Le Président Sarkozy suspect ou « présumé coupable » d’atteinte à la présomption d’innocence ?

par Paul Villach
vendredi 4 février 2011

Les médias sont coutumiers du fait. On l’a déjà dénoncé sur AgoraVox par deux fois (1). Rien n’y fait. Est-ce de l’ignorance ou une volonté délibérée ? Dès qu’un suspect est arrêté et interrogé, les médias en chœur le présente quasi systématiquement selon les circonstances comme le voleur, l’agresseur, le violeur, ou le meurtrier présumé. Or, dans ce contexte, l’adjectif « présumé » signifie « considéré comme… avant tout examen ».

La présomption d’innocence et les médias
 
Les médias ignorent superbement le Droit de la démocratie dont, selon la Cour européenne des droits de l’Homme, ils seraient pourtant « les chiens de garde » par leur contribution à l’exercice de la liberté d’expression.
 
En fait, ils sapent la démocratie en douce quand ils violent impunément son Droit qui commande le respect de la présomption d’innocence. Il n’y a pas une déclaration solennelle qui ne proclame pas cette règle majeure de la démocratie.
 
- L’article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 à laquelle se réfère le préambule de la Constitution de la Vème République française stipule que « tout homme (est)  présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable... ».
 
- L’article 6-2 de la Convention Européenne des Drois de l’Homme à laquelle est soumise la législation française déclare que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
 
Est-ce assez clair, sans qu’il soit besoin d’aller chercher l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui dit la même chose ?
 
La présomption d’innocence et le Président de la République
 
Manifestement non ! Passe encore que les médias s’en moquent ! Mais que dire du président de la République française qui en fait autant, alors que l’article 5 de la Constitution le charge de veiller au respect de cette même Constitution ?
 
1- Premier exemple : « Les coupables » du procès Clearstream
 
On objectera que ce n’est pas nouveau. On se souvient que le 22 septembre 2009, s’exprimant aux Etats-Unis, sur France 2 et TF1, au sujet du « procès Clearstream », il s’était permis de juger « coupables » les prévenus avant que le tribunal ne se prononce : « Au bout de deux ans d'enquête, avait-il osé dire, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel ». L’affaire avait fait scandale : M. de Villepin était en effet visé.
 
2- Deuxième exemple : « le présumé coupable » du meurtre de Laetitia
 
Jeudi 3 février 2011, au commissariat central d’Orléans devant un parterre de policiers et de gendarmes dont la mission est de faire respecter la loi, le président de la République est revenu sur la mort abominable d’une jeune fille de 18 ans prénommée Laetitia à Pornic en Loire Atlantique (2) . C’est entendu, à la seule évocation de cette horreur, le cœur se soulève : on ne soutient pas l’idée que cette petite ait pu connaître un sort aussi atroce. 
 
Un suspect a été arrêté. Des présomptions sérieuses et concordantes seraient réunies contre lui. Mais le président de la République est-il autorisé par la Constitution à en parler en ces termes ? « Dans l’affaire de Laetitia, le présumé coupable a été arrêté », a-t- il d’abord déclaré avant de répéter : « Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute  ».
 
Ce n’est pas un lapsus de sa part, puisqu’il parle par deux fois du suspect comme du « présumé coupable ». Mieux, il a pris soin juste avant de signaler qu’il pesait ses mots : « Il y a toujours eu et il y aura toujours des détraqués dont le comportement est monstrueux, a-t-il commencé par souligner. Je dis monstre, parlant du cas de Laetitia parce que je crois qu’il y a un moment où il faut employer les mots qui correspondent aux situations  ».
 
Les mots « présumé coupable  » correspondent-ils en démocratie à la situation et à la fonction de celui qui les prononce ? En démocratie, quelle que soit l’horreur du crime dont un suspect est accusé, il reste « présumé innocent  » jusqu’à ce qu’un tribunal le déclare coupable.
 
Le président de la République sait que ses interlocuteurs et, au-delà d’eux, une large part de son électorat n’entrent pas dans ses finasseries et applaudiront. A-t-on entendu dans les médias la moindre protestation ? Une démocratie pourtant se reconnaît, entre autres principes, par le respect du « présumé innocent  ». Quand, au contraire, un suspect est traité en « présumé coupable  », on est en tyrannie. Le président Sarkozy qui promet des sanctions contre ceux qui ont laissé sans suivi « le présumé coupable  », n’est-il pas lui-même suspect d’avoir violé ouvertement la Constitution française dont il est le gardien, en portant atteinte à la présomption d’innocence du suspect ? Paul Villach
 
(1) Paul Villach,
- « La présomption d’innocence maltraitée par les médias de masse, » AgoraVox, 7 mars 2008.
- « La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias  ». AgoraVox, 22 avril 2009, et in « L’heure des infos, l’information et ses leurres  », Éditions Golias, 2009/
 
(2) France Inter, « Journal de 13 heures », 3.02.2011.
Le Président de la République s’exprimant devant des gendarmes et des policiers au commissariat central à Orléans :
« Il y a toujours eu et il y aura toujours des détraqués dont le comportement est monstrueux. Je dis monstre, parlant du cas de Laetitia parce que je crois qu’il y a un moment où il faut employer les mots qui correspondent aux situations.
Dans l’affaire de Laetitia, le présumé coupable a été arrêté. Des charges très lourdes pèsent contre lui, très lourdes. Mais il y a eu un certain nombre de dysfonctionnements graves ? Ces dysfonctionnements, j’ai demandé aux deux ministres, Michel Mercier, Brice Hortefeux, de les sanctionner.
Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute ! Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute, seront sanctionnés. »

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