Le petit Châtelain chafouin

par C’est Nabum
vendredi 3 mars 2017

Péché avoué eût été pardonné.

Il était une fois, sur les bords de la Sarthe, un joli manoir qui restera à jamais dans ma mémoire. Il s’y noua un drame qui, pour dérisoire qu’il ait été au début -tant beaucoup d’histoires semblables parsèment les légendes de nos urinoirs et autres lieux communs où se murmurent de telles turpitudes- prit progressivement des allures de drame de prétoire. Mais dans ce pays, on ne prête qu’aux chiches et celui-là était, en la matière, le meilleur d’entre eux.

Le petit François -car tel était le prénom de ce manant qui se prenait pour un grand- fut pris la main dans le pot de rillettes qui, comme chacun ne sait peut-être pas, remplace la confiture dans ce beau petit coin de France. L’enfant de s’exclamer que ce n’était pas lui, que d’autres l’avaient contraint à agir de la sorte, à l’insu de son plein gré. Il est vrai que ses camarades lui avait donné un étrange sobriquet : « Le petit châtelain chafouin ! » tant le garçon avait toujours l’impression de bouder.

François étant le thuriféraire en chef dans la petite troupe des enfants de chœur de la paroisse, le plus zélé dans la foi et le plus exemplaire dès qu’il s’agissait de jurer ses grands dieux, on voulait lui donner le bon dieu sans confession ; ce en quoi on avait bien tort. Monsieur le curé de la paroisse aurait souhaité que le pécheur exprime sa repentance par quelques actions de grâce mais François niait tout en bloc et n’acceptait aucune responsabilité morale dans cette affaire.

C’est alors qu’on découvrit avec effroi que les rillettes n’étaient pas de porc. C’est la grande tante galloise qui avait apporté de merveilleuses rillettes d’oie, pour célébrer la confirmation de son cher neveu. C’est du moins ainsi que l’origine de ce pot avait été justifiée par les domestiques de la maison. Monsieur l’évêque, saisi par l’humble vicaire de Dieu afin de tirer cette affaire au clair, s’enquit auprès de la dame de l’authenticité de la chose.

Puis eut lieu un incroyable rebondissement qui laissa l’évêché dans la plus totale circonspection. La Galloise ignorait qu’elle fabriquait des rillettes d’oie à temps perdu. Elle prétendait passer son temps libre à sa chère tapisserie. Elle n’envisageait aucune autre activité et se satisfaisait pleinement de ce loisir cousu de fils blancs. « Des rillettes, non merci, c’est d’un commun ! » se serait écriée cette dame outragée.

François avait donc caché la provenance exacte de sa gourmandise. Il fallut diligenter une enquête. On s’indignait dans la paroisse car celle-ci se tint en pleine retraite spirituelle. François fut interrogé et dut se passer de confession et de l’atelier de réflexion théologique sur la gourmandise et l’esprit de lucre : deux sujets pour lesquels il avait certainement bien des points idéologiques à éclaircir.

Des limiers, pas très fins, vinrent semer le trouble dans la vie si tranquille des habitants du manoir. Tout y fut passé au peigne fin. On y découvrit des produits aux origines douteuses : des pots de miel contenant de la gelée royale, des foies gras du Périgord, des cous farcis mais aucune de ces conserves n’avait été étiquetée dans les règles. François était à la tête d’une vaste organisation mafieuse pour alimenter le repas annuel des scouts du département.

Son compte était bon, pensèrent les enquêteurs qui confièrent les conclusions de leurs investigations à un juge de paix. Pour François, cela fut considéré comme une déclaration de guerre. Il fit appel à tous les louveteaux du pays pour investir les églises et les parvis afin de refuser que la justice des hommes ne vînt suppléer celle de Dieu. François, bien informé, savait que Sa Sainteté le Pape était en train de reconsidérer le péché de gourmandise qui de capital serait prochainement requalifié de véniel.

Fort de cette information, il espérait obtenir un vice de forme, lui qui, en matière de vice, en connaissait un rayon. Il niait de toutes ses forces, oubliant que le mensonge n’était pas en odeur de sainteté. Écartant d’un revers de main méprisant toutes les pièces à conviction, il poursuivit sa route. Rien ne pouvait le détourner de sa mission sacrée : il voulait une belle et grande cérémonie de confirmation. François fut servi au-delà de ses rêves : ce jour-là, il reçut une grande et magistrale claque.

Cette histoire n’a aucune morale, c’est bien là ce qui la rend exemplaire. Dans nos provinces reculées, les grands échappent toujours aux règles et aux lois qui gouvernent les humbles et les gueux. Que par extraordinaire, l’un d’eux eût été mis en accusation, alors toute la coterie de se serrer les coudes et de s’indigner. Aux grands maux, les grands remèdes : on insulte les pauvres gens, on se rit de la maréchaussée, on nie l’évidence et on contre-attaque sans peur du ridicule. Les leçons de 1789 ont été retenues par les privilégiés d’aujourd’hui : il n’est pas question de céder devant la vérité.

Trompeusement sien.

 

 


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