Le revers de la gratuité

par Martin Lucas
jeudi 17 janvier 2008

Ces dernières années ont été marquées par une expansion sans précédent du « gratuit ». Journaux gratuits, sites gratuits, musique gratuite, voiture gratuite (financée par la pub), téléphonie gratuite (bientôt le « google phone »), il semble aujourd’hui possible de vivre au quotidien sans débourser un rond, et ce, grâce à la publicité !

La publicité, une manne semble-t-il colossale et inépuisable (au niveau mondial, elle dépasse le budget de l’éducation avec 1 000 milliards de dollars annuels) au point que sa disparition probable des chaînes publiques provoque une réaction inattendue dans les rangs de la gauche "modérée" qui considère qu’il s’agit-là de "cadeaux aux amis". On l’aura compris, cette gauche-là a trouvé refuge du petit côté de la lorgnette.
En parallèle, nous subissons comme une lame de fond l’augmentation régulière des prix à la consommation, augmentation que plus personne ne songe à nier (encore 2,6 % entre 2006 et 2007).
Les salaires suivent-ils la même progression ? A lire cet article du Figaro, même si pour les salariés à temps plein il a effectivement augmenté, de 0,5 % par an (insuffisants pour rattraper la progression des prix), le revenu de tous les salariés, temps partiel compris, a bien baissé de 0,1 % par an entre 2000 et 2005.


L’augmentation des prix serait due, selon le discours ambiant, à une augmentation du prix des matières premières. On ne saurait nier la pression venant des matières premières, mais on oublie souvent que celles-ci forment tout au plus 5 ou 10 % du prix de revient d’un produit manufacturé ou préparé. Le coût du travail, lui, n’a que peu augmenté en France en comparaison d’autres pays européens, si l’on regarde ce graphique.
L’augmentation des prix ne trouve donc pas sa source dans le coût du travail, ni dans celui des matières premières. L’augmentation permanente des dividendes des actionnaires est un fait aquis, mais n’est qu’un facteur de la crise.

Et si la hausse des prix était tout simplement destinée à financer ces services dits gratuits dont l’offre grandit de jour en jour ?
Nous serions alors les victimes d’un véritable hold-up quotidien, destiné à nous faire payer des services que nous n’avons même pas demandés. Que diriez-vous si une étiquette vous prévenait de la répartition du prix, entre budget publicitaire, main-d’oeuvre, matière première, dividendes ?
Que diriez-vous de savoir quels sont les services que vous payez, par le biais d’un paquet de pâtes, d’une paire de chaussures ou d’une lessive, produits qui pèsent peut-être lourd dans votre budget, à vous, qui n’allez pas sur des sites de musique en ligne, qui ne vous informez pas sur les journaux gratuits, qui ne regardez pas la télé ?
Comment appelleriez-vous une pratique qui consiste à vous vendre deux produits à la fois, alors que vous ne voulez qu’un seul des deux ?
On appelle cela de la vente liée, et c’est interdit par la loi.

Est-il possible actuellement d’intenter une action en justice contre un fabricant de chaussures ou de desserts industriels, au motif qu’on n’a pas demandé à payer la retransmission d’un match de foot sur TF1, pas plus qu’on n’a demandé à financer les tonnes de papier qui jonchent le sol des entrées de métro ?
Voilà qui changerait singulièrement la donne, dans notre monde si "gratuit" !


Lire l'article complet, et les commentaires