Le RIP impossible à appliquer avant un an pour annuler la loi sur la réforme des retraites

par Daniel MARTIN
lundi 17 avril 2023

185 parlementaires sur 925 que comporte le parlement (577 député(e)s et 342 sénatrices-sénateurs) peuvent provoquer un référendum, avec le soutien d'une partie des électeurs, sans passer par un vote majoritaire au Parlement. Pour cela, il est nécessaire de recueillir le soutien de 10% du corps électoral (soit 4,87 millions de signatures environ). À ce jour, aucun RIP n'a pu être organisé.

Quelques rappels pour la mise en œuvre de la procédure, telle qu’elle est prévue par la Constitution ?

Les modalités de mise en œuvre du référendum d’initiative partagé (RIP) sont fixées par les articles 11 et 61 de la Constitution modifiés par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, la loi organique n° 2013-1114 et la loi n° 2013-1116 du 6 décembre 2013 portant application de l'article 11 de la Constitution, ainsi que le décret n° 2014-1488 du 11 décembre 2014 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé : « Soutien d'une proposition de loi au titre du troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution ».

Le principe du référendum d’initiative partagé (RIP) ou citoyen (RIC) est une histoire ancienne

Condorcet (1743-1794) ouvertement républicain et l’un des acteurs important de la révolution Française, il siégea comme représentant de Paris au sein de l’assemblée législative en 1791 avec les Girondins, espérait que la révolution conduise à la reconstruction rationaliste de la société et avait théorisé des formes de contrôle citoyen et de pétition populaire.

Ce qui explique probablement que dans l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 il est écrit : «  La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Il est donc bien précisé que « Les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à la formation de la loi  » Or par son préambule, la déclaration des droits de l’homme de 1789 fait partie intégrante de notre constitution qui est l’organe supérieur du Droit Français.

Le RIP qui est à la fois l’expression directe des citoyens et celle et leurs représentants que sont les parlementaires figure dans l’article 11 de la Constitution ainsi rédigé : 

« Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat.

Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.

Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.

Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation. »

Nota : La loi organique n°2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution et prévue à l’article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, entrera en vigueur le 1er janvier 2015 en vertu de son article 10 disposant que : " La présente loi organique entre en vigueur le premier jour du treizième mois suivant celui de sa promulgation."

Dans le même ordre d’idée, l’article 61 de la Constitution indique :

« Les lois organiques, avant leur promulgation, les propositions de loi mentionnées à l’article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution.

Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs.

Dans les cas prévus aux deux alinéas précédents, le Conseil constitutionnel doit statuer dans le délai d'un mois. Toutefois, à la demande du Gouvernement, s'il y a urgence, ce délai est ramené à huit jours.

Dans ces mêmes cas, la saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation ».

Le processus pouvant conduire à l’organisation d’un référendum d’initiative partagée (RIP) est le suivant :

Une proposition de loi référendaire doit être déposée par au moins un cinquième des membres du Parlement (soit au moins 185 députés et/ou sénateurs sur un total de 925). Le Conseil constitutionnel dispose d'un mois à compter de la transmission pour vérifier qu’elle est bien présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement et que l’objet de la proposition de loi respecte les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l'article 11 de la Constitution, c'est-à-dire que la proposition porte sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions. Il vérifie aussi que la proposition de loi n’a pas pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. ne porte pas sur le même sujet qu’une proposition de loi rejetée par référendum il y a moins de deux ans. Qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution (vérification faite en application de l'article 61 de la constitution).

Si ces conditions sont remplies, le Conseil constitutionnel précise dans sa décision le nombre de soutiens d'électeurs à atteindre (correspondant à un dixième des électeurs inscrits).

Le ministre de l'intérieur met ensuite en œuvre, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, le recueil des soutiens.

Une fois que la proposition de loi a été jugée conforme aux règles d’organisation d’un référendum par le Conseil constitutionnel, la période de recueil des soutiens est ouverte pour une durée de 9 mois. Si le seuil des 10% d’électeurs est atteint, chacune des assemblées dispose d’un délai de six mois pour examiner la proposition de loi soumise au RIP (ce délai est suspendu entre deux sessions ordinaires). Si la proposition de loi n’a pas été examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat) dans un délai de six mois à compter de la publication au Journal Officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant que le seuil des 10 % d'électeurs est atteint, le président de la République la soumet au référendum. https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/38683-le-referendum-dinitiative-partagee-rip

La loi n° 2013-1116 du 6 décembre 2013 prévoit des sanctions pénales en cas notamment d'enregistrement frauduleux de soutiens à des propositions de loi référendaires, de soustraction ou d'altération de données collectées et de reproduction de ces mêmes données.

Tout citoyen français inscrit sur la liste électorale de sa commune ou de son consulat peut soutenir une proposition de loi par référendum d’initiative partagé (RIP), selon trois modalités, telles qu’elles sont prévues par la loi organique :

1- L’électeur dépose par ses propres moyens (ex : ordinateur, smartphone, tablette, etc.) son soutien à la proposition de loi référendaire sur le site internet dédié (https://www.referendum.interieur.gouv.fr/ )

2- L’électeur dépose son soutien à la proposition de loi référendaire sur le site internet dédié via des points d’accès situés dans la commune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d’une circonscription administrative équivalente et dans les consulats ;

3- L’électeur fait enregistrer électroniquement son soutien présenté sur papier par un agent de la commune la plus peuplée de chaque canton ou par un agent du consulat.

En promulguant la loi sur la réforme des retraites immédiatement le jour même de la décision favorable du Conseil Constitutionnel, Emmanuel Macron rend impossible le RIP annulant la loi de cette réforme pendant un an

Si on considère qu’une proposition de loi faisant l’objet d’un RIP pour l’abrogation d’une disposition législative n’est pas possible pour une loi promulguée depuis moins d’un an, il ne faut pas s’étonner de l’empressement mis par le président de la république Emmanuel Macron de promulguer aussi rapidement sa loi sur la réforme des retraites.

Si on considère également le « parcours du combattant » pour organiser le RIP dans un an afin d’annuler la loi sur la réforme des retraites, vu les différents délais et alors que la tension aura baissé, même si le quota exigé de 185 parlementaires était atteint, recueillir près de 5 millions de signatures relèverait très probablement de l’impossible. Seule une nouvelle majorité à l’assemblée au parlement pourrait revenir sur l’âge de départ et trouver, si nécessaire, des financements extérieurs au budget de l’État. Mais pour cela il faudrait de nouvelles élections et il n’est pas certain que se dégagerait une majorité de députés pour abroger la loi sur la réforme des retraites actuelle.

Pour conclure

Sous couvert d’améliorer la démocratie avec l’instauration du RIP dans la Constitution en son article 11, conformément à l’esprit de l’article 6 des droits de l’homme de 1789 figurant en préambule, mais, par les conditions et les délais imposés, il s’agit plus d’un leurre que d’un meilleur accès à la démocratie participative de la part des citoyens de ce pays. Autant il convient d’être très prudent avec l’usage du référendum, qu’il soit d’initiative citoyenne ou partagé, car il pourrait permettre de modifier la Constitution pour imposer des mesures contraires à la démocratie, restreindre les libertés avec les pires mesures, telles que la remise en cause de l’avortement, le rétablissement de la peine de mort après avoir voté la sortie de l’UE, l’abrogation de la loi de la laïcité… Tout en maintenant le nombre actuel de parlementaires, plutôt que d’imposer 10 % des inscrits, ne serait-il pas souhaitable de ramener ce nombre à une donnée fixe qui serait par exemple de 3,5 millions de citoyens tout en se dotant d’« un garde fou ». Par exemple, en redéfinissant les conditions dans lesquelles un RIP peut être organisé ?

 


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