Le Siècle : lieu de puissance ou sujet de fantasme ?

par Fergus
jeudi 10 octobre 2024

Le 27 septembre 2024 s’est tenu le 853e dîner du Siècle dans le cadre du très sélect Cercle de l’Union interalliée. Le nouveau ministre Jean-Noël Barrot, les journalistes François Lenglet et David Pujadas, les industriels Maxime Saada et Carlos Tavares étaient présents à ce raout. Qui d’autre ? Aucun média ne s’en est fait l’écho à ce jour, et cela n’a pas d’importance tant il y a de sujets graves dans l’actualité. Le Siècle n’en continue pas moins d’alimenter les fantasmes...

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Photo Cercle interallié

Si l’on en croit nombre d’intervenants qui s’expriment sur les réseaux sociaux, être membre du Siècle caractériserait une allégeance aux idéologies réactionnaires et conservatrices de la droite républicaine. Ce serait donc une tache sur le pedigree des personnalités de gauche qui s’y afficheraient, une faute rédhibitoire qui leur ôterait toute légitimité à s’exprimer au nom du peuple. Le Siècle serait-il une sulfureuse confrérie de naufrageurs des droits sociaux ? Une coterie soumise au diktat d’une pensée unique oligarchique résolument tournée vers la quête effrénée de profits et par conséquent hostile aux intérêts des classes populaires ? En réalité, rien de tout cela...

Fondé en 1944 par un journaliste franc-maçon, le « rad-soc  » Georges Bérard-Quélin, Le Siècle est un puissant club dont les membres appartiennent tous, à des titres divers, aux élites de la société française. Parmi ses membres figurent, sans coloration politique dominante, des dirigeants d’entreprise, des financiers, des hauts fonctionnaires, des journalistes, des personnalités politiques – y compris des communistes depuis 1981 –, ainsi que des avocats, des intellectuels, des syndicalistes ou des universitaires. Au 1er janvier 2020, Le Siècle comptait 566 membres et 161 invités, ces derniers (admis sur la base d’un double parrainage) en attente d’être cooptés comme membres à part entière ou remerciés après un temps de probation d’au moins quelques mois.

Le Siècle est actuellement présidé par le diplomate Pierre Sellal (également président de la Fondation de France). Il réunit dix fois par an membres et invités pour un dîner au Cercle de l’Union interalliée* (à 300 m du palais de l’Élysée). Les participants y échangent sur des thèmes préalablement définis. Peut-on affirmer pour autant, comme on peut le lire ici et là, que ce club est un « think tank » ? À l’évidence non, car ce vocable désigne une force de proposition agissant en direction des responsables politiques, à l’image de Terra Nova et l’Institut Montaigne, de centre-gauche, ou de Fondapol et l’Ifrap, d’essence néolibérale. Le Siècle ne produisant pas de travaux structurés et formalisés dans des documents de référence ne peut donc en aucun cas être assimilé à un think tank.

Il n’y a en effet rien à attendre de ces dîners en termes de pistes d’action opérationnelle, tant au plan politique qu’au plan entrepreneurial. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne puisse pas surgir ici et là des éléments de réflexion pertinents sur l’état de la société ou de la conjoncture économique, sans oublier l’influence du contexte géopolitique sur la gouvernance de notre pays et la conduite des affaires. En réalité, il semble que l’on réfléchisse beaucoup dans les luxueux salons du Cercle de l’Union Interalliée, mais de manière plus ou moins évanescente, encore que telle ou telle idée en germe puisse nourrir les réflexions ultérieures de quelques participants.

Régulièrement, l’on s’étonne de voir qu’un tel club puisse compter des personnalités de gauche. Il n’y a pourtant rien de surprenant : comme leurs homologues de droite, ces gens-là savent à quel point les réseaux jouent un rôle important, non seulement pour booster leur carrière, mais également pour donner un coup de pouce à des actions dont ils ont la charge ou à des projets qu’ils mûrissent. De fait, beaucoup sont là pour, de manière informelle, jeter les bases de futurs « renvois d’ascenseur ». Le Siècle est en outre le lieu idéal pour percevoir l’évolution de l’état d’esprit des grands dirigeants français dans un contexte planétaire en constante évolution, et cela constitue un atout non négligeable dans l’élaboration de leur stratégie politique.

Une chose est sûre : Le Siècle n’est pas, comme cela est régulièrement fantasmé sur les réseaux sociaux, un lieu de complot des oligarques réunis, tous prétendument déterminés à relayer les décisions du Groupe Bilderberg au détriment des classes populaires et moyennes. Il y a bel et bien des membres de Bilderberg au sein de ce club, mais ils sont là pour la même raison que leurs compagnons de club : participer, dans un entre-soi caractéristique de la grande bourgeoisie – tous profils confondus –, à l’un des dîners mondains les plus chics et les plus fermés du pays. Bref, pas grand-chose à voir avec les Nouveaux chiens de garde décrits par Serge Halimi dans son essai de 2007, remarquablement adapté au cinéma en 2012 par les réalisateurs Gilles Balbastre et Yannick Kergoat.

Certes, les collusions dénoncées par l’essayiste et les cinéastes entre les milieux patronaux, politiques et médiatiques, voire syndicaux, existent réellement, mais les dîners en question n’en sont qu’une vitrine (volontairement opaque). Le Siècle n’est en définitive qu’une sorte de pince-fesse distingué, la réunion d’hommes et de femmes qui aspirent – hors de toute finalité de complot oligarchique –, à être reconnus au sein de l’élite nationale et, à toutes fins utiles, à ajouter quelques noms influents à leur carnet d’adresses. Un club d’orgueilleux et de carriéristes qui ont besoin des lambris dorés et du spectacle des rosettes accrochées au veston ou au tailleur des convives pour se sentir exister pleinement au sein des instances dirigeantes de la nation. Cela peut paraître pathétique, mais c’est trivialement humain.

Jusqu’en 2013, ces dîners avaient lieu au sein de l’Automobile Club de France dans les salons du prestigieux Hôtel de Crillon, place de la Concorde.


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