Le procès de Fariba Adelkhah et de Roland Marchal va s’ouvrir en Iran

par Alain Roumestand
vendredi 28 février 2020

Le procès de Fariba Adelkhah et Roland Marchal doit s'ouvrir le 3 mars à Téhéran. Ils sont poursuivis par l'état islamique d'Iran pour "propagande contre le système politique de la République islamique" et pour collusion en vue d'attenter à la sûreté générale". L'accusation d'espionnage a disparu. De manière incompréhensible l'autorité judiciaire iranienne aurait d'ores et déjà indiqué qu'ils avaient été jugés, condamnés et qu'ils purgeaient leurs peines ! Comprenne qui pourra !

Les 2 enseignants chercheurs du CEntre de Recherches Internationales de Sciences Po Paris (CERI) sont détenus en Iran depuis le mois de juin 2019. Le 25 juin 2019 la France apprenait la disparition des 2 chercheurs, le 15 juillet leur arrestation et jusqu'à la mi-octobre leurs noms n'étaient pas divulgués.

Leurs collègues du CERI le disent :" le CERI ne sera pas lui-même tant qu'ils ne seront pas de retour". Le CERI qui n'a jamais connu une telle épreuve.

Un colloque a été organisé en soutien de Fariba Adelkhah et Roland Marchal : "Captifs sans motif : figures contemporaines du prisonnier et de l'otage". Ce colloque souhaitait "contribuer à la mobilisation en faveur de leur libération, en sensibilisant aux divers enjeux que soulève leur détention" et il entendait "nourrir la réflexion sur les prisonniers et les otages d'un point de vue politique, juridique et éthique".

A la date du colloque, l'inquiétude était très vive après 241 jours de détention. Le 24 décembre 2019 Fariba Adelkhah avait entamé une grève de la faim, affaiblie par sa détention en quartier de sécurité tenu par les pasdarans iraniens, puis prisonnière avec des co-détenues de droit commun. Cette grève de la faim a cessé 2 mois après. Et actuellement Fariba Adelkhah est hospitalisée à la prison d'Evin.

Roland Marchal son compagnon avait été arrêté à son arrivée , venu en touriste, à Téhéran ; lui aussi détenu avec l'accusation d'atteinte à la sûreté nationale. Il avait participé à d'autres voyages en Iran et il avait invité des experts iraniens en France.

L'un comme l'autre ont un état détérioré et instable, elle, ayant du mal à rester en équilibre, lui, confronté à des problèmes de santé importants et psychologiquement très affaibli.

Roland Marchal est un spécialiste de la Corne de l'Afrique, de la Somalie, du Sahel, habitué des terrains difficiles. Fariba Adelkhah, chercheuse franco-iranienne, est, quant à elle, spécialiste de l'Iran et de l'Afghanistan. Ses publications sont en français, en anglais, en farsi pour être comprise des iraniens

 
Les 2 ont mené maints travaux de recherche. Alors que les libertés académiques et scientifiques existent dans les pays démocratiques, c'est véritablement l'obscurantisme qui s'est abattu sur les 2 chercheurs, captifs sans motif .
 
Leur détention pose un problème grave. En effet dans le monde existe un véritable vivier de prisonniers chercheurs,de prisonniers scientifiques, qui peuvent être utilisés à n'importe quel moment pour des raisons politiques.

On se rappellera, cas emblématique, Michel Seurat, spécialiste du Moyen-Orient, mort en détention après enlèvement. On se rappellera un jeune doctorant italien torturé en Egypte. Objet de sa thèse : l'opposition syndicale ! On se rappellera aussi un jeune chercheur anglais arrêté aux Emirats Arabes Unis.

Tous les chercheurs en véritables hommes de terrain, mènent des études indispensables au plus près des réalités, souvent contre les mensonges d'état.

La sécurité des journalistes préoccupe les autorités internationales qui la prennent en charge mais la sécurité des scientifiques semble en déshérence. On peut même voir des politiques qui proposent, sans vergogne, aux chercheurs de mener leurs travaux par l'intermédiaire de skype ou grâce à internet, sans se déplacer !

Un article de la Déclaration internationale des droits de l'homme marque pourtant l'importance de la recherche scientifique au travers du droit de "consommer", au sens noble du terme, les résultats de la science, en affirmant la liberté scientifique, la coopération internationale, la liberté d'expression sur la publication des travaux et la liberté de mouvement des chercheurs avec l'obtention de visas.

Dans le cas de Fariba Adelkhah et Roland Marchal, l'analyse de la situation de l'Iran peut apporter une amorce d'explication à leur incarcération : les gardiens de la révolution, les pasdarans qui les ont arrêtés et les détiennent à première vue, interfèrent avec les institutions iraniennes dont l'institution judiciaire.

Ils forment une avant-garde de la révolution islamique qui s'est fait connaitre du monde entier en novembre 1979, lors de la prise d'otages du personnel de l'ambassade des U.S.A. à Téhéran, qui durera pendant 444 jours en violation de toutes les règles internationales, rendant même furieux l'ayatollah Khomeiny guide suprême de la révolution.

Pendant la guerre Iran -Irak les pasdarans ont joué le rôle de supplétifs auprès des militaires engagés. Ils sont devenus au fil du temps de plus en plus autonomes. Après la guerre, démobilisés, le président Rafsanjani les a utilisés pour la reconstruction économique et pour l'administration du pays. Leur service de renseignement passe aujourd'hui pour quasiment autonome et il peut s'opposer au ministère national des renseignements.

L'arrestation des 2 chercheurs présente un effet d'aubaine après les sanctions du gouvernement américain prises contre l'Iran et la dénonciation par les U.S.A. de l'accord nucléaire : 2 chercheurs français athées, Fariba Adelkhah parlant la langue du pays, sont particulièrement intéressants. La grande connaissance de Fariba Adelkhah sur le droit islamique, les théologiens de l'islam, sa familiarité de connaissance sur le régime, inquiètent et dérangent les pasdarans.

La crise économique actuelle entraine un désarroi, un désespoir et une radicalisation dans une partie de la population. Cependant la stratégie des pasdarans est contestée ; l'affaire de l'avion de ligne abattu "par erreur", en porte témoignage ; le président Hassan Rohani lui-même a été excédé par cette énormité. Les pasdarans rencontrent l'hostilité d'une partie de la population avec les risques inhérents sur la société.

Ne parlant pas de langues étrangères, les gardiens de la révolution se replient sur l'Iran, ne veulent pas entendre parler de coopération et encore moins de coopération universitaire. Même si chez les pasdarans il y a aussi des partisans d'un état indépendant mais avec la coopération internationale.

Alors une seule question se pose : comment agir face à une telle situation, pour faire libérer les 2 chercheurs ? .

Rendez- vous le 3 mars et les jours suivants ?


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