Le président-minute !

par Aimé FAY
vendredi 25 janvier 2008

A voir et revoir le président continuellement hyperactif dans les médias depuis le 6 mai 2007, nous nous demandions, avec des amis, où l’on avait déjà vu ce genre d’attitude, de comportement, de management, voire de gesticulation. Pour ceux qui ont eu en charge la direction générale d’entités économiques, ce type de présidence saute aux yeux. Il est parfaitement décrit par Kenneth Blanchard et Spencer Johnson dans leur livre intitulé « le manager minute ». Vous l’aurez compris, il s’agit du management d’une entreprise et non du management d’un pays. Alors, est-il possible que le style de Nicolas Sarkozy soit celui que déclinent Blanchard et Johnson et, qu’il l’applique tel quel pour la gouvernance de notre pays ? Le président de la France, serait-il plutôt un manager de PME, qu’un vrai président ?

Désormais, pour plus personne, cela ne fait aucun doute. Le président est évidemment un parfait manager "pur sucre" ! Mais, rien de président, sauf le titre imposé par notre constitution. En fait, tout dans Nicolas Sarkozy rappelle le patron de la PME d’une cinquantaine de personnes. Propriétaire de 99 % du capital. Non licenciable au contraire de ses congénères recrutés pour le besoin. Eux, sont éjectables ad nutum. Nicolas Sarkozy est, lui, autant inamovible que ce patron de PME. Il est là où il est, pour cinq ans. Quoi qu’il fasse ! Alors, fort de cela, il inscrit chacune de ses actions dans le court terme, dans l’immédiat. Naturellement, il la présente à ses collaborateurs et à ses partenaires européens, comme un projet industriel de moyen et long terme. Cela fait mieux et c’est aujourd’hui quasiment obligatoire en termes de crédibilité. Alors, comment fait-il ?

Tel que le préconisent Kenneth Blanchard et Spencer Johnson, tout doit être dit sur un sujet en une minute. C’est le fameux management minute !

Il faut l’immédiateté pour marquer les esprits. Objectifs, félicitations, mais aussi réprimandes, doivent être énoncés dans l’instant et, en soixante secondes. Pas plus ! Un quart d’heure après, c’est déjà largement trop tard. L’image est finie et, il faut passer à autre chose.

Il convient aussi de réagir dans l’instant à tout événement qui se présente, comme le décrivent Blanchard et Johnson. Même si cela peut entraîner des erreurs, il faut... réagir. Qu’importe si on dit une ânerie, on aura marqué les esprits par notre réactivité, notre vivacité intellectuelle, notre capacité à avoir réponse à tout et dans l’immédiat. Normal pour le président-monarque d’une PME. Demain, il sera toujours temps de rectifier. Mais, il ne faudra le faire qui si on y est contraint. Sinon, surtout ne rien faire.

Evidemment, une telle attitude rappelle à chacun de nous des choses vues tous les jours dans nos médias. Ce qui pose problème, c’est de savoir, est-ce que ce qui est possible pour une petite entreprise, l’est aussi pour un pays ? Ou, dit de manière différente : gouverne-t-on un pays comme on gouverne une PME ?

La différence réside essentiellement dans le fait que, si le président de la PME n’est pas là pour alimenter tous les jours le carnet de commande de son entreprise, celle-ci mettra rapidement les clés sous la porte. Et, le président perdra sa mise de fonds, son poste et sa rémunération.

Pour le président d’un pays, il en va bien sûr différemment. Surtout quand ce pays est intégré dans une puissante communauté économique comme celle de l’Europe. Hormis la décision de déclencher une guerre - à l’Iran peut-être - il peut, durant une grande partie de son mandant, être aux abonnés absents. Les exemples ne manquent pas.

Cette hypothèse n’a naturellement jamais effleuré les gènes de Nicolas Sarkozy. Bouger est pour lui vital. Faire la une est indispensable. Le boss c’est lui. Monarque pour cinq ans, issu de surcroît du suffrage universel. Que voulez-vous de plus ! Quelques minutes lui paraissent déjà une éternité. Alors, pour lui, la meilleure façon d’être président, c’est en fait d’adopter le management minute, tel que celui que préconisent Blanchard et Johnson. Qu’importe si cette démarche est faite pour une PME. L’essentiel est de mettre en oeuvre une méthode qui bouge, qui bouge sans cesse. Quasiment toute seule. Et celle-ci, elle bouge !

Par ailleurs, cela tombe bien pour Nicolas Sarkozy. Dans ce type de management, la hiérarchie ne compte quasiment plus. Si on veut faire avancer nos idées ou celles de nos propres experts, il faut aller directement voir le responsable du projet qui aura à les mettre en œuvre dans les délais les plus courts. Qu’importe le malaise qui peut régner dans le staff de direction qui est shunté en permanence. L’essentiel, ce sont les idées du patron. Pas celles des collaborateurs !

Pour Blanchard et Johnson, l’efficacité passe obligatoirement par là. Et, afin que la parole et l’attitude du boss ne soient jamais désapprouvées, il convient, autant que cela est possible, de recruter des personnels pas trop pointilleux sur leur ego : jeunes diplômés sans expérience, mais aux têtes bien pleines, personnes en manque de reconnaissance qui brilleront par l’intermédiaire du chef, bénis oui-oui de droite ou de gauche, etc.

Bon... il apparaît assez clairement que le manager de la France est en osmose parfaite avec le livre sus-mentionné. Mais après tout, est-ce un mal que de manager un pays de 64 millions d’habitants comme on manage une boîte de 50 personnes ?

A priori non, car aucune catastrophe ne s’est encore produite. Peut-être l’Iran demain, mais pour l’instant rien ! En effet, ce qui compte dans cette méthode, c’est plus le contenant, la forme, que le contenu, le fond. Le premier peut difficilement être désavoué, surtout quand son messager dit vouloir être jugé la dernière minute, de la dernière année de ses cinq ans ! Quant au contenu, c’est autre chose. Si on le prend au sérieux ce contenu, il faut savoir que les contraintes extérieures, que l’on ne maîtrise absolument pas, peuvent tous les jours le faire mentir. Et cela, ce président, comme ceux d’avant et comme ceux d’après, ne veulent absolument pas s’embêter avec de tels soucis. De Gaulle le pouvait. Dévoué, il est parti. C’était vraiment une autre époque !

Alors oui, Nicolas Sarkozy est bien génétiquement un super président-minute. Extraordinaire !

Pour l’instant, il ne fait aucun mal. Cependant, il ne faudrait pas que, dans deux ou trois ans, quand la croissance mondiale finira enfin par toucher les berges de notre pays, le manque de crédibilité qu’aura accumulé le président, empêche cette richesse de s’installer dans notre économie. Mais, 2012 sera presque là. Et, il sera alors temps pour le pays de savoir s’il veut un vrai président ou un fulminant manager d’entreprise pour affronter, de manière pragmatique, les défis de ce siècle !


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