Le temps des cerises

par Pierre Chazal
jeudi 29 octobre 2020

 

Il y a, nous dit l’Ecclésiaste, un temps pour chaque chose. « Un temps pour naître et un temps pour mourir. Un temps pour planter et un temps pour arracher ce qui a été planté. Un temps pour tuer et un temps pour guérir. Un temps pour démolir et un temps pour construire. Un temps pour lancer des pierres et un temps pour en ramasser. Un temps pour embrasser et un temps pour s'éloigner. Un temps pour chercher et un temps pour perdre. Un temps pour garder et un temps pour jeter. » (Ecclésiaste 3.1-15).

Le temps, assurément, n’est plus aux embrassades. Dans l’Occident décati de ce début de millénaire, la Bible n’a plus voix au chapitre. Pas plus que les peuples. Pas plus que les institutions. Pas plus que les familles. Pas plus que les amis. Embrasser son prochain, en 2020, c’est lui donner le baiser de Judas, celui qui conduit tout droit à l’enfer des services de réanimation congestionnés tous les automnes par des virus saisonniers dont la reine mère est la grippe et dont on nous dit sur le site de Santé Publique France qu’elle « peut être grave, voire mortelle, en particulier chez les personnes fragiles, comme les personnes âgées, les personnes atteintes de certaines maladies chroniques ou les personnes souffrant d’obésité. » Comment s’en prémunir, nous rappelle l’Evangile ? « En portant un masque jetable en cas de contact avec des personnes âgées et des personnes qui ont une maladie chronique » et « en se lavant régulièrement les mains. »

 

Et pourtant. Il fût un temps aujourd’hui très lointain où le magazine Sciences et Avenir titrait dans un article choc qui fit l’effet d’une bombe dans la population : « La mortalité en France en 2017 bat un record depuis l’après-guerre ». Les révélations et les explications qui s’ensuivent, d’une froideur révoltante, sont presque insoutenables :

« En 2017, 606 000 personnes sont décédées en France, soit 12 000 de plus qu'en 2016, conséquence du vieillissement des baby boomers nés après 1945 et d'une épidémie de grippe particulièrement meurtrière, selon une étude publiée lundi 15 octobre 2018 par l'Insee. Le phénomène n'est pas nouveau : en dix ans, (ce) nombre a augmenté de 14%, souligne l'Institut national de la statistique, rappelant que 531.000 décès avaient été recensés en 2007. Après le bond constaté en 2015 (+34.000), celui de 2017 conforte une tendance qui devrait durer du fait de l'arrivée des générations nombreuses du baby-boom (nées entre 1946 et 1974) à des âges de forte mortalité. »

 

La députée Martine Wonner, du haut de ses 56 ans, aurait dû comprendre, comme le roi Salomon, qu’il y a un temps pour tout. Le moment n’est pas venu de prendre de la hauteur – même dans un hémicycle – et d’asséner aux fanatiques de la Ripoublique en Marche que le gouvernement avait déclaré l’état d’urgence face à une « énorme grippe » (session parlementaire du 24 octobre). Ou bien alors, pour mieux assurer ses arrières, eût-elle dû venir accompagnée de Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France qui déclare au soir du 27 octobre sur RT France :

« Aujourd’hui, nous avons 2800 malades en réanimation, ce qui n’est pas un chiffre catastrophique en soi. C’est catastrophique parce que nous avons trop peu de lits de réanimation et que rien n’a été fait. C’est une crise de l’hôpital mais il n’y a pas de crise sanitaire majeure. (…) Il y avait 7 300 malades en réanimation au pic de la crise, au mois d’avril. On devrait être en capacité de pouvoir gérer ces malades. Il faut qu’on s’en donne les moyens, avec un certain nombre de mesures ciblées sur les populations les plus fragiles. Il faut savoir que plus de 90% des morts ont plus de 60 ans. Bien sûr il y a quelques jeunes en réanimation, mais avec une mortalité relativement faible. Nous ne sommes pas face un virus hyper virulent. »

Un peu plus curieuse, elle aurait même pu pousser le bouchon plus loin et faire observer aux parangons de vertu qui la conspuaient vertement qu’en Suède, à la date du 6 octobre, le nombre total de morts en 2020, toutes causes de décès confondus, s’élevait à 71 647, contre 88 766 en 2019, 92 185 en 2018 et 91 972 en 2017 (statista.com). A ce rythme-là et compte-tenu que nos vigoureux Vikings ne comptent quasiment plus aucun mort du coronavirus depuis la fin juillet, il se pourrait bien que le royaume scandinave ait moins de morts en 2020 que les trois années précédentes.

La pauvre Martine, il est vrai, connaît des jours difficiles. Son masque visière transparent vient d’être retoqué par Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, qui se passerait bien de voir sa gueule à défaut de pouvoir la faire taire.

 

Pendant ce temps, le président du Bundestag allemand Wolfgang Schäuble, cité par Vincent Held, nous qualifie la crise du corona de « grande chance pour l’Europe : la crise réduit les résistances au changement. Nous pouvons faire aboutir l’Union économique et financière que nous n’avions pas réussi à mettre sur pied politiquement jusqu’ici. » Son copain Macron, notre épicier de quartier, pérorait, lui, le 22 septembre à la tribune des Nations-Unies : « La crise, l'effondrement de nos cadres de coopération nous imposent de rebâtir un nouvel ordre et imposent à l'Europe de prendre toute sa part de responsabilité ».

 A quoi on pourrait lui répondre qu’effectivement il y a un temps pour détruire et un temps pour bâtir. Détruire des lits d’hôpitaux (4200 suppressions en 2018, 3400 en 2019) par exemple, dans le respect des sacro-saintes directives européennes. Mettre sous tension permanente le personnel hospitalier, aussi, par la généralisation du lean management (« gestion au plus juste » ou « gestion allégée ») et la tarification par actes (la fameuse T2A implémenté par le père Castex). Détruire pour rebâtir, mais en précisant bien que si le château de cartes s’est écroulé, c’est la faute à la deuxième vague, bien sûr, encore plus haute que la première. Car comme nous l’explique si justement, le soir de l’annonce du reconfinement, notre épicier national : « Ce n'est pas en quelques mois que nous pourrons créer une stratégie différente. Quand bien même nous pourrions ouvrir plus de lits, qui peut sérieusement vouloir que des milliers de compatriotes passent des semaines en réanimation ? »

 

Question savoureuse, en effet. Surtout quand l’on apprend par l’APHP (Journal Les Echos du 22 avril 2020) que la durée moyenne du passage en réanimation pour les patients Covid est de 7 jours, tandis qu’on lit dans un rapport de la FHP-MCO remontant au mois d’août 2017 : « la durée moyenne d’un séjour en unité de réanimation est de 9 jours à l’hôpital et de 8 jours en clinique. » Où l’on apprend d’ailleurs, à la même occasion, qu’il y a eu pour l’année 2015 la bagatelle de 241 092 séjours en réanimation avec une moyenne d’âge « de 68 ans dans les cliniques et de 60 ans à l’hôpital ».

Le 19 février de cette même année, le journal Le Point titrait dans un article, au-dessus d’une carte de France totalement barbouillée de rouge : « Epidémie de grippe : hôpitaux surchargés, les urgentistes s’alarment. » Pour ce qui est des chiffres, on connaissait (déjà) la musique : « 600 000 nouveaux cas pour la semaine du 9 au 15 février pour une moyenne nationale de 940 cas / 100 000 habitants. » A la seule différence qu’on ne parlait pas encore, à cette époque reculée, de couvre-feu, de confinement ni de taux d’incidence, lequel se monte pour notre cher coronavirus à la date du 28 octobre à… 390 cas / 100 000 habitants.

 

Puis tant qu’à rebâtir après avoir tout cassé, autant emprunter, et si possible à de bons amis. Les dizaines de milliards investis rien que pour faire passer le bulldozer sur le village France en appelleront le quintuple, probablement, pour transformer le cercueil en quelque chose de présentable au prochain vide grenier de l’ex-Europe des nations.

Les banques ne prêtent qu’aux riches, dit-on, mais aussi aux pauvres qu’elles se sont choisies. « Confinez-moi tout ça et on en parlera plus tard », assurent en chœur le FMI, la BCE et tous les lobbies qui attendent depuis si longtemps cette fameuse mutualisation de la dette qui permettra de mettre dans le même sac le Manneken-Pis, la Tour Eiffel, le palais de l’Alhambra et le Colysée de Rome. Un marché captif et indifférencié imposé à la source, sans retour possible vers la souveraineté, sauf à subir le sort des mauvais payeurs dans les films de gangsters. Le trouble-fête Loukachenko ne l’aurait, apparemment, pas entendu de cette oreille, lui qui déclarait durant l’été : « [La Banque mondiale] est prête à nous financer dix fois plus qu’ils ne nous ont offert initialement en guise d’éloge pour notre lutte efficace contre ce virus. Pendant ce temps, le FMI continue de nous demander des mesures de quarantaine, l’isolement, un couvre-feu. Ça n’a pas de sens. Nous ne danserons sur l’air de personne. » Quoiqu’on pense du personnage et de l’architecture de Minsk, les Biélorusses, au moins, ne seront pas tombés dans le panneau. Avec leurs 1000 morts du Covid pour 9 millions d’habitants et leurs 113 lits d’hôpitaux pour 10 000 habitants (la France en a 64, l’Espagne en a 31), ils auraient tort, surtout, de se croire plus moches qu’ils ne sont.

 

Il y a un temps pour les mensonges, et un temps pour la vérité. Rien n’interdit, bien entendu, de préférer les mensonges, et les beaux rivages de la Méditerranée aux rigueurs de la Baltique. Mais un jour viendra – il vient toujours – où les créanciers sonneront à la porte. Mais à ce moment-là, bien sûr, notre épicier sera déjà loin, la caisse sous le bras et le sourire en coin.

 

https://www.fhpmco.fr/wp-content/uploads/2017/08/DataMCO-reanimation-finalWEB.pdf

https://www.lepoint.fr/societe/epidemie-de-grippe-hopitaux-surcharges-les-urgentistes-s-alarment-19-02-2015-1906447_23.php


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