Le pouvoir d’achat : un nouvel avatar des Croisades des temps modernes ?

par Gilles
lundi 24 décembre 2007

Oyez, oyez les gueux ! Le labeur des serfs aliénés au fond de leurs sweat-shops orientaux ne suffit plus à alimenter votre consommation compulsive d’objets à deux balles qui cassent trop vite ? Vos bourses se tarissent trop vélocement ? N’écoutez pas ces oiseaux de mauvaise augure sous l’emprise du Démon Rouge qui agressent la manne consumériste salvatrice, qui jette la pierre à la bonne et pieuse noblesse de fric repue. Ah que moi je dis, haro contre la vie chère ! Ralliez-vous à mon étendard flamboyant au couleur du Pouvoir d’Achat... ce dernier avatar attrape couillons et couillonnes.

I - Les croisades des temps modernes

A une mode en succède une autre. Chaque période pré-électorale voit les politiciens en mal de projets innovants enfourcher leur destrier nommé « démagogy » et lancer à grand renfort de communication, payée sur nos impôts et garnissant les caisses de leurs amis intimes, « La Croisade » qui aboutira à sonner l’hallali de leur adversaire aux abois. L’objectif n’est rien moins que de mettre leurs partisans au garde-à-vous sous les blasons de l’oriflamme partisane et de rallier la masse critique des sympathisants et indécis incrédules, clé de l’accession au tant convoité Pouvoir.

A l’image des croisades chrétiennes du Moyen Âge, l’élite en difficulté et affligée d’une décrépitude morale crée par le lancement d’une croisade le moyen opportuniste de souder dans une quête sacrée le peuple et les seigneurs de leur camp. Cet appel solennel leur enjoint d’unir et de focaliser leurs forces vives autour d’un seul et unique combat emblématique, censé guider l’action gouvernementale une fois la victoire engrangée.

Cette méthode a l’insigne avantage de balancer opportunément aux oubliettes les sujets de fond, complexes à appréhender, impossibles à expliquer en deux minutes au profane et qui dérangent trop cette élite. Et si les augures sont favorables, la récolte promet d’être providentielle. Une fois le Pouvoir conquis de haute lutte et l’ennemi ringardisé, il sera possible de surfer sur la vague des préjugés rampants et des faux problèmes montés artificiellement en épingle pour appliquer l’inavouable, à l’image d’un Bush qui grâce à ses croisades anti-terroristes et contre l’axe du mal s’attaqua aux libertés individuelles avec le consentement tacite de l’opposition, des médias et du peuple ; chose absolument impensable cinq ans auparavant dans un système politique et économique érigé sous l’emblème de la liberté.

En France, ces croisades éminemment aussi mobilisatrices que réductrices ont comme points communs d’avoir été mises en musique par la droite, en déroulant à l’occasion les partitions écrites par l’extrême droite. Comme il se doit, elles touchent à l’émotionnel, au ressentiment personnel, à la peur, au sang.

En 1995, la France était en danger. Le RPR s’était d’abord accaparé la croisade contre l’immigration, celle des bruits et des odeurs, des voleurs du pain des Français. La fracture sociale, plus consensuelle, lui succéda et mit un bémol aux débordements xénophobes.

En 2002, les Français étaient en danger. La croisade contre l’insécurité instilla la peur jusque dans les chaumières des petits vieux au fin fond des campagnes paisibles. L’esprit simple, TF1nisé, découvrit que la terreur inspiré par le « jeune », surtout celui en survet et basané, talonnait celle inspirée par les cohortes brunes de la dernière guerre (que Le Pen ne jugeait « pas si inhumaines que ça », en tout cas bien moins que les hordes de Sarrasins contemporains).

En 2007, la prospérité française est en danger. Les hordes d’assistés menacent le système, préférant vivre sur la bête plutôt que travailler. Leur mise au pas préalable est primordiale avant de lancer la croisade de toutes les croisades ; j’ai nommé le Pouvoir d’Achat (avec ses variantes - travailler plus pour gagner plus, sus aux prélèvements...) qui réconciliera travailleurs et assistés à l’aune de la corne d’abondance.

La pertinence et l’habilité de ces subterfuges se reconnaissent au simple fait que l’opposition politique s’en trouve obligée, parfois à contrecœur, de se rallier à cette pensée unique par simple soucis calculateur de ne pas se couper du peuple, surtout à proximité d’une échéance électorale. La gauche, n’ayant jamais su agripper la majorité du peuple aux tripes avec ses projets de progrès sociaux s’est à chaque fois cantonnée à se raccrocher en marche au rouleau compresseur UMP. En pure perte puisque laissant le choix du terrain et des festivités à un adversaire prêt depuis longtemps à porter le coup de glaive là où ça fait le plus mal.

A l’issu de ces croisades, les idées les plus noires, résidus des croisades passées perdurent, se répandent, s’auto-alimentent nourris par les faits divers les plus glauques. Souvenez-vous, l’immigré du Sud, le jeune désœuvré en capuche et le cran d’arrêt au poing, le pauvre lorgnant votre bien au lieu de bosser. Tous ces préjugés ont explosé lors des croisades électorales précédentes et contribuent au lancement de la prochaine. La société devient en fin de compte à l’image du camp qui gagne, initiant un cercle vicieux infernal : la gauche perd, la société se droitise un peu plus, la gauche enfante des leaders idéologiquement influencés par la droite d’hier, la droite se durcit, la gauche re-perd... et ainsi de suite.

Certaines croisades finissent par disparaître du paysage, telle celle contre le « bolchevique le couteau entre les dents », incarnation du prolétaire crasseux et inculte envieux de la richesse et de l’intelligence du bourgeois. Il se meurt au même rythme que la conscience de classe. D’autres renaissent de leurs cendres dans un cycle infernal. La peur du Rital, du Polack, de l’Irlandais bête, sale et méchant, du blouson noir, ça vous rappelle quelque chose, non ?

Au fait, l’immigration, la sécurité, la pauvreté, est-ce que ça a évolué depuis ? On en débat encore ! La seule considération significative aura été de voir les positions des adversaires se rapprocher sur ces sujets. A force de confrontations autant démagogiques que stériles, le faible a adopté une bonne partie des idées et du langage du fort, rendant illisible le message politique sous-jacent. Il devint alors nécessaire pour 2007 de trouver une autre croisade, droito-compatible, populaire, mais conflictuelle et manichéenne au possible afin de bien marquer son territoire idéologique avant d’initier le combat à mort contre l’adversaire, que tout un chacun attend lors d’une élection présidentielles.

II - La croisade pour le Pouvoir d’Achat.... ta ta ta !

Depuis un an, le champ de bataille médiatique du Pouvoir d’Achat n’en finit plus de rougeoyer du sang et des tripes des adversaires tombés au champ du déshonneur démagogik. Des corps roses, des corps bleus gisent, entremêlés, au gré des initiatives malheureuses de leurs saigneurs de guerre (TVA socialeeeeeeu, redevanceeeeu télé, nous voilà !).

Le succube royal prend la forme d’une femelle séductrice pour abuser les rêves de labeur, de sueur et de dévouement patriotique désintéressé des vrais travailleurs libres, arrose de son sang démoniaque rose-bleuté ses légions de trolls afin de décupler leur endurance désinformatrice au service de l’assistanat diaboliquement globalisé, voue aux tourments éternels les apostats vassalisés à l’ennemi.

L’omni-guide, lui, affligé du singulier complexe carpathique qui l’empêche de souffrir tous ceux qui occultent son ombre, empale dans le dos à tour de bras comparses, ex-maîtres et vassaux aux canines presque aussi longues que les siennes. Il les remplace par les cerbères égarés de l’autre bord qui lui font allégeance en oignant son pacte béni de leur sang verdâtre. Connaissant très bien, par nature, l’acabit misérable de ces « traîtres » passant en un éclair du larbin le plus vil au bourreau le plus inique selon les opportunités, il leur suce la sainte moelle de ses canines avides avant de les renvoyer dans les gogues de maîtresse Baphomet une fois le pacte échu et leur carrière damnée.

III - Quel lièvre se cache derrière cette croisade pour le Pouvoir d’Achat ?

Gueux, gueuses, vous qui regardez ces joutes avec espoir ou avec consternation, selon votre temps de cerveau non tout à fait coca-colisé, ne vous faites pas enfler par ces diversions. Une croisade cache toujours un lièvre. Pour trouver le lièvre, il faut le chasser.

Déjà, « Pouvoir d’Achat » ne veut rien dire. Trop subjectif, dépendant fortement de la situation sociale, professionnelle et du mode de consommation de chacun, mais passons. Au fait, mis à part les combats des coquelets qui, on s’en douterait, veulent de tout cœur permettre aux électeurs d’avoir plus de pognon, quel est le fond du problème simplifié par la lutte pour plus de Pouvoir d’Achat ? Tout simplement que les Français des classes moyennes et populaires sentent qu’ils ont moins d’argent. C’est-à-dire que nos revenus stagnent ou semble stagner comparé au coût de la vie. La responsabilité politique voudrait que l’on identifie les disparités de revenus et que l’on s’attaque, le cas échéant, aux causes du partage inéquitable de ces revenus, des raisons de la vie chère. Mais non, Sarkozy, lui, préfère occulter le partage des revenus et les problèmes posés par le sacro-saint capitalisme financier, et nous fourgue en échange sa croisade pour la consommation. Eh oui, de nos jours le citoyen est avant tout un consommateur qui finance ainsi l’Etat. Et le Pouvoir d’Acheter toujours plus, ça touche au moins autant que la quantité d’argent.

Au lieu de gagner plus car « ça ce n’est pas possible », eh bien, vous pourrez acheter plus. Comment ? Faites confiance en l’imagination de l’omni-guide. Vendez vos RTT, vos congés, faites des heures supplémentaires, travaillez le dimanche. Bref, monnayez en monnaie consommable vos acquis sociaux, et fissa fissa ! Ensuite, si vous êtes sages, vous profiterez d’une prime grâce à une moins forte augmentation des prix des loyers et de la baisse des prix dans la grande distribution. Promis juré, croyez en cette promesse en dépit des tentatives passées qui ont échoué ! Christine Lagarde nous sort même le mode d’emploi qui va faire exploser nos revenus de 10 % en un an. Ayez la foi, nom de Dieu, car sans foi point de rédemption et moins de Pouvoir d’Achat.

IV- Prendre exemple sur ce qui marche

La rhétorique sarkozienne, pragmatique, insiste pour prendre exemple sur ce qui marche. Suivez donc l’exemple de ces hommes pieux qui ont fait preuve de beaucoup de foi. Ils se sont rangés du bon côté, ont inspiré les seigneurs et en récoltent aujourd’hui les fruits à foison. Ils sont peu, juste 1 % des foyers fiscaux, c’est à dire 250 000 foyers. Rendez-vous compte, en 1998 ils recevaient à peine 7,27 % des revenus de l’ensemble des Français et en 2005, 8,2 %, c’est-à-dire +12,77 % en sept ans. Ils captent à eux seuls 6,15 % de la masse salariale totale, 18,7 % des revenus fonciers et 55 % des revenus des capitaux mobiliers du pays. Ces sept dernières années le taux de captage de ces richesses a augmenté respectivement de 11,29 %, 4,24 % et de 28,96 %, au détriment bien sûr des 90 % moins bien lotis. Quelle performance ! Comme quoi la foi, plus que le travail, a la faculté d’orienter la générosité divine sur soi et rempli les bourses, telle la pierre philosophale.

Preuve supplémentaire, à peine élu, pour les remercier l’omn-guide leur a mitonné une Tepa d’enfer leur octroyant quelques milliards à se partager en plus, au détriment des incrédules ; à ce rythme, en 2008 on sera à +25 % en plus de captation des revenus des Français par ce 1 % d’obligés. Et encore il s’agit ici du second cercle. Ceux du premier cercle, c’est-à-dire les 0,01 % de la population (2 500 foyers) dont les plus connus s’appellent Arnaud, Bouygues, Lagardère, Bolloré, Halliday et autres héritiers entrepreneuriales ou stars du show-biz ont fait plus fort. En ne lâchant carrément pas l’omni-guide, jusqu’à le harceler lors de ses mariages, aux baptêmes de ses enfants, lors de ses banquets au Fouquet (payé sur nos impôts), ils augmentent leur revenus de +42,6 % en sept ans contre à peine 19,4 % pour le second cercle des 1 % et un misérable 4,6 % pour vous, les gueux et les gueuses formant la masse des 90 % qui ne sait suffisamment se prendre en main pour réussir. Et cerise sur le gâteau, juste pour le confort, un bon paquet de ces « family made man » à la française habitant Neuilly, l’omni-guide, alors maire de cette ville de banlieue leur a épargné le côtoiement des plus gueux d’entre les plus gueux en se vantant d’appliquer la loi inique nommée SRU.

Faites allégeance, je vous dis, joignez-vous à la croisade. Les survivants de cette longue marche passeront forcément par Byzance. Et n’oubliez pas surtout de vous méfier du Sarrasin sournois qui guette et qui serait bien capable de vous éjecter perfidement de cette Terre Promise.

Sources :

Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion des inégalités (Paris School of Economics) ?


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