Le poisson pourrit toujours par la tête

par Jacques-Robert SIMON
samedi 17 novembre 2018

Un club de foot, un émirat qui cherche à polir son image, un Président et ses obligés (ministres, préfets…), l’Afrique avide d’investisseurs et une chaîne d’hôtels détenue en partie par ce même émirat : le petit monde des décideurs.

 Le Qatar a racheté en mai 2011 le club de football du Paris Saint-Germain (PSG). Ce petit Etat de 100 km sur 100 km est le quatrième producteur de gaz naturel du monde et exporte aussi du pétrole. Avant que l’on y découvre ces richesses, le Qatar était essentiellement une région de pêche et de culture de perles. Le Qatar compte environ 2,6 millions d'habitants dont 80 % d'étrangers venus d'Inde, d'Iran, du Pakistan, d'Irak, du Népal, du Bangladesh… Cette main d’œuvre immigrée travaille dans des conditions extrêmement difficiles sur de nombreux chantiers lancés en plein désert. Les qataris, tout comme les expatriés occidentaux, occupent quant à eux les postes de responsabilité. Les Qataris sont partisans de la version wahhabite de l'islam sunnite. Les femmes ne sont toutefois pas obligées de porter le voile. Les chrétiens bénéficient de la liberté de culte mais ils ne sont pas autorisés à promouvoir le christianisme. Le PIB par habitant des Qataris est supérieur à celui des nord-américains.

 Les quelques dizaines de millions d’euros investis par le Qatar Investment Authority (QIA) a fait entrer le PSG dans un nouveau monde sportif. Le PSG joue dans la cour des grands : depuis son rachat, le Paris Saint-Germain s'est fait une place parmi les clubs de football les plus riches de la planète. Des questions éthiques se posèrent : le PSG respecte-t-il le « fair-play financier », édicté par l'UEFA, qui stipule qu'un club ne doit pas dépenser davantage que ce qu'il gagne ? La question reste en suspens. Le QIA est le fonds d'investissement souverain de l’émirat du Qatar. Le QIA possède également beIN Sports, les studios de cinéma Miramax, le géant russe des matières premières Rosneft, il possède 7,5% du capital d'EADS, il a 10 % du capital d'AccorHotels (nous y reviendrons)… il détiendrait au total pour 100 milliards de dollars d’actifs. Au delà de ces activités légales, le président des États-Unis Donald Trump déclare le 6 juin 2017 que « tous les éléments pointent vers le Qatar dans le financement de l'extrémisme religieux. »

 Mais pourquoi cet investissement dans le monde du football ?

 Diversifier ses investissements pour préparer l’après-pétrole (qui n’est toutefois pas pour demain), donner une image plus reluisante d’un émirat qui ne respecte à peu près aucune des valeurs affichées par les occidentaux, s’ouvrir au monde par le biais du monde des affaires… tout ceci semble judicieux voire profitable pour tout le monde.

 Mais l’important n’est pas là, et une anecdote récente va permettre de cerner plus précisément le but de ces investissements footballistiques.

 Michel Besnard a 54 ans. Il a œuvré dans la police durant 30 ans, 21 ans en tant qu'officier de police puis 9 ans en tant que préfet ; ce fut un fonctionnaire reconnu et estimé pour ses compétences et sa discrétion. Il fut à la tête du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) entre 2007 et 2012, sous la présidence de M. Sarkozy donc. Mais les deux hommes se connaissaient dès 2002 lorsque M. Sakozy n’était encore que Ministre de l’Intérieur. Le président de la République lui saura gré de son efficacité et de sa discrétion lors de ses démêlées familiales et il nommera son fidèle lieutenant au poste de préfet en 2009. Cette promotion inhabituelle sera perçue comme peu légitime par une partie de l’institution policière. À signaler également que M. Besnard est en couple avec Emmanuelle Dauvergne, conseillère de Paris UMP et adjointe de Rachida Dati à la mairie du VIIe arrondissement. &é

 Le Qatar via le Qatar Investment Authority devient le premier actionnaire de la chaîne AccorHotels en 2015. Le champion français de l'hôtellerie et l'opérateur qatari Katara Hospitality créent ensuite un fonds d'investissement doté d'un milliard de dollars pour ouvrir une quarantaine d'établissements en Afrique subsaharienne.

 Nicolas Sarkozy, retiré de la vie politique, fervent supporter du PSG, a touché 86.355 euros de jetons de présence en 2017 en tant qu’administrateur du groupe hôtelier AccorHotels. Il préside le comité de stratégie internationale qui s'est réuni à deux reprises afin d'évoquer la situation notamment en Afrique…

 Officiellement, la Françafrique est morte, pourtant la droite française, et en particulier N. Sarkozy, ont toujours gardé de solides amitiés auprès des chefs d’État africains. Alassane Ouattara est l’ami de vingt-cinq ans de Nicolas Sarkozy, il fréquente Patrice Talon, le président du Bénin, il discute avec Jean Ping, le principal adversaire d’Ali Bongo Ondimba – l’homme qu’il avait pourtant aidé à prendre le pouvoir en août 2009, Alain Joyandet, l’ancien secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie de N. Sarkozy, élabore un projet Afrique en compagnie de la Franco-Sénégalaise Coumba Dioukhané, qui vient d’être nommée secrétaire nationale à la coopération et au développement au parti Les Républicains (LR)…etc…etc…

 Rien de répréhensible, rien d’illégal, pas d’escroquerie, mais…

 Un microcosme de quelques dizaines de personnes, toujours les mêmes, se crée petit à petit mêlant intérêts sportifs, investissements en Afrique, la France, le Qatar sur le principe de « les amis de tes amis sont mes amis ! ». Chacun bien entendu met en avant le fait qu’il travaille pour le bien commun, pour leur peuple, leurs entreprises. Le triangle d’or présenté regroupe l’ex-Président d’une puissance mondiale associée à une cohorte de ministres, de secrétaires d’État, de préfets, de membres de la police auquel s’ajoute un bailleur de fond qui n’a qu’un besoin : investir et se lier d’amitié avec des gens influents pour s’enrichir un peu plus ou/et anoblir une cause religieuse qui lui est chère, aux deux précédents s’ajoutent encore les pays africains et leurs chefferies qui offrent minerais, matières premières, promesses de développement et revenus par habitants 5 fois moindre que la moyenne mondiale. Le tout représente au plus quelques dizaines de quidams qui se connaissent, qui se fréquentent, qui se tutoient souvent, qui ne font qu’une différence au mieux légale et non morale entre biens publics et biens privés, amitiés personnelles et professionnelles, intérêts propres et gouvernementaux.

 Rien d’illégal répétons-le, mais le poisson pourrit toujours par la tête.


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