Le Point de Panurge, théorie théorique

par Piere CHALORY
mardi 29 janvier 2013

Pour ceux qui l'ignorent, l'histoire du mouton de Panurge fait partie de l'oeuvre de Rabelais, fable écrite en l'an 1545 :

Panurge était un franc fripon, cynique et rusé. Pour se venger du marchand Dindenault, il monte sur son bateau, puis lui achète un mouton, que l'affreux lui vend très cher. Alors, Panurge jette le mouton à la mer ; Bèèèè ! Les moutons, entendant et voyant le mouton nager en poussant des cris de bête affolée, se hâtent stupidement de le suivre dans sa mortelle randonnée aquatique. Tous les moutons se jettent à la mer.

Comme ça, par bêtise.

''La foule (les moutons) était à qui le premier y sauterait après leur compagnon. Il n'était pas possible de les en empêcher, comme vous savez du mouton le naturel, toujours suivre le premier, quelque part qu'il aille". (Extrait du mouton de Panurge de Rabelais)

Original en vieux français : La foule estoit à qui premier saulteroit après leur compaignon. Possible n'estoit les en guarder, comme vous sçavez du mouton le naturel, tousjours suyvre le premier, quelque part qu'il aille. Aussi le dict Aristoteles,lib. IX. de Histo. animal. estre le plus sot et inepte animant du monde.

La pertinence de ce texte où il suffit juste de remplacer les moutons par les hommes grégaires a fait de cette fable une célèbre métaphore du comportement humain, à juste titre. Depuis 1545, on désigne donc par mouton de Panurge tout homme suiveur, copieur ''d'idées''. Allant même dans certains cas jusqu'à tuer et mourir pour sauvegarder un nouveau ''savoir'', un ''modèle'', sans autre valeur que celle d'un acte inconscient, réflexe. Une copie de n'importe quoi. Comportement dément mais généralisé chez l'homo sapiens.

Comme vous savez de l'homme le naturel ; toujours suivre le premier, quelque part qu'il aille...

C'est la théorie du point Godwin qui m'a donné l'idée, dans une démarche quelque peu Panurgique d'ailleurs, d'appliquer ce principe de la perte de conscience liée au suivisme généralisé que l'on peut constater chez l'homme ordinaire.

Le point Godwin c'est quoi ? On en parle beaucoup ces temps ci, il s'agit d'une théorie bizarre qui assimile à un point précis le basculement, la radicalisation d'une opinion lors d'une discussion. En général c'est le moment où la discussion s'envenime. Ne sachant plus quoi répondre, un des deux protagonistes finit par comparer son interlocuteur avec un fasciste, ou un nazi, suprême injure. Ce terme est utilisé comme ''argument'' pour discréditer l'adversaire.

Wikipédia ; ''En l'absence de précision de Mike Godwin sur les extensions possibles, on hésite à parler de point Godwin pour une comparaison avec tout régime dictatorial autre que le nazisme''.

C'est donc un terme donné à quelques % de la population ; les réprouvés du ''politiquement correct'', les no limit, les parias. Mais celui qui dépasse le point Godwin n'est pas celui qui se fait traiter de nazi, c'est l'autre.

C'est le simplet qui, plutôt que d'argumenter de façon raisonnable préfère insulter le contradicteur avec ce qu'il considère comme le comble de l'horreur humaine ; ''si vous n'êtes pas d'accord avec moi, vous êtes un nazi.''

Mais ici, il n'est pas question de juger le fascisme ou l'extrémisme quelconque. La politique et les partis n'ont pas de sens, l'extrémisme encore moins. Le pseudo clivage gauche droite n'est qu'une manière de diviser la population. Pauvres à gauche, riches à droite, en gros. Les bords extrêmes véhiculent quant à eux une haine viscérale de tout ce qui les dérange, haine qui leur fait perdre en partie lucidité, dignité.

Le point de Panurge c'est le même principe, mais vulgarisé, inversement proportionnel au nombre de gens ayant atteint ou dépassé le point Godwin, qui lui est censé être une caractéristique rare, ''grave''.

Oui, le point de Panurge concerne la très grande majorité de la population.

Ainsi, sans atteindre symboliquement le ''point Godwin'', nous approchons souvent, et plusieurs fois par jour le point de Panurge. L'instant où l'on cesse de réfléchir. Le moment où l'exemple devient nous même, ou du moins ce que l'on croit être. Exemple :

Une idée censément majoritaire au coeur de la population, est créée de toutes pièces, avec un ''sondage'' justificatif, entièrement bidonné. Peu importe le sujet, généralement sans intérêt, seul le principe nous intéresse.

 

Premier stade, la perception du point de Panurge :

----''si ils ont dit ça, c'est que c'est vrai, ce que je pense n'a pas d'importance, c'est la ''majorité'' qui décide.''

 

Deuxième stade, l'auto-persuasion, qui justifiera l'acte panurgique :

----'' Quand je pense que je n'étais pas au courant, mais maintenant je sais, le système est bon pour moi, il me dévoile des ''secrets'' ''

 

Troisième stade, basculement de l'individualité vers le mouvement moutonesque, point de Panurge atteint :

---- ''je fais et je dis pareil que l'autre, c'est le mieux.''

 

Quatrième stade, conversion et prosélytisme pour quelque chose d'étranger à soi même, aliénation :

---- ''il faut que je prévienne les autres''

 

La boucle est bouclée, le Point de Panurge dépassé. Le mouton humain, téléguidé par réflexe conditionné fait n'importe quoi. C'est comme si il y avait le feu à la maison. Comme si il était complètement saoul, ou fou. Passé le point de Panurge ; la réflexion disparaît définitivement. ''

Fasciné par ses Guides Spiritueux ; alcool, jeux vidéos, télé, web, politiciens portant ''beau'', qui ''pensent'' comme lui ou plutôt à qui il croit ressembler, le panurgé s'identifie au héros plastifié qui a osé se jeter à la mer le premier. Soldat il faut y aller...

L'homme rejoint enfin le singe dans la forme et le verbe ; il singe.

Autre exemple : le beau et le laid

La beauté est subjective, jusqu'à un certain point. Si je vous dit ;

---- '' la Maserati Ghibli est une belle voiture ''

C'est une évidence, pas besoin d'être designer ou spécialiste pour le voir. Vous pouvez toujours dire le contraire, mais vous risquez de passer pour un imbécile. Éventuellement, vous pouvez dépasser le point Godwin en me traitant de nazi, c'est votre droit.

Si je vous dis :

---- ''Cette oeuvre de Jean Dubuffet est laide''

C'est une évidence aussi, la maladresse du trait, l'aridité du ''message'' que peut véhiculer ce faciès ridicule, qui fait immanquablement penser au dessin d'un enfant autour de 5 ans, est patente. 

Et pourtant, vous pouvez également dire le contraire, et dépasser encore le point Godwin en me traitant de nazi. Dans ce cas, vous pourrez même justifier votre insulte en précisant que les nazis qualifiaient justement ce genre d'oeuvre ''d'art dégénéré''.

Mais suis-je réellement un nazi si je déclare et trouve que beaucoup ''d'oeuvres'' d'art contemporain sont laides, voire nulles et non avenues ?

Et vous même ? N'auriez-vous pas dépassé le point de Panurge, en suivant l'ordre ''établi'' dans la hiérarchie et le diktat de l'art officiel qui finalement, décide à vôtre place de ce qui est beau et donc cher ''aujourd'hui'' ?

Car demain effectivement c'est moins sûr.

Imaginons qu'une météorite énorme extermine presque entièrement la race humaine.

2000 ans plus tard, quelques milliers de survivants ont assuré la continuité de l'espèce humaine, ils ont reconstitué une société à peu près logique, et retrouvent un Mac* enfoui. À l'intérieur, ces archéologues du futur retrouvent des oeuvres conceptuelles faites de béton, de chiffon ou de carton.

 

* musée d'art contemporain

 

Seraient-ils tentés de mettre ces ordures visuelles dans un de leurs ''musées'' contemporains, ou s'en serviraient-ils de matériaux de construction ou de combustible ?

Si je vous dis :

---- cette sculpture de bronze retrouvée dans une villa d'Herculaneum, conservée dans la cendre et datant de 2000 ans environ, est très belle.

Là encore, l'évidence est de mise. Le naturel du personnage, la perfection des lignes et proportions tue. L'oeuvre vit, par elle même, pas besoin de discours. C'est peut être ce qui différencie une véritable oeuvre d'art, ou véritable idée, d'un succédané vil & prétentieux, quel qu'en soit le ''prix''. Il est inutile de vous énerver jusqu'au point de Panurge ou Godwin. 

Le public face au rendu de cette sculpture ne peut qu'être rassemblé, et non divisé.

 


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