Le paradoxe américain : Trump a perdu, le trumpisme a gagné

par Fergus
samedi 7 novembre 2020

Il est désormais certain que Joe Biden a gagné l’élection présidentielle américaine. Malgré une campagne débordante d’énergie et en dépit du recours cynique aux plus improbables arguments, Donald Trump a échoué à prolonger de quatre ans son séjour à la Maison blanche. Il laisse toutefois un héritage aux Républicains : le « trumpisme ». Malgré la victoire du candidat démocrate, cette « idéologie nébuleuse » s’est solidement ancrée dans le pays…

En avance, à l’heure où sont écrites ces lignes, dans les comptages des voix de l’Arizona, de la Géorgie, du Nevada, de l’Ohio et surtout de la Pennsylvanie, Joe Biden ne peut plus, sauf coup de théâtre judiciaire dont les experts ne voient pas sur quelle base il pourrait aboutir, être rejoint par son adversaire républicain. Il est même probable que le candidat démocrate obtiendra 303 mandats, soit un total très au-dessus des 270 requis. Joe Biden sera donc officiellement élu président des États-Unis par les membres du Congrès le 6 janvier 2021 lorsque seront comptabilisés les votes des grands électeurs préalablement remontés de chacun des états de l’Union. Seule (petite) incertitude : la loyauté de ces grands électeurs lors de leur vote du 14 décembre. Des trahisons sont en effet toujours possibles comme cela s’est déjà produit lors de plusieurs scrutins présidentiels dans le passé, y compris en 2016, 2 grands électeurs républicains ayant fait défaut à Donald Trump et 5 démocrates à Hillary Clinton. Une hypothèse cependant peu probable et sans conséquence, eu égard à l’important différentiel qui prend forme entre les deux adversaires. Joe Biden sera ensuite officiellement intronisé le 20 janvier 2021, jour de l’Inauguration Day, après avoir prêté serment sur les marches du Capitole devant le Chief Justice, président de la Cour suprême.

Donald Trump battu, bien peu de monde s’en plaindra dans les milieux politiques et intellectuels. Même dans son propre camp, le futur ex-président aura fait grincer bien des dents tant sa politique, aussi imprévisible qu’erratique, a plus d’une fois déconcerté les élus du Grand Old Party, et son comportement odieux choqué en de trop nombreuses occasions. Et ce n’est pas la manière irresponsable et indigne dont il se comporte actuellement, au mépris des usages démocratiques, qui va redorer son image. Donald Trump est engagé dans une fuite en avant visant à un chaos institutionnel induit par l’affirmation gratuite de fraudes massives. Une posture possiblement dangereuse du fait des messages ambigus qu’il a adressés durant la campagne aux suprémacistes blancs et, pire encore, aux extrémistes de QAnon, lesquels pourraient saisir le prétexte d’une élection prétendument « volée » pour être à l’origine de graves incidents. En agissant comme il le fait, Donald Trump salit le processus démocratique américain comme aucun autre candidat dans le passé. Ce faisant, il agit en « charlatan », affirme Roger Cohen dans les colonnes du New York Times, et se montre une fois de plus « répugnant », pour reprendre le qualificatif de l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrines. Signe du changement en cours, la chaîne Fox News, totalement acquise à la cause des Républicains, a d’ores et déjà nettement pris ses distances avec le président sortant. 

Donald Trump battu, le « trumpisme » n’est pas mort pour autant, et ce n’est pas le moindre paradoxe de cette élection atypique. Le président sortant a en effet réussi en 2016 à amalgamer sur son nom une somme de colères des laissés-pour-compte économiques et sociétaux. Des gens, souvent modestes, très majoritairement issus de l’« Amérique périphérique », principalement constituée par les états ruraux et ceux où la désindustrialisation, notamment dans la « Rust Belt  », a fait des ravages. Autant d’électeurs qui, alliés aux traditionnalistes religieux – principalement évangélistes – et aux suprémacistes blancs, ont constitué un corps électoral déterminé et prêt, pour voir triompher sa cause, à supporter tous les dérapages de Donald Trump. Or, l’on constate en 2020 que cet électorat, non seulement ne s’est pas délité, mais a grossi au point d’apporter au candidat républicain des millions de voix supplémentaires. J’ai parlé, en début d’article d’une « idéologie nébuleuse », et de fait, c’est exactement ce qu’est le trumpisme, eu égard à la grande disparité de ses composantes sociologiques. En l’occurrence une idéologie qui, toute nébuleuse qu’elle soit, est servie par des citoyens qui ont pris conscience de leur force collective et entendent désormais jouer un rôle majeur dans la vie politique. Nul doute que cette réalité va poser de gros problèmes aux Républicains dont le conservatisme traditionnel a largement volé en éclats ! Les années à venir vont être passionnantes à observer !


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