Le Président et la Loi

par Chem ASSAYAG
dimanche 3 octobre 2021

Imaginons un pays démocratique d’Europe de l’Ouest par exemple, un pays qui s’affirme par ailleurs comme un État de Droit. Imaginons qu’un ancien chef de l’état du pays en question soit impliqué dans de nombreuses affaires judiciaires, certaines d’une extrême gravité comme le financement de ses campagnes électorales par une puissance étrangère, qu’il fasse l’objet de poursuites, pour certaines de ces affaires, et même qu’il ait été condamné en première instance à des peines de prison ferme dans deux procès, y compris pour des actes commis alors qu’il était en fonction. Que se passerait-il ?

On peut penser, assez logiquement, que l’individu en question se tairait, ferait « profil bas », comme on dit de façon triviale, en somme essaierait de se faire oublier. On peut penser que les hommes politiques de tous bords se réjouiraient que la justice fasse pleinement fait son travail, affirmant ainsi son indépendance et sa rigueur, et regretterait qu’un homme politique ayant occupé des fonctions aussi importantes vienne ternir la réputation de sa « profession ». On peut penser que les médias expliqueraient en détail les dessous des procès et les raisons des condamnations, et considéreraient désormais que le personnage en question n’a plus de légitimité pour s’exprimer publiquement sur des sujets politiques. On peut penser que le chef de l’état en exercice du pays en question éviterait de confier des missions à son prédécesseur ou encore de s’afficher avec lui (pour paraphraser un ancien Premier Ministre français, lui même condamné dans une affaire d’emploi fictif en première instance :« Qui peut imaginer le Général de Gaulle s’afficher avec un délinquant ? »).

De façon intéressante ce pays pas si imaginaire c’est la France, et que constate-on ? L’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, condamné à deux reprises dans l’affaire Bismuth et dans l’affaire Bygmalion, et encore sous le coup de plusieurs procédures, non seulement ne se tait pas mais ose se poser en victime d’une injustice, lui d’ordinaire si prompt à fustiger les délinquants. La classe politique quant à elle se discrédite un peu plus, entre silence assourdissant et soutien bruyant. Ainsi tous les « ténors » de la droite y sont allés de leur petit message amical, dans un concours de flagornerie assez saisissant, dont on ne sait à qui donner la palme.

Les médias ne sont pas en reste, qui, plutôt que de considérer la parole de Nicolas Sarkozy comme discréditée et ne plus l’interroger sur l’actualité, vont encore le questionner comme un oracle sur les primaires ou Eric Zemmour. Et pour couronner le tout Emmanuel Macron, qui aurait dû depuis longtemps s’éloigner de Nicolas Sarkozy dans un tel contexte continue à le rencontrer ne semblant pas faire grand cas de la qualité de délinquant de l’ancien président.

Ah mais j’entends l’argument habituel : Nicolas Sarkozy a été condamné en première instance et il a fait appel, donc la condamnation n’est pas définitive (avec ses avocats il faut souligner que Nicolas Sarkozy est le champion du monde des manœuvres visant à retarder ou faire annuler les procédures à son encontre). Oui c’est vrai, mais rien ne dit qu’il ne sera pas condamné en appel aussi  ? Oui c’est vrai, mais rien n’interdit, en fait c‘est même conseillé, de faire preuve de décence et d’attendre le résultat de l’appel avant de faire comme si Nicolas Sarkozy ne faisait l’objet d’aucune poursuite. Oui c’est vrai, mais rien ne justifie de critiquer une décision de justice, quand on est un homme public. Oui c’est vrai, mais peut être faut-il rappeler qu’un homme politique de cette importance, plus que tout autre citoyen, se doit d’être exemplaire, et encore plus pendant l’exercice de son mandat. A son encontre la sévérité est tout à fait normale, elle est à la hauteur de ses responsabilités et de la confiance que lui ont accordé ses concitoyens. Et a minima on pourra considérer ici que Nicolas Sarkozy n’a absolument pas été exemplaire.

Les réactions publiques – pas toutes mais la plupart -, individuelles et collectives, à la condamnation de Nicolas Sarkozy sont donc profondément choquantes. Elles contribuent encore à saper la confiance que l’on peut accorder aux hommes politiques et aux médias, confiance qui est déjà à des niveaux très bas. Les mêmes, qui à longueur d’antenne, se lamentent sur le laxisme de la justice, réclament que les délinquants soient sévèrement punis, les mêmes donc semblent considérer comme normal qu’un ancien Président puisse continuer à s’afficher alors qu’il est condamné, et vilipendent des juges qui cette fois, seraient trop sévères. La Fontaine avait eu cette phrase célèbre « Selon que vous serez puissant ou misérable Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. », ici dans une unanimité qui laisse interloqué c’est le jugement des puissants envers un de leurs qui semble l’absoudre, et contribue à interroger sur l’état de notre démocratie.


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