Le Sabre et le Goupillon

par Jacques-Robert SIMON
mercredi 22 mars 2023

Les politiques menées ces cinquante dernières années permirent de ne pas mourir plutôt que de vivre. Les décisions prises ne furent pas souvent mauvaises mais constamment désastreuses.

Les plus nobles esprits, les experts les plus chevronnés, les politiciens les plus habiles, ont conduit les peuples vers de nouveaux rêves de grandeur alors qu’une guerre barbare venait de s’achever. Les conquêtes coloniales s’effilochèrent rapidement, il fallait dominer autrement. Dieu aussi était mort, il lui fallait un remplaçant.

Toute entité qui veut dominer doit se munir d’un sabre et d’un goupillon. Le goupillon laisse entrevoir un paradis qu’il faut mériter. Le sabre permet de faire rentrer dans le rang les récalcitrants. Comment s’y prendre sans sacré et sans forces militaires ?

L’Europe discréditée par les atrocités commises en son sein devait déléguer la force à un frère : ce seront les Etats-Unis d’Amérique. Le « Tu ne tueras point » chrétien pouvait d’expérience être aménagé. Montaillou, village occitan, l’a expérimenté. Des délires œcuméniques ont conduit les représentants terrestres de Dieu à des exactions sans nom dans toutes les maisons, toutes les familles. Toutefois le massacre de My Lai 600 ans plus tard n’a rien à envier aux atrocités passées. Il ne s’agit pas d’erreurs pouvant être corrigées, l’instinct de domination conduit inévitablement à de telles exactions. Est-il nécessaire d’égrener toutes les barbaries commises lors du millénaire de domination chrétienne ou du siècle d’impérialisme américain ? Il est impossible de borner le désir de conquête par un cadre législatif, tôt ou tard des « terroristes » commettront l’inacceptable et il faudra répondre aux coups portés.

Les chars les plus modernes, les avions les plus sophistiqués, les bataillons les mieux armés sont donc disponibles, encore faut-il que les Hommes aient la volonté de se battre, il faut donc trouver un nouveau goupillon puisque Dieu est déjà mort ou du moins mourant.

Le divin a pour fonction de faire accepter à tous, ou à la plupart, un arbitraire donné. Celui-ci doit être inaccessible aux humains, incompréhensible et par là même puissant. Dieu était parfait à cet égard : personne ne l’avait vu, personne ne le connaissait, mais tous croyaient en lui (hors les mécréants qu’il convenait de neutraliser). Dieu ou la Nature ou l’Amour : comment faire mieux ou au moins aussi bien ? On ne les créa pas mais on les transforma en dieux, ce furent les marchés. Une poignée d’individus sans qualités particulières s’activent à l’abri des regards pour amasser le plus de gains possibles en ferraillant sur leurs ordinateurs. Leur motivation est universelle puisqu’il s’agit de la cupidité. Mais qu’importe les raisons, ce qui compte c’est le résultat : pas un échange, pas une transaction, pas un soupir n’échappent à leur contrôle. Personne ne pourrait vous expliquer le pourquoi et le comment de ce qu’ils font, mais leur arbitraire est devenu indiscutable et indiscuté. Si le mode opératoire des marchés est par essence insignifiant, vouloir leur échapper est parfaitement suicidaire. Le dieu-marché permet de produire à profusion, grâce aux jeux des spéculations, à peu près tout ce qui ne sert à rien mais qui contente les foules. On abandonne un très incertain paradis pour, si on le souhaite, de très réelles extases chimiques.

En s’écartant quelque peu de la domination, une autre route pourrait être suivie en éparpillant les centres de décision vers les gens les plus compétents ou les plus demandeurs. Pour la fourniture d’énergie par exemple, l’Europe pourrait se concentrer sur l’énergie nucléaire, l’Afrique sur le photovoltaïque et les énergies fossiles seraient laissées à ceux que cela intéresse. Les migrations de population pourraient être régulées par les travailleurs eux-mêmes à travers les centrales syndicales représentatives. Les problèmes sociétaux qui submergent de nos jours les esprits pourraient être confiés au Conseil économique et social hors jeux électoraux. L’accès aux Grandes écoles pourraient être réservé aux élèves de l’enseignement public non confessionnel. Un service civique et militaire obligatoire pourrait être organisé pour animer des groupes d’auto-défense…

Mais peut-on désobéir aux dieux.

 


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