Le spleen d’un immigrant du numérique

par Guillaume Narvic
jeudi 13 mars 2008

J’appartiens à cette génération inquiète des « immigrants du numérique », celle de la transition. Une génération fin de règne, une génération fin de race, qui a aujourd’hui la quarantaine...

Notre héritage est dévalué et nous n’avons rien à transmettre. Il nous faut tout réapprendre... J’envie l’insouciance de ces « natifs » du monde qui arrivent, sans complexes ni censures, enthousiastes et sans préventions. Alors que nous sommes voués à l’inquiétude, sommés de faire en nous sans cesse le tri entre ce qui sert encore et ce qui ne vaut plus rien...

Pour un "immigrant du numérique" comme je le suis, qui a connu "le monde d’avant", sans ordinateurs, sans portable et sans internet, et s’initie peu à peu à celui qui arrive, tout a déjà changé en quelques années, tout est à réapprendre.

Le moment éphémère de la transition

Cette obligation de remise en cause me vient à un âge (la quarantaine) où j’ai déjà "pris des plis". Certains se révèlent être de mauvais plis et je dois les repasser. D’autres sont un capital d’expérience, qui peut être très utile en certaines circonstances. Le problème est que je ne sais pas d’avance lesquels... Je marche à tâtons sur des sables mouvants, contraint à l’auto-analyse et à l’introspection permanentes, sommé de faire sans cesse le tri au sein de moi-même.

Certains sont très mal à l’aise de ce nouvel état d’incertitude. Ils peinent à se mettre à jour et parfois même y résistent. Cette incertitude n’est pas rassurante, elle produit de l’inquiétude. Et c’est assez naturel.

Les "natifs" du numérique ne connaissent pas ces difficultés et ils n’ont guère de motif d’éprouver la même inquiétude. J’envie leur insouciance face à la nouveauté et j’ai le sentiment que ce monde à venir est plus facile à vivre quand on le prend ainsi. Mais moi, je ne peux pas. Je suis condamné à l’inquiétude...

Une génération qui n’a rien à transmettre

Je resterai donc un immigrant du numérique... J’appartiens définitivement à ce moment éphémère et provisoire de la génération de la transition. Je sais ce que l’on perd et j’ignore encore ce que l’on gagne...

J’appartiens à cette génération qui n’aura guère de choses à transmettre. Ce que nous avons reçu est largement périmé. Notre héritage est dévalué. Et notre propre "acquis" n’est guère utile à la génération suivante, qui n’a aucune transition à gérer, puisqu’elle est née de plain-pied dans le monde qui arrive.

Génération fin de règne, génération fin de race...

Le pire n’est jamais sûr

Elle doit nous regarder mi-étonnée, mi-amusée, la génération native du numérique, en nous voyant nous débattre dans des difficultés étranges, qui lui échappent...

Nous pestons contre l’envahissement du marketing, la dictature de l’instant, l’effacement de la frontière entre le privé et le public, l’exploitation des données personnelles à des fins commerciales, les dangers de Big Brother... Nous protestons contre la volatilité, l’instabilité, le règne du buzz, du futile et de l’éphémère... Nous craignons pour notre liberté, notre intégrité, notre identité même... Quand les "natifs du numérique" baignent dans ce monde avec aisance et insouciance comme des poissons dans l’eau.

Ils sont connectés de partout, en permanence et en tous sens. Ils jonglent avec dextérité de matériel en logiciel, toujours un oeil sur un écran, toujours en veille... Alors que nous sommes patauds et maladroits, jamais assez attentifs, jamais assez disponibles... et souvent fatigués de cette tension permanente qu’impose en nous cette transition.

Ils se ruent avec enthousiasme sur les blogs et les réseaux sociaux, et s’y livrent sans censure ni complexes, quand nous avançons prudemment, en nous dévoilant au compte-goutte et avec réticence... Ils ne s’embarrassent pas de nos pudeurs de vieilles filles, et ils s’en sortent, pour le moment, bien mieux que nous !

C’est que nos préventions ne s’appuient finalement que sur des menaces virtuelles et le pire que nous redoutons n’est toujours pas arrivé. Le pire de Big Brother nous est annoncé par Orwell depuis 1948... 1984 est passé depuis longtemps, et ça ne va pas si mal... finalement...

Penser en surfant, réfléchir en ligne

Y a-t-il au bout du compte meilleure solution que de prendre sur soi, en continuant son chemin, porteur d’une insondable mélancolie du futur ? Chacun sa chimère...

Réfléchir, évaluer, s’adapter, en restant connecté avec l’avenir... Penser en surfant, réfléchir en ligne... C’est ce que je fais ici, à l’instant... Vous pouvez le faire avec moi...


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