Le numéro trois fantôme (2)

par morice
vendredi 16 avril 2010

 Au pays du mensonge qu’étaient devenu les USA sous le duo Cheney-Bush, toute une équipe de conseillers s’efforçaient de rendre présentable juridiquement des choses qui ne l’étaient pas. Sur la fin du règne des néo-cons présidentiels, deux vont se mettre en évidence lle John Yoo, et Jay Bybee, vous ai-je dit dans l’épisode précédent. Ces deux-là ne vont servir qu’à rendre acceptable le waterboading par toute une série d’arguties juridiques. Mais cela ne suffira pour faire de Zubaydah un prisonnier « noyable ». Pour cela, il avait fallu auparavant créer un personnage de toutes pièces, étant donné que l’administration Bush n’avait que fort peu de choses à lui reprocher lors de sa capture. Les proches de l’équipe gouvernementale vont donc se mettre en tête de dénicher une sorte de Paul Loup Sulitzer la littérature américaine, qui va s’efforcer de broder un maximum pour tricoter au final un livre cousu de fil blanc, mais proposant un Zubaydah membre du cercle restreint autour de Ben Laden, qu’il n’a en fait jamais rencontré. Un écrivain utilisant les mêmes méthodes que Paul Loup, visiblement. Sinon pire.

 
Car comme la torture ne suffit pas, pour fabriquer un mythe, il faut des raconteurs de mythes. Des raconteurs d’histoires à dormir debout, des auteurs de bouquins à scandale, par exemple, bombardés "storytellers". Et dans le cas de Zubaydah, on en tient un bon aussi dans le genre. Le pire de tous peut être bien. L’administration Bush, en 2002, voyant qu’il faudra bien un peu étoffer le personnage de Zubaydah qui visiblement ne sait rien et n’est qu’un lampiste, va donc faire appel à un "écrivain". Un auteur on ne peut mieux choisi. Car un auteur qui marche depuis toujours dans le sens du vent des thèses officielles. L’auteur de "Case Closed", en effet, sorti en 1993, sur l’assassinat de Kennedy. De très loin l’ouvrage le plus ridicule sur la question, qui soutient de façon aberrante la thèse d’un Oswald psychopathe ayant agi seul, alors que toutes les études récentes, notamment balistiques, évoquent depuis le tir reçu de face par le président américain, un tir visible sur le film de Zapruder. Posner rédige avec son livre impayable un rapport Warren bis ! Il récidivera en 1998 avec "Killing the Dream", sur la mort de Martin Luther King, dans un livre encore plus grotesque que le précédent, concluant sur une "petite conspiration" de "bas niveau", celle d’un groupuscule raciste ayant embauché un tireur payé "peut-être entre 25 000 et 50 000 dollars". Les deux livres allant à rebrousse-poil de tous les autres sortis entre temps deviendront bien entendu des best-sellers. Et constitueront un bon frein dans les mentalités, pour contrecarrer tout espoir d’avancée d’enquête sur les deux assassinats ! 
 
A deux reprises, on va donc accuser logiquement Gerald Posner d’avoir écrit sur commande... gouvernementale. A juste raison, tant la sortie de ces ouvrages correspondait à un regain de remises en cause des thèses officielles dans les deux cas : Posner est un écrivain contre-feu avéré, logique qu’on ait fait appel à lui pour dresser un tableau assez apocalyptique de Zubaydah, dont il va faire effectivement un des leaders d’AlQaida, sans en apporter la moindre preuve, uniquement à partir des... déclarations du prisonnier, obtenues on ne sait comment. Pour cela, Posner va rédiger "Pourquoi l’Amérique dormait " ("Why america slept", chez Random House), un ouvrage destiné comme les précédents, à ... endormir le public en le berçant du mythe Zubaydah ! Un livre écorchant au passage un personnage, devenu fort embarrassant pour l’administration américaine : le Prince Turki bin Faisal Al Saud. Mais sans plus, Posner s’attaquant plutôt à charger un autre prince, Ahmed bin Salman bin Abdul Aziz, un neveu du roi Fahd richissime propriétaire de chevaux de course (il avait remporté le derby d’Epsom en 1999 avec Oath et du Kentucky en 2002 avec War Emblem). Mort en juin 2002 d’une attaque cardiaque... avant la sortie de l’ouvrage, c’était donc une accusation idéale ! Le prince Ahmed bin Salman ben Abdul Aziz avait en fait passé toute son existence auprès de ses chevaux, et avait davantage vécu aux Etats-Unis qu’en Arabie Saoudite. Son frère ayant même été cosmonaute de la navette spatiale en 1985  ! Vu de l’extérieur, il semble bien que l’accent mis sur le défunt ben Abdul Aziz sert avant tout à masquer le rôle de Turki, responsable des services secrets saoudiens, devenu ambassadeur aux USA de juillet 2005 à décembre 2006. Un autre client, celui-là !

 

Posner évoque bien sûr également dans son ouvrage le rôle de Turki, notamment lors d’une réunion de 1991 au cours de laquelle Turki aurait accepté de laisser Ben Laden quitter l’Arabie saoudite et de lui fournir des fonds secrets en échange d’un promesse de ne pas importer le jihad dans le royaume saoudien : mais cela, tout le monde s’accorde à dire que c’est un fait connu et non une révélation. De même, quand il annonce une troisième réunion tenue à Kandahar en 1998 avec Turki, les américains et des agents de l’ISI, tout le monde en a connaissance depuis les faits par des fuites de la CIA oudu FBI : or Posner attribue à Zubaydah de d’avoir révélé ces faits lors de ses interrogatoires ! Le seul moyen, il est vrai, d’en faire un ponte de l’organisation. Or tous ces faits ont été connus avant l’arrestation de Zubaydah, et Posner n’a rien d’autre comme preuves de ce qu’il énonce que les prétendus aveux du prisonnier torturé ! 

Et si ça ne suffit pas, Posner ajoutera un volet "complot" à son ouvrage : selon lui, trois princes saoudiens qui auraient les après les autres sont la preuve de ce qu’il raconte, notamment la mort par crise cardiaque de l’éleveur de chevaux le 22 Juillet 2002, le prince Ahmed ,qui a été foudroyé par une crise cardiaque à 43 ans. Mais aussi la veille, celle du prince Sultan bin Faisal bin Turki al-Saoud, 41 ans, dans un accident de voiture, dû en réalité à une vitesse excessive, ou du Prince Fahd bin Turki bin Saoud al-Kabir, mort de déshydratation lors d’un voyage à Riyad "une semaine plus tard". Et de citer également comme "preuve" le décès "sept mois après" (le 20 février 2003) de Mushaf Ali Mir, le maréchal de l’air pakistanais dans un accident d’avion avec sa famille et les 16 autres passagers du Fokker. L’avion avait heurté la montagne Taulanj près du village de Gambat à 17 miles de Kohat. Or, pour beaucoup, il n’a aucun rapport entre tous ces décès, sauf la fatalité. Mais Posner, qui n’a aucune preuve de ce qu’il avance, doit bien tenter de trouver un prétendu complot pour faire de son client un personnage important. En le poussant un peu, Posner nous ferait tout un bouquin sur la disparition toute récente du prince Sheikh Ahmed bin Zayed Al Nahyan, à bord de son ULM au Maroc. Remarquez, il y a un peu de quoi, à vrai dire... le Sheikh Ahmed bin Zayed Al Nahyan n’est autre que frère du président émirati, et le directeur général de "l’Autorité des investissements d’Abou Dhabi" (Abu Dhabi Investment Authority, ou ADIA), le fonds souverain le plus élevé au monde, atteignant la bagatelle 600 milliards de dollars ! Un supporter de moins pour notre dieu à nous...

Et comme il n’y a pas moyen d’empêcher Posner de divaguer, dans son dernier chapitre, il évoque l’attentat contre l’ USS Cole, assurant que les responsables ont été interrogés par les autorités saoudites. Interrogé sur la question de ces allégations, Posner finira par expliquer sa méthode : celle du mensonge érigé en vérité "Je ne peux pas assurer si ce que le terroriste - Abu Zubaydah - a dit, est vrai, si les personnes qu’il nomme le faisaient sur demande du gouvernement et sous la conduite de la famille royale"... bref, de l’enfumage complet, car entièrement basé sur de pseudos aveux de Zubaydah, dont personne à ce jour n’a vu la couleur !!! 

Poussé un peu plus loin dans ces retranchements, Posner finira par parler d’un autre complot au sein même du gouvernement sous Bush, à savoir qu’il aurait été choisi comme dépositaire de la parole d’une frange des services secrets : "Une minorité croit que l’Arabie saoudite à soutenu al-Qaïda pendant des années avec de l’argent, et qu’ils devraient avoir à répondre de leurs actions en public. J’ai été le bénéficiaire de l’un de ces fonctionnaires, qui estime que les Saoudiens devraient se tenir rendre des comptes publiquement." On nage en plein X-Files ! Tout cela bien sûr sans jamais citer une quelconque source ! Celle d’un "fonctionnaire anonyme" tout droit sorti de l’atelier de storytellers de la CIA !

Mais on n’en a pas fini avec Posner, qui va dilapider une partie de ses gains à se faire refaire le visage à plusieurs reprises, à en devenir assez... monstrueux. En mars 2010, Posner arrive au sommet de son art... du mensonge et de la dissimulation, en se voyant accusé de plagiat pour son dernier opus sur la pègre de Miami, où une fois encore on n’apprend rien qu’on ne sache déjà et qui surtout occulte une partie du problème ; comme pour en protéger davantage une autre comme à son habitude. Posner à effectivement recopié des pans entiers de l’ouvrage "Clubland : The Fabulous Rise and Murderous Fall of Club Culture", de Frank Owen, sorti en 2003. Un exemple de la page 323 donné en pâture sur le net, avec d’autres, est en effet affligeant pour l’auteur du principal livre à charge sur Zubaydah. Posner lâchera cependant que "je sais maintenant que la méthode de compilation d’informations que j’ai utilisé avec succès depuis 1984 sur la recherche de livres ne fonctionne pas de toute évidence de manière infaillible à la vitesse de l’internet". Pour Zubaydah, il n’y avait pas de livre préexistant : d’où provenaient donc ces fameuses "compilations" ? Ne lui aurait-on pas apporté sur un plateau tout ce qu’on voulait faire paraître ? Et qui, sinon l’administration de G.W. Bush, empêtrée avec un lampiste et non un "top leader" ? Dans Time, en tout cas, le relais de presse du pouvoir, on y a crû dur comme fer. Time, qui le 31 août 2003 avait déroulé le tapis rouge à Posner pour rédiger un article retentissant intitulé "Confessions d’un terroriste"... qui avait fait la couverture du magazine ! En fait de confessions, Posner n’était même pas entré dans le confessionnal... mais avait tout inventé, ou presque. Posner "la clé de voûte de la fraude en Amérique aujourd’hui" comme avait dit de lui dès 1998 Harrison E. Livingstone, l’auteur de "High Treason". Posner, qui écrit la vie fantasmagorique de Zubaydah comme ceux qui ont rédigé les aventures de Jessica Lynch, qui avaient fait la une elle aussi... en fait de "real story", on avait eu la version de propagande, plutôt. De loin le plus bel exemple du genre ! "Nous avions avec nous un cameraman avec nous" dit un militaire sans réussir à esquisser un sourire !!! La une du Washington Post, sur le cas Lynch, dans le genre, vaut aussi le détour ! Lynch-Zubaydah, même (faux) combat !

Parfois, cet emballement à créer des personnages vire au grotesque en effet. Dans les charges retenues contre Zubaydah, l’une d’entre elles est particulièrement risible. Suite à ses interrogatoires, l’administration Bush, en 2003, avisera la presse qu’Al-Qaida aurait projeté de faire sauter le pont de Brooklyn. On dépêchera sur place des brigades de déminage, dans un grand renfort de propagande télévisée. L’histoire, comme celle de Lynch, tiendra bien 6 ou 7 mois les New-Yorkais et tout le pays en haleine. Or, selon les memos des interrogatoires qui ont filtré vers l’extérieur, Zubaydah aurait montré "le pont comme étant celui qui apparaissait dans Godzilla", le remake de 1998". On ne savait pas le saoudien fan d’Hollywood à ce point... C’est grotesque, et cela sent bien trop les goûts cinématographiques de ses tortionnaires qu’autre chose !

Zubaydah a également parait-il fourni des informations sur un autre "très dangereux terroriste" : Binyam Mohamed, premier prisonnier à avoir été libéré de Guantanamo dès l’arrivée de Barack Obama au pouvoir. Sans aucune charge de retenue contre lui : " torturé de façon médiévale," dira-t-il une fois libre. Par les américains, mais aussi le MI5 en ce qui le concerne ! Blair, allié de Bush, se devait de lui montrer son engagement, sans doute ! Binyam, ayant connu "le pire cauchemar qu’on puisse vivre" ! Encore un homme dangereux prétendu d’Al-Qaida contre qui rien n’aura été retenu !!! Un de plus !

Ne sachant donc rien de valable à partir de l’ouvrage de Gérald Posner, le problème demeure donc de savoir qui était Zubaydah exactement. Pas vraiment celui présenté de manière assez hystérique à sa capture en 2002. "Le plus haut rang des membres capturés d’AlQaida" n’a jamais fait partie véritablement de l’organisation de Ben Laden à vrai dire. On l’a accusé alors de tout en 2002 : d’être à l’origine de projets d’attentats de l’ambassade de Sarajevo ou de Paris (?), d’être recruteur en chef chez Ben Laden et même d’avoir été en relation avec Richard Reid, l’homme à la chaussure explosive ! Il n’est rien de tout cela. Présenté dans tous les rapports comme "palstibien", il est né Zayn al-Abidin Muhammad Hussein en 1971, en Arabie Saoudite, d’un père saoudien et d’une mère jordanienne, il monte en Afghanistan en 1991 pour rejoindre les moudjahidines dans la lutte contre l’invasion communiste. C’est à se moment là, en 1992 qu’il est blessé lors d’un combat par des éclats d’obus qui l’atteignent à la tête et lui provoquent des pertes de mémoire à répétition (mais ça, on se gardera bien de l’expliquer au grand public : imaginez un prisonnier sans mémoire, difficile d’en faire un dénonciateur fiable !). "Les interrogatoires de Zubaydah montrent qu’il souffre de troubles de la personnalité" révèle Jason Leopold (*) en avril 2009, reprenant les "memos" ouverts au public. Evidemment, une affirmation démentie par un des "memos" de John Woo : "Par l ’intermédiaire la lecture de ses journaux intimes et à s’entretenir avec lui, nous n’avons trouvé aucun antécédent de trouble de la personnalité ou d’autres [pathologie psychiatrique,] "pensée [désordre cognitif ...] durables ou des problèmes de santé mentale." Il devient en 1994 le coordinateur d’un camp d’entraînement, celui de Khalden, qui comme celui de Derunta (c’est à Tora Bora en fait !), n’est pas encore sous la houlette de Ben Laden, qui n’y est pas (il est alors au Soudan et n’arrivera à Tora Bora qu’après 1998). Le camp est dirigé par Ibn al-Shaykh al-Libi (**) La chose intéressante à noter est qui s’intéresse à ce moment-là des deux camps de moudjahidines : et là, on retombe sur un homme que nous connaissons bien ici, sur AgoravoxAli Abdul Saoud Mohamed, alias Ali Mohamed, employé de la CIA travaillant à Fort Bragg, venant régulièrement inspecter les camps des opposants aux soviétiques ! Zubaydah, dès ce moment là est obligatoirement déjà sur les tablettes de la CIA, et travaille avec elle ! "La vérité est que Khalden n’était pas simplement un camp d’entraînement d’Al-Qaeda : des terroristes d’autres organisations qu’Al-Qaida s’y sont entraînés", avouera le Weekly Standard en août 2009 seulement !

Zubaydah à Khalden n’a en réalité aucun rapport avec Ben Laden, et quand le 11 septembre survient, il est à Kaboul. De là, il s’active pour recruter des djihadstes, ce qu’il fait via Internet. C’est celui qui gère un petit groupe, sans plus : absolument pas l’architecte en chef d’Al-Qaida comme on l’a présenté abusivement. Là, il s’allie effectivement à Al-Qaida, personne ne peut le nier, mais sans en faire partie pour autant : l’attaque du 11 septembre provoquant l’arrivée des américains sur le terrain, et le groupe de Ben Laden s’étant renforcé et celui de Zubaydah végétait : ce n’était pas un très bon recruteur ! Il sera arrêté en 2002 à Faisalabad, à la suite d’une course-poursuite où il recevra trois balles dans le corps. Ses troubles de la mémoire et du comportement s’expliquent aisément, car l’homme est diminué : outre ses éclats reçu à la tête, lors de son arrestation, Zubaydah a reçu trois balles : une dans la jambe, une dans l’estomac et une aux testicules !

Arrêté, il n’a donc pas grand chose à dire en fait. La CIA connaît déjà tout, elle a travaillé avec à Khalden Camp, y compris la gestion plutôt aléatoire de son groupe ... et son absence de liens notables avec Ben Laden. Mais l’administration de Bush, en 2002, qui n’a pas réussi à capturer un seul dirigeant d’Al-Qaida, est à cran. La décision de le torturer est donc prise dans l’espoir d’en faire un personnage important. Résultat, Zubaydah va parler, beaucoup parler... et induire le FBI et la CIA sur un nombre impressionnant de fausses pistes. Et parfois de vraies, que l’on va s’ingénier à rendre "meilleures" encore. C’est avec ses allégations en effet que sera arrêté par exemple Jose Padilla, présenté comme "radiologiste" alors qu’il n’a été employé que chez Taco Bell (?) qui sera suspecté de préparer une "bombe sale", arrêté à Chicago le 8 mai 2002 . Dans sa jeunesse membre d’un gang de "latinos", condamné pour participation au meurtre d’un policier, Padilla n’est pas un ange. Il rencontrera Adham Amin Hassoun, un membre de la mosquée de Fort Lauderlale qui le convaincra d’embrasser la religion musulmane, et quittera le pays pour s’installer en Egypte, en abandonnant sa première femme pour s’en retrouver une autre sur place, et deviendra effectivement un recruteur de djihadistes : c’est au retour d’un de ses voyages qu’il sera cueilli par le FBI, à sa descente d’avion, à Chicago, alors qu’il revenait du Pakistan. On le surveillait depuis au moins quatre années déjà. Il sera jugé coupable en Floride "d’appartenance à une cellule terroriste à l’étranger ", et sera condamné à 17 ans de prison, le 16 août 2007, mais personne n’arrivera à trouver de lien avec une quelconque préparation de bombe "sale." Padilla est bien lié au djihad, mais cette histoire de bombe atomique a bien été inventée de toutes pièces : c’est pour ça qu’on va le présenter comme "radiologiste" en particulier. Or là encore, elle correspond exactement au moment où elle apparaît dans les médias aux discours de Dick Cheney, qui semble vraiment souffler aux interrogateurs de Guantanamo ce qu’ils doivent recevoir comme "aveux". "Nous avons dépensé des millions de dollars à chasser les fausses alarmes" dira à ce propos un ancien de la CIA.

Des fausses pistes, provenant d’espions parfois, tel Omar Nasiri, agent de la CIA dans le réseau, et principal témoin à charge contre Zubaydah. Zubaydah "m’a envoyé vers l’Europe pour travailler comme un agent dormant, et pour fournir ma science des explosifs pour des attaques ", écrira Nasiri dans son livre, "Inside the Jihad" (2006). Un Nasiri qui n’a bien sûr aucun doute quant à l’importance de Zubaydah : "Abu Zubaydah a été le recruteur en chef d’Al-Qaïda ". "Il a supervisé l’administration des cellules dormantes dans le monde entier, et son nom est apparu dans le cadre d’un certain nombre de les attaques." Ce que ne précise pas Nasiri c’est où ce nom est apparu : c’est dans la presse américaine et non dans des documents d’Al-Qaida ! Le bouquin de Nasiri fait trop penser aux rodomontades d’un Jack Idema pour être crédible... le gag ultime de son ouvrage étant la question qu’il laisse derrière lui : la CIA a toujours affirmé que s’il n’était pas arrivée à attraper Ben Laden, c’est parce que justement elle n’avait personne à l’intérieur du réseau. Soit la CIA ment, soit Nasiri est un prétentieux narcissique. Etre remonté à l’intérieur d’un réseau et être infichu d’en attraper le responsable... n’est pas vraiment à sa gloire !

Comme si cela ne suffisait toujours pas, un ancien conseiller de la Maison Blanche, Marc Thiessen, sort un ouvrage en 2010, "Courting Disaster," clamant que les interrogatoires de Zubaydah ont été "efficaces" : c’est la dernière cartouche tirée par la désinformation sur le sujet. Le livre est une charge incroyable contre Barack Obama, accusé d’avoir "abaissé les défenses des Etats-Unis. Dans l’ouvrage, pour disculper les tortionnaires, Thiessen cite l’application du programme SERE, que les lecteurs d’Agoravox connaissent bien désormais. La très mordante Jane Mayer lui réglera son cas en deux déclarations... en évoquant à son propos une forme de "révisionnisme de l’histoire"... patente ! Selon elle, Thiessen n’est in historien ni expert, et son "livre rien d’autre que la Bible des apologistes de la torture" !

Est ce que ces tortures, en conclusion ont été "efficaces" ? La réponse est dans le formidable ouvrage de Patrick Rotman sur la guerre d’Algérie "L’ennemi intime" (un film et un bouquin sortis en février 2002, un mois avant la capture de Zubaydah) , interviewant un harki devenu lui aussi tortionnaire, Rachid Abdelli : "La torture est-elle efficace ? Si l’on fait abstraction de tout jugement moral, si l’on tente de se mettre à la place d’un officier de renseignement qui a entre les mains un suspect, le recours aux électrodes, au gavage d’eau sert-il à faire parler ? Rachid Abdelli est catégorique : un homme auquel on fait subir ce type de traitement dit n’importe quoi. « J’ai vu un prisonnier inventer un débarquement. Un débarquement ! Il a raconté dans le détail l’arrivée du bateau sur la plage la nuit, il a décrit comment il avait porté les caisses d’armes sur la plage. Bien entendu, ce débarquement n’a jamais existé. Vous imaginez quelle pression est exercée sur le type torturé pour qu’il invente des trucs pareils". 

En mars 2009, coup de théâtre après sept années de mensonges. En réponse au 213 questions posées par les avocats de Zubaydah à la justice fédérale, celle-ci avoue que Zubaydah n’a eu"aucun rôle direct ou n’a fait progresser la connaissance des attaques terroristes du 11 Septembre 2001, "et qu’il n’était ni un "membre " d’Al-Qaïda, ni "officiellement lié à l’organisation terroriste". Il est loin le temps où il était présenté par Rumsfeld comme le troisième de l’organigramme d’Al Qaida ! Oubliés les "renseignements de la plus haute importance" obtenus sous la torture ! Le 25 avril, l’un de ses tortionnaires de la CIA, "Ali Soufan", un libanais d’origine, et son collègue du FBI Steve Gaudin, rompent tous deux le silence dans Newsweek "on aurait pu faire sans", disent-ils en parlant de la torture. Un déclaration de Soufan qu’approuve soudainement Philip Zelikow... l’auteur du rapport final sur les attentats du 11 septembre : les loups se sentiraient-ils fragilisés ? La publication des fameux mémos "fait de nous les équivalents de ces pays d’Amérique Latine dirigés par des dictateurs aux lunettes sombres" embraye Karl Rove en personne... effectivement : voilà la Bush team devenue l’équivalente des Videla, Pinochet, Straussner, Noriega, Perez Himmenez et consorts ! Dans l’interview de Soufan, Newsweek confirme aussi l’escalade de tortures menées par James Mitchell. Dont les séances de waterboading qui n’ont servi à rien... Le coup de grâce est donné le 9 avril dernier par l’ancien responsable du bureau de Colin Powell, Lawrence Wilkerson : selon lui, George W. Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld savaient que la majeure partie des prisonniers de Guantanamo étaient innocents !La plupart n’ont pas été capturés par les soldats américains mais... vendus, par des afghans ou des pakistanais !

 

Maintenant, réfléchissons un peu. Un homme a été soupçonné pendant sept années d’avoir été le troisième dans la hiérarchie d’une organisation accusée d’avoir fomentée les attentats du 11 septembre 2001. Il n’en a jamais fait partie. "Désolé, nous avons découvert que vous n’étiez pas le N°3, ni un membre, ni même un combattant", lui a-t-on simplement dit en mars dernier après sept années de détention et de tortures. Sans autre excuse, et sans pour autant encore le relâcher. Le second et le premier de l’organisation ne figurent pas comme responsables des attentats du 11 septembre sur leur fiche officielle de recherches. Il ne reste donc plus qu’un seul candidat comme probable responsable : Khalid Sheik Mohammed. Qui a avoué être responsable de tout, et de tous les attentats dans 17 pays du monde ! Et a avoué aussi, après avoir été plongé 183 fois dans l’eau en moins de deux mois, avoir préparé un attentat sur une banque qui n’a été construite que trois ans après ses aveux...

Et nous devrions croire aussi cette ultime version ? Personnellement, j’ai une toute autre idée des responsabilités. Dans laquelle le dernier à s’en accuser n’a pas plus eu de rôle à jouer que les précédents. Quand on ment autant, sur une durée aussi longue, à propos d’un seul individu, on peut aussi d’après moi mentir sur une bien plus grande échelle. Pour moi, un mensonge comme ça, ça monte au moins jusqu’à 417 m de haut.

 

 (*) Jason Leopold, avec d’autres journalistes, a réussi à établir la liste des pays qui ont abrité des prisons secrétes : il y en a... 28 ! 

(**) Ibn al-Shaykh al-Libi : un autre cas pendable des mensonges de l’ère Bush. Arrêté en 2001 et torturé, l’homme aurait mis en cause Saddam Hussein, en affirmant qu’il avait rencontré Ben Laden. Du moins c’est ce que l’administation Bush va sortir comme "excuse" pour envahir en 2003 l’Irak. En janvier 2002, Al Libi sera transféré sur l’USS Bataan, pour y être torturé. Il y indiquera que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive et que ses djihadistes avaient reçu un entraînement pour les utiliser, notamment des gaz de combats : encore une fois une chose qui apparaitra dans les discours du moment de Dick Cheney. Or d’armes de de type, on n’en trouvera aucune en 2003 à l’invasion de l’Irak. Powell se servira pourtant de ces allégations dans son célèbre speech de l’ONU. le 5 Novembre 2005 le New York Times dans un article explosif, révélera des documents déclassifiés de la CIA indiquant que les prétendus "aveux" d’Al Libi, obtenus sous la torture étaient soumis à de forts doutes sur leur véracité. On se débarrassera promptement d’Al Libi en 2006, en le renvoyant en Libye, où il était sous le coup des foudres de Khadafi : il va y mourir très certainement sous le coup de tortures et non de suicide comme indiqué. J’ai évoqué son cas ici-même en en faisant un des nombreux occupants des placards à squelettes de l’organisation Bush.

 PS : on peut aussi visionner le superbe reportage, accablant, de Marie-Monique Robin sur la torture en Irak. Le cas de Zubaydah apparait vers 17’30".

et lire ci-dessous le rapport de la Croix-Rouge sur les tortures. 14 cas y sont étudiés. Affligeant.

http://www.nybooks.com/icrc-report.pdf

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