Le piège de la « République exemplaire »

par hommelibre
samedi 25 mars 2017

J’avais grande sympathie pour Pierre Bérégovoy, ancien Premier Ministre de François Mitterrand. Pour son style, son parcours, son humanité. Mis en cause publiquement il s’était suicidé au bord d’un canal à Nevers.

Modèles

Son cas préfigurait-il les excès de ce que l’on nomme aujourd’hui une République exemplaire ? Il en était lui-même partisan. Lors de sa prise de fonction il avait brandi devant les députés une liste supposée contenir les noms d’élus corrompus (vidéo en fin de billet).

En réalité il venait d’écrire la page qui scellerait sa propre fin. Car, mis en cause lui-même – et sans qu’aucune preuve ne soit fournie d’une éventuelle culpabilité – des manifestants l’enfonçaient en lui demandant : « Béré, t’as pas 100 briques ? ».

Nicolas Canteloup ne fait pas autre chose dans ses pastilles quotidiennes sur TF1 à 20 heures 50.

La notion de d’exemplarité doit être questionnée. On demande aux élus de respecter les lois en vigueur, comme tous les citoyens. Doivent-ils en faire plus et se montrer comme des modèles ? Je ne le pense pas.

 

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Je n’attends pas d’eux de me montrer le chemin. Je considère même cette notion d’exemplarité de l’élu comme une distinction anormale entre lui et le citoyen, comme une volonté de supériorité morale destinée éduquer le peuple.

Ce qui nous attend et qui a déjà commencé, c’est la République des donneurs de leçons. Je n’accorde pas une telle importance morale aux élus. L’électeur décide librement qui il élit ou rejette. C’est son vote qui détermine ce qu’il accepte ou non.

L’exemplarité induit forcément une suspicion latente. Le candidat ou l’élu est-il bien un héraut de la morale, ou ne fait-il que se conformer à l’image sociale attendue ? Agit-il en son âme et conscience selon des règles connues ou se soumet-il comme un enfant aux bons et mauvais points donnés par ceux qu’il accepte comme ses juges de moralité ?

Un élu qui exhibe une exemplarité comme un enfant devant ses parents, pour lequel l’exemplarité est une soumission à l’image sociale attendue, m’intéresse moins qu’une personne qui agit de manière correcte parce qu’il en comprend et admet les raisons de l’intérieur.

Pas besoin de démonstration spectaculaire pour ce faire. On n’est pas moral pour les autres mais d’abord pour soi-même. C’est peut-être devenu difficile à comprendre dans un monde de plus en plus construit sur l’image extérieure et sur la peur du jugement d’autrui, où la religion sociale a remplacé la religion de l’âme, où la norme judiciaire prend le pas sur la conscience personnelle de ses actes.

 

Drapeau doré

Et puis où est l’exemplarité de la République dans une période où l’on ne compte plus les accusations sans preuves, les fuites organisées sur les procédures en cours, fuites délibérément facilités par des personnes en lien avec l’institution judiciaire ?

S’accrocher d’arrache-pied à la notion d’exemplarité c’est mettre les élus en compétition de bienséance morale devant le « tribunal du peuple ». Cette bienséance morale ne garantit pourtant aucune capacité politique particulière ni comportement angélique. Dans cette République supposée exemplaire, Jean-Luc Mélenchon aurait-il sa place, lui qui ne peut s'empêcher d'insulter et d'humilier les petits ?

La République exemplaire est un piège pour celui ou celle qui la prône. Elle conduit au jugement moral sur la valeur même des élus. Je n’attends pas cela. Les humains sont imparfaits, inaccomplis, avec des failles – qui n’en a pas ? Je privilégie cette acceptation de l’humain contre toute idée de perfection ou d’exemplarité. Pour cette raison je ne refuse pas qu’un élu condamné par le passé puisse se représenter s’il a payé sa dette, à l’instar d’Alain Juppé.

Si un exemple doit être donné ce sera avec discrétion, de manière naturelle, sans le revendiquer avec ostentation. Comme un parent qui montre par son simple comportement quelles sont les bonnes et mauvaises manières d’être. Pas besoin de brandir le drapeau doré d’une hyperbolique supériorité morale sur un air de Regardez comme je suis beau et bien. La loi suffit, la morale fondamentale y est incluse. Pourquoi en rajouter ?

À République exemplaire je substituerais les termes de République correcte et efficace. Et plutôt qu’un modèle exemplaire je préfère quelqu’un de bien. Comme Martin, le saint partageant son manteau avec un mendiant. Ce qui prend déjà du temps. Le temps d’une vie.


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