Le TCE était-il un texte démocratique ?

par julie
mardi 20 mars 2007

Commençons par le commencement. S’agissait-il d’une Constitution ou d’un traité ?

Commençons par le commencement. S’agissait-il d’une Constitution ou d’un traité ?

Une Constitution est un contrat passé entre les hommes et leurs gouvernants. (Ce n’est donc pas un traité entre Etats, et encore moins entre parlementaires !) C’est parce qu’ils ont signé ce pacte que les hommes acceptent d’obéir aux lois. C’est par ce pacte que l’autorité trouve sa légitimité. Le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) est exécutoire sans limitation de durée, il s’impose sur presque tous les sujets essentiels à la vie des gens, sa force juridique est supérieure à toutes nos normes nationales. Le projet de TCE est donc, par nature, une Constitution, il fixe "le droit du droit". De plus, la primauté du droit européen, même d’un simple règlement, sur l’ensemble du droit des États membres, même sur leur Constitution, est fortement démontrée par plusieurs professeurs d’université qui

tempêtent évidemment contre ce séisme juridique sciemment sous-évalué par le Conseil constitutionnel

Tout texte fondamental qui définit ou modifie les pouvoirs des institutions devrait donc respecter ces principes, quelle que soit sa dénomination officielle.

Premier principe de droit constitutionnel : une Constitution est un texte lisible.

Une constitution doit être acceptée, directement, par le peuple qui s’y soumet. Pour que cette acceptation ait un sens, il faut que le texte soit lisible par le peuple, celui qui va signer (et pas seulement par des experts). De ce point de vue, le "traité constitutionnel" est long et complexe : 485 pages A4, soit presque une ramette. Cette longueur, unique au monde pour une Constitution, se double d’une multiplicité de renvois qui la rendent simplement illisible pour les citoyens de "base". (Même pour ceux de meilleure volonté) Est-ce qu’on peut parler de lisibilité ? A se demander si, à l’exemple de nos députés, qui ne semblent pas, pour un grand nombre d’entre eux, avoir lu complètement le TCE, les autres députés, d’Europe, n’en ont pas fait autant, pour donner d’aussi rapides "oui") Il faut évidemment lire et comprendre ce que l’on signe. Ou bien, on refuse de signer. Cette longueur est, par elle-même, non démocratique : le débat est réservé aux experts. Une Constitution est la loi fondamentale, elle est "le droit du droit", elle doit pouvoir être lue par tous, pour être approuvée ou rejetée en connaissance de cause.

Deuxième principe de droit constitutionnel : une Constitution n’impose pas une politique ou une autre (ou alors, on est en URSS).

Elle permet le débat politique sans en imposer l’issue. Une Constitution démocratique n’est pas de droite ou de gauche, elle n’est pas socialiste ou libérale, une Constitution n’est pas partisane : elle rend possible le débat politique, elle est au-dessus du débat politique. À l’inverse, le TCE, en plus de fixer la règle du jeu politique, voudrait fixer le jeu lui-même ! En imposant dans toutes ses parties (I, II et surtout III) des contraintes et références libérales, ce texte n’est pas neutre politiquement. C’est une sorte de hold-up sur l’alternance des politiques économiques.

Troisième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique est révisable.

Tous les peuples du monde vivant en démocratie peuvent réviser leur pacte de gouvernement. Nous en avons la preuve vivante avec la France, non ? Le projet de TCE est beaucoup trop difficilement révisable : pour changer une virgule à ce texte, il faut d’abord l’unanimité des gouvernements pour tomber d’accord sur un projet de révision, puis il faut l’unanimité des peuples (référendums) pour le ratifier (Ou alors... Il faut faire la révolution...ou mettre le Pen au pouvoir. Quels choix, n’est ce pas ?

Quatrième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique garantit contre l’arbitraire en assurant à la fois la séparation des pouvoirs et le contrôle des pouvoirs.

L’esprit des lois décrit par Montesquieu est sans doute la meilleure idée de toute l’histoire de l’Humanité : tous les pouvoirs tendent naturellement, mécaniquement, à l’abus de pouvoir. Il est donc essentiel, pour protéger les humains contre la tyrannie, d’abord de séparer les pouvoirs, et ensuite d’organiser le contrôle des pouvoirs : pas de confusion des pouvoirs,

et pas de pouvoir sans contre-pouvoirs. Ainsi le peuple dit : « Toi, le Parlement, tu fais les lois, mais tu ne les exécutes pas. Et toi, le Gouvernement, tu exécutes les lois, mais tu ne peux pas les écrire toi-même. » Ainsi, aucun pouvoir n’a, à lui seul, les moyens d’imposer sa volonté. Ceci est essentiel. « D’autre part, si l’un des pouvoirs estime que l’autre a un comportement inacceptable, il peut le révoquer : l’Assemblée peut renverser le gouvernement, et le gouvernement peut dissoudre l’Assemblée. Dans les deux cas, on en appelle alors à l’arbitrage (élection) du peuple qui doit rester la source unique de tous les pouvoirs. » Il faut que chaque pouvoir ait à rendre des comptes et se sache contrôlé à tout moment. Ceci est également essentiel. C’est peut-être ça, la meilleure idée du monde, celle qui libère de la crainte d’un despote.

Même dans le cadre moderne d’une union d’États, on ne voit pas pourquoi ces principes protecteurs de bon sens auraient perdu leur valeur. Ce n’est pas exactement ce qui est prévu dans le projet de TCE : le Parlement n’a pas du tout l’initiative des lois, ce qui est déjà inacceptable, et son rôle dans le vote du budget, quoique augmenté, reste limité, et surtout il est exclu de la délibération des lois dans certains domaines, réservés au conseil des ministres (procédures législatives spéciale !) Depuis quand l’exécutif peut-il légiférer ?

On présente aussi le Conseil des ministres comme une « chambre haute » qui jouerait le rôle du Sénat, mais c’est inacceptable : d’abord, les ministres ne sont pas élus, mais surtout, ils détiennent dans leur pays le pouvoir exécutif, c’est-à-dire qu’ils maîtrisent la force publique qui leur permettra, en rentrant au pays, d’appliquer les règles qu’ils ont eux-mêmes élaborées. Ce sont donc les mêmes personnes qui créent le droit au niveau européen et qui l’appliquent au niveau national (une fois transposé) : il y a donc ici une évidente confusion des pouvoirs.

Il semble donc y avoir un vrai problème démocratique dans tous les domaines enlevés au Parlement : ni séparation, ni contrôle. La liste de ces sujets interdits n’existe nulle part, et cette exclusion du Parlement de certains domaines n’est même jamais formulée clairement.

On aimerait aussi savoir qui est réellement responsable de ses actes dans cette organisation européenne, car enfin :

—Le Parlement n’est responsable devant personne (en dehors des élections dont on a déjà dit qu’elles ne peuvent pas tenir lieu de contre-pouvoir) car il n’y a pas de procédure de dissolution.

—Le Conseil européen n’est responsable devant personne au niveau européen (et il faut s’en remettre à la lointaine responsabilité nationale pour mettre en cause ses membres un par un).

—Le Conseil des ministres n’est responsable devant personne au niveau européen (et il faut encore s’en remettre à la responsabilité nationale pour mettre en cause ses membres un par un).

—La Cour européenne de justice (CJE), non élue, dont les juges dépendent directement des exécutifs qui les nomment (ça c’est fou...Où est le Parlement ?), est aussi hors de contrôle (parlementaire ou citoyen), (c’est souvent le cas mais avec des juges vraiment indépendants) et sans recours, malgré les pouvoirs immenses dont elle est dotée à travers l’interprétation de

tous les textes et l’arbitrage de tous les litiges. Démocratiques, ces institutions ?

La Banque centrale européenne (BCE), non élue, rigoureusement indépendante des pouvoirs publics, est également hors de contrôle, donc irresponsable, malgré l’influence considérable de ses décisions sur la vie quotidienne des 450 millions d’européens

C’est quand même consternant cette impression d’irresponsabilité générale, non ?

Tous ces pouvoirs sans contrôle réel, cette irresponsabilité générale... Où est la démocratie ?

Où sont les garde-fous contre l’arbitraire ? Un ami vient de m’envoyer la Constitution du Venezuela. J’y ai trouvé des exemples académiques (vivants) de démocratie authentique : ainsi l’article 72 qui permet à 20 % des électeurs inscrits de demander, et à 25 % de provoquer, la révocation de n’importe quel élu et le rappel aux urnes. Il faut un certain courage politique et un réel souci démocratique, je trouve, pour exposer ainsi à tout moment son propre pouvoir à la censure citoyenne. L’instabilité est évitée car cette révocation d’initiative populaire n’est possible qu’après un demi-mandat et une seule fois par mandat. Cette procédure a déjà fonctionné plusieurs fois sans semer le trouble. D’autres référendums d’initiative populaire sont également prévus pour créer ou supprimer des lois. On est bien loin, en Europe, d’une telle responsabilité politique des acteurs institutionnels, aussi bien au niveau national qu’au niveau de l’Union. L’article I-47.4 du TCE est bien affligeant.

Cinquième principe de droit constitutionnel : une Constitution démocratique est forcément établie par une assemblée indépendante des pouvoirs en place.

Une Constitution n’est pas octroyée au peuple par les puissants. Elle est définie par le peuple lui-même, ou par des représentants choisis pour cette tâche précise, précisément pour se protéger de l’arbitraire des puissants. À l’inverse, les institutions européennes ont été écrites (depuis cinquante ans) par les hommes politiques au pouvoir qui sont donc évidemment juges et parties : de droite comme de gauche, en fixant eux-mêmes les contraintes qui allaient les gêner tous les jours, ces responsables ont été conduits, c’est humain mais c’est aussi prévisible, à une dangereuse partialité. C’est, là encore, un cas unique au monde, pour une démocratie.

Ce n’est pas au pouvoir en place d’écrire le droit du droit. L’État n’est pas le peuple. En établissant une Constitution par voie de traité, procédure beaucoup moins contraignante qu’une lourde assemblée constituante, (publique, longuement contradictoire et validée directement par le peuple), les parlements et gouvernements, de droite comme de gauche, ont fait comme s’ils étaient propriétaires de la souveraineté populaire, et ce traité, comme les précédents, peut s’analyser comme un abus de pouvoir : nos élus, tout élus qu’ils sont, n’ont pas reçu le mandat d’abdiquer notre souveraineté. C’est au peuple, directement, de contrôler que les conditions de ce transfert, (à mon avis souhaitable pour construire une Europe forte et pacifiée), sont acceptables.


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