j’ai la certitude que les concours d’orthographe vivent leurs dernières heures.
 
Il reste bien évidemment encore des cercles, il suffit de plonger dans un mémoire de doctorant pour s’en rendre compte. Mais désormais, plus personne, sauf peut-être Alain Finkielkraut et quelques autres Raphaël Enthoven, ne cherche à se distinguer par un langage savant, aussi bien dans leurs livres (dont l’audience se veut désormais toujours la plus large possible) que dans leurs émissions (de toutes manières, faire une émission sur une grande radio c’est parler à tous)
 
La comédie du Barbouillé n’aurait plus de sens aujourd’hui. Le cinéma que fait le docteur pour passer pour un grand savant, c’est surfait. Aujourd’hui ; des docteurs font la plonge dans des fast food alors....
 
Il n’y a plus personne pour la jouer abscons du genre Lacan ou Malraux ou Sartre. Exit les phrases indécryptables, les formules à triple détente. Désormais nous parlons tous la même langue.
Et le Net y a joué un rôle énorme.
 
Même la poésie a changé d’allure. Ca fait plus d’un siècle qu’il n’y a plus de Rimbaud. Alors que par l’entremise du Net, nous pourrions découvrir, s’il en existait, un grand poète par jour, nous n’en voyons jamais. Un siècle d’écoliers du nouveau genre, pas un seul nouveau Rimbaud.
 
Je ne sais qui exactement a démocratisé le langage mais même Victor Hugo, qui parlait pourtant assez simplement, paraîtrait aujourd’hui trop indirect. Zola, peut-être passerait-il encore très bien
 
Comme je l’ai déjà dit, il reste des nostalgiques du langage codé, compréhensible seulement des initiés. Ils vitupèrent contre le laisser-aller, contre ce qu’ils appellent la facilité. Vu leur petit nombre, ils mènent un combat élitiste d’arrière garde. 
 
Une communauté de langage induit une communauté de plein d’autres choses. C’est mille et une manières que nous adoptons désormais à l’unisson et nous ne nous en plaignons pas.
 
Il se pourrait qu’en raison de notre indispensable besoin de nous distinguer, nous en venions à chercher à nous différencier par autre chose que par le verbe. C’est peut-être ce qui fait que l’argent, la différence de fortune ou le physique, deviennent des choses si importantes. Et encore, Liliane porte parfois les mêmes pompes que ma voisine d’en dessous.
 
L’accessibilité au verbe s’est accompagnée d’une plus grande accessibilité à toutes sortes de choses. Il suffit de penser à tout ce qui a été entrepris depuis Louis Braille pour que les handicapés puissent accéder à tout, comme les autres, pour s’en convaincre. Là encore, le Net joue un rôle considérable. Derrière nos claviers nous sommes tous égaux. Tout ce qui est vraiment complexe à gérer est fait par des logiciels. On ne fait plus les grandes écoles pour savoir des choses difficiles mais pour faire partie d’un cénacle. C’est ce qui fait que N Sarkozy ou son fils peuvent diriger une très grande entreprise.
 
Il n’y a pas si longtemps, pour voir un film, pour écouter un concert, il fallait dépenser gros et des tas de gens restaient donc sur le seuil de la Connaissance. Désormais, nonobstant les interdictions de télécharger, n’importe qui peut voir les meilleurs films, les meilleurs documentaires. Il y a une poignée d’années, il existait, sur le net, un grand nombre de sites qui prétendaient offrir la meilleure information à leurs riches abonnés (surtout dans le domaine financier). Maintenant, je ne vois quasiment plus de sites de ce genre. Quand on paye pour accéder aux archives des magazines, c’est pour y lire des choses ordinaires que tout un chacun a pu lire quelques semaines plus tôt.
 
Et il va sans dire mais autant le dire, que tout cela se passe sans distinction de race, de sexe et même d’âge.
 
Sur la question de l’âge, il me semble qu’il peut y avoir de gros inconvénients à ce nivellement de tout. La jalousie du Barbouillé (farce en prose), Molière l’avait écrit pour des adultes, rien que pour eux. Il me semble très imprudent non seulement de montrer ça à des enfants mais pire, de les inviter à jouer ces pièces, à l’école ou ailleurs. Je passe sur les questions en rapport avec le sexe.
 
On dit que les enfants doivent être préservés mais on ose à peine préciser de quoi au juste. Et bien il me semble que cette ultra démocratisation du savoir qui permet et invite les enfants à se plonger dans les turpitudes et vices des adultes ne colle pas avec l’idée de leur garder leur innocence. Quand un homme de 40 ans se plonge dans le rôle du barbouillé (Je choisis exprès une pièce très légère d’apparence, je ne choisis pas Phèdre) il prend tout ça avec le recul que lui permet son âge mûr. Il peut relativiser et percevoir que tout n’est que caricature. Quand un gamin de 11 ans se lance dans cette pièce, il croit ou peut croire que les adultes, ses parents, ses profs, sont comme ça, pensent comme ça, sont aussi hypocrites et veules. Pour la première fois de sa vie il joue le rôle d’un adulte et c’est d’un adulte malade.
 
Ca y est, c’est fait, il est trop tard pour revenir en arrière. Le Net a tout décloisonné. Mais du coup, notre société change fortement. Alors non, le Net n’est pas que du clavardage sans conséquences.
 
 

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